HORATIO

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/06/2012

L'assaut du 5ème acte par Me Dubois (1918)


L’assaut du 5ème acte par Maître Dubois (1918)
Pierre Bossuet éditeur, Paris, 1932.

Dans ces 18 pages, Maître Georges Dubois, de l’opéra comique, nous propose une interprétation du duel final. Au lecteur qui chercherait à en comprendre la chorégraphie (réglage et mise en scène), je conseille de se référer au texte.

Mon intérêt et ma critique sont ailleurs ; ils ont pour objectif de montrer au lecteur que le choix de cette mise en scène du duel, remarquable au demeurant, opérée par Me G. Dubois s’inscrit dans le cadre d’une commande institutionnelle et que, du sens donné à la pièce dépend le sens donné à ce duel.

L’acte du dénigrement :

Dès le début, Me G. Dubois nous prévient qu’un « duel au théâtre est toujours un peu sacrifié » (p7). Et il n’est pas tendre avec les escrimeurs amateurs ou professionnels – qui est le maître ? Pour ne pas blesser leur amour-propre, il se refuse à examiner les causes exactes du ridicule de cette partie de la mise en scène. Me Dubois se propose d’examiner le seul échange des épées à la lumière du texte français le plus ancien, le « Traicté contenant les secrets du premier livre sur l’espée seule, mère de toutes armes… », composé par Henry de Sainct Didier (Paris, 1573).

Nous allons voir que « cette formule précise et logique » n’est qu’une variante possible. D’autres variantes existent, comme le coup bas de Laërte ou l’échange des épées lorsque les duellistes se battent avec dague et rapière (James Hallam) ou depuis le cinéma (Koozintsev). Celle exploitée par Me Dubois, implique des modifications du texte de Shakespeare. En d’autres termes, selon que le metteur en scène de la pièce (la commande institutionnelle) aura choisi de faire passer Hamlet pour fou ou non, par exemple, le Maître d’Armes ne tiendra pas le même discours.

A la fin de son exposé des « coups d’armes » que le vieux Maître français Henri de Saint-Didier du 16ème siècle a signalé à l’obscur professeur d’escrime du 20ème, Me Dubois écrit : « Ici s’arrête l’Essai de mise en scène de l’assaut d’Hamlet. Je n’ai pas à empiéter sur les attributions des metteurs en scène, qui ont monté ou monteront ce drame. J’ai tenté de rendre conforme à la pensée de Shakespeare le caractère et l’enchaînement des coups d’armes précédant et aboutissant à celui que tant d’hommes de théâtre ont essayé de reconstituer (…). » (p31)

Nous allons examiner les faits restés dans l’ombre et qui attestent aussi chez Me Dubois, d’une absence de fidélité à la pièce de Shakespeare. Ce glissement de sens est lié à deux raisons :
- Me Dubois se réfère à une traduction de MM. Montégut et Schowb adoptée par la Comédie Française qui n’est pas fidèle au texte.
- Me Dubois créait lui même une reprise, qu’il appelle la reprise nulle, qui n’est pas suggérée par le texte de Shakespeare et qui masque probablement une traîtrise de l’arbître, Osric. Cette hypothèse mérite d’être explorée pour donner une nouvelle interprétation de la pièce.

C’est dans le Théâtre héroïque de Me Letainturier-Fradin (1914) que Me Dubois s’interroge sur les méthodes anti-shakespeariennes qui conduisent à l’interprétation et à la mise en scène de l’échange des armes de façon « naturelle et sans préparation » :
- Dans le Hamlet de Louis Ménard, l’auteur imagine qu’un orage éclate et fait perdre aux duellistes leurs armes. Les reprenant, ils les échangent.
- Dans le Hamlet de la Comédie Française, le tragédien Mounet-Sully (Hamlet) froissait le fer de Laërte l’obligeant à lâcher son arme. C’est alors que Hamlet lui proposait son fleuret démoucheté.
- Dans une adaptation de Dumas et Meurice, les auteurs ont l’audace d’ajouter des répliques.
- Dans le Hamlet de M Schowb, à la reprise qui suit la réplique : « A vous maintenant ! », Hamlet blessé, voulant s’assurer de la déloyauté de Laërte, le désarme dans un corps à corps. Laërte se baisse pour ramasser son épée, mais Hamlet lui tend la sienne.

Pour Me Dubois ça ne tient pas debout, Hamlet découvre la traîtrise par l’aveux de Laërte mourant : « …l’instrument de la trahison est dans ta main ». Cette courtoisie d’un escrimeur – Hamlet proposant son fleuret – ne colle pas au texte puisque le corps à corps les faits aboutir à un désarmement. C’est ici que les pages 64 à 66 du traité de Saint-Didier s’imposent puisque « le désarmement mutuel était très usité au 16ème siècle, l’usage des deux mains l’amenant à tout instant dans les corps à corps. » (p14)

Me Dubois fait donc à la fin de son essai une proposition de mise en scène de l’assaut d’Hamlet qui reproduit la méthode de ses prédécesseurs en recréant une chorégraphie là où Shakespeare nous a laissé que très peu d’indications. Avant d’analyser la mise en scène de l’assaut du 5ème acte, et de faire mes propres propositions, il me paraît important de préparer le lecteur à recevoir mon analyse.

L’acte de la projection :

Me Dubois, n’échappe pas à la règle de l’audace pudique, il écrit : « On peut hardiment avancer que le 5ème acte d’Hamlet est l’acte de l’épée empoisonnée. En effet, Hamlet, Laërtes et le Roi meurent successivement frappés par cette arme qui dénoue l’action. » (p7-8)

Comme chez Lacan, dans son Séminaire sur le désir et son interprétation, la coupe empoisonnée et la mort de la reine ne trouvent pas leur place comme points d’achoppement du fameux dénouement – la coupe empoisonnée comme arme de destruction. La mort de la reine est présentée comme déchaînement de la fureur d’Hamlet. « Entre le calme du début et la fureur vengeresse déchaînée à la fin de l’assaut, écrit Me Dubois (p8-9), il n’y a que 20 à 25 répliques. Il faut donc demander : 1 – au caractère de l’assaut ; 2 – à la mimique des antagonistes et à celle du roi toute l’émotion dramatique, masquée par le dialogue courtois qui précède le coup d’épée que reçoit Hamlet (le troisième de l’assaut). »

Nous allons revoir l’intégralité du passage qui conduit à la mise en scène proposée par Me Dubois parce que :
- selon cette mise en scène, la blessure d’Hamlet se produit lors d’une cinquième reprise – ajoutée par Me Dubois – qui suit la « reprise nulle »
- le dialogue qui précède le coup d’épée que reçoit Hamlet, n’est pas courtois, il est une provocation d’Hamlet qui déclenche le mécanisme du piège.

L’assaut d’Hamlet et de Laërte, nous dit Me Dubois, « comprend plusieurs phases », qui sont autant d’erreur de lectures de la part du Maître d’armes :

1) « En ce qui concerne le héros principal, écrit Me Dubois (p8), on sait qu’au début de l’action, aucune haine, aucun soupçon n’effleurent sa pensée. C’est le plus courtoisement du monde qu’il invite Laërte à commencer l’assaut ». C’est faux.

Lorsque les deux courtisans viennent lui annoncer le duel, on est en droit de penser qu’Hamlet a des soupçons ; il s’adresse à Horatio en ces termes :

LE SEIGNEUR. - La reine vous demande de faire un accueil cordial à Laertes avant de vous mettre à la partie.
HAMLET. - Elle me donne un bon conseil. (Sort le seigneur.)
HORATIO. - Vous perdrez ce pari, monseigneur.
HAMLET. - Je ne crois pas : depuis qu'il est parti pour la France, je me suis continuellement exercé : avec l'avantage qui m'est fait, je gagnerai. Mais tu ne saurais croire quel mal j'éprouve ici, du côté du coeur. N'importe !
HORATIO. - Pourtant, monseigneur...
HAMLET. - C'est une niaiserie : une sorte de pressentiment qui suffirait peut-être à troubler une femme.
HORATIO. - Si vous avez dans l'esprit quelque répugnance, obéissez-y. Je vais les prévenir de ne pas se rendre ici, en leur disant que vous êtes indisposé.

2) On ne peut considérer qu’il aborde le duel le plus courtoisement du monde sous prétexte qu’Hamlet « tombe en garde avec élégance et noblesse, sûr de sa force, qu’il a modestement effacée dans des répliques précédentes » ; notamment cette réplique au roi, qui lui demande s’il connaît le pari : Ham. « - Parfaitement monseigneur. Votre Grâce a placé ses chances sur la plus faible des deux parties. »

Cette courtoisie avec le roi, mise en avant par Me Dubois, occulte cette intervention du Roi qui a pour objectif de changer de sujet parce qu’Hamlet vient d’offenser Laërte en lui disant : « I’ll be your foil… » :

HAMLET. - J'embrasse franchement cette assurance, et je m'engage loyalement dans cette joute fraternelle. Donnez-nous les fleurets, allons !
LAERTES. - Voyons ! qu'on m'en donne un !.
HAMLET. - Je vais être votre plastron, Laertes : auprès de mon inexpérience, comme un astre dans la nuit la plus noire, votre talent va ressortir avec éclat.
LAERTES. - Vous Vous moquez de moi, monseigneur.
HAMLET. - Non, je le jure.

3) La fin de l’assaut est dite « étrangement fougueuse » ; elle fait dire au roi : « séparez-les ! Ils ont perdus la tête. » Hamlet répond immédiatement : « Non, recommençons. » Et Me Dubois de nous expliquer (p8) qu’Hamlet « frappe Laërte aussitôt ces mots prononcés. Il est au comble de l’irritation. Déjà le poison agit et le trouble physiologiquement. Sa fureur éclatera dans quelques instants, quand il verra mourir la reine ».

Me Georges Dubois parle comme John Dover Wilson. L’assaut est qualifié d’« étrangement fougueux ». Hamlet est « au comble de l’irritation ». Le poison « le trouble physiologiquement ». Si l’on observe les faits qui précèdent, Hamlet est plutôt « étrangement calme » :
- Le jeu de Laërte au moment de choisir le fleuret a du lui mettre la puce à l’oreille ;
- A l’exclamation du roi pour empêcher Gertrude de boire, tous restent « interloqués » sauf lui ;

LA REINE. - il est gras et de courte haleine... Tiens, Hamlet, prends mon mouchoir et frotte-toi le front. La reine boit à ton succès, Hamlet.
HAMLET. - Bonne madame !
LE ROI. - Gertrude, ne buvez pas !
LA REINE, prenant la coupe. - Je boirai, monseigneur ; excusez-moi, je vous prie.
LE ROI, à part. - C'est la coupe empoisonnée ! il est trop tard.
HAMLET. - Je n'ose pas boire encore, madame ; tout à l'heure.
LA REINE. - Viens, laisse-moi essuyer ton visage.

- Et Hamlet multiplie les provocations. La dernière le mécanisme du piège :

HAMLET. - Allons, la troisième, Laertes ! Vous ne faites que vous amuser ; je vous en prie, tirez de votre plus belle force ; j'ai peur que vous ne me traitiez en enfant.
LAERTES. - Vous dites ?. En garde ! (Ils recommencent)
OSRIC. - Rien des deux parts.
LAERTES. - A vous, maintenant ! (Dans le corps à corps, ils échangent leurs rapières)
LE ROI. - Séparez-les ; ils sont enflammés.
HAMLET. - Non. Recommençons !

L’acte du déni :

Etudier le duel, et le réduire au seul échange des épées, moment crucial pour le dénouement, certes, c’est complexifier le drame qui se joue et s’en interdire la compréhension. Les bases du duel sont posées dès la scène 7 de l’acte 4. Claudius est en présence d’une double difficulté :
- il doit se débarrasser d’Hamlet (sa première tentative, l’exil pour l’Angleterre, a échouée) et,
- il doit se débarrasser de Laërte qui, rappelons-le exige la couronne en dédommagement pour la perte de son père et de sa sœur. (sur la place que joue réellement Ophélie dans le cœur d’Hamlet voir les arguments : mort et suicide d’Ophélie sur mon blog : http://horatio.hautetfort.com)

Claudius met en place un double piège :
- il monte le bourrichon de Laërte en lui faisant croire qu’il est un excellent escrimeur ; ses mérites n’ont-ils pas été vantés par un certain Lamord, un normand ? Cette hypothèse peut se vérifier au moment du duel, lorsque Hamlet demande à Claudius s’il ne s’est pas trompé de camp en pariant sur lui. Claudius lui répond qu’il les a vus s’entraîner tous les deux. C’est un pari risqué, le roi espère peut-être qu’Hamlet pourra s’emparer de l’épée empoisonnée et tuer Laërte.
- Pour Hamlet, il lui réserve une coupe empoisonnée.

Seulement Laërte se trahit de plusieurs façons et c’est ce qui fait échouer le plan – ou le fait réussir du point de vue de Shakespeare :
- Lors du pari annoncé et énoncé par le courtisan (témoin de l’offensé envoyé à Hamlet), Laërte surenchérit sur le roi, qui a parié que Laërte ne ferait pas 3 touches de plus qu’Hamlet sur un total de 12 passes, en annonçant qu’il en ferait 9 – sous-entendu 9 touches de mieux. C’est un pari grotesque qui n’a été interprété comme cela que dans le film de Kenneth Branagh.
- S’il n’est pas évident d’admettre que Laërte trahit ses intentions par ce pari grotesque – déni du lecteur, du traducteur, du metteur en scène – on peut se questionner sur le mot d’esprit qui suit et son rapport à l’inconscient depuis les travaux de Freud.

Courtisan : - (…) Le combat aurait lieu sur le champ si votre Seigneurie daignait répondre.
Hamlet : - Et si je répondais non ?
Courtisan : - Je veux dire, mon Seigneur, répondre de votre personne dans ce combat.

- Laërte se trahit d’une seconde façon : par son jeu, au moment de choisir son fleuret,

LE ROI. - Donnez-leur les fleurets, jeune Osric. Cousin Hamlet, vous connaissez la gageure ?.
HAMLET. - Parfaitement, monseigneur. Votre Grâce a parié bien gros pour le côté le plus faible.
LE ROI. - Je n'en suis pas inquiet : je vous ai vu tous deux... D'ailleurs, puisque Hamlet est avantagé, la chance est pour nous.
LAERTES, essayant un fleuret. - Celui-ci est trop lourd, voyons-en un autre.
HAMLET. - Celui-ci me va. Ces fleurets ont tous la même longueur ?
OSRIC. - Oui, mon bon seigneur. (Ils se mettent en garde.)

L’acte de l’interprétation :

Me George Dubois fait une toute autre lecture des évènements qui précèdent l’assaut (p17) :
- « En ce qui concerne Laërte, qui, dès le 4ème acte a comploté avec le roi l’assassinat d’Hamlet, le comédien doit ajouter à l’odieux de son acte, tout ce qui peut en souligner l’infamie aux yeux du public. » Il appartient à Laërte d’affecter une courtoisie en dirigeant l’un des pages vers Hamlet afin qu’il choisissent son fleuret ; pendant que lui-même feint de choisir l’épée démouchetée, avec échanges de regards complices avec le roi.
- Par contre, le noble Hamlet doit tirer avec une science élégante et noble. Et c’est « par excès de loyauté et non par suspicion » (p19) qu’il s’informe : « ces fleurets ont tous même longueur ? »

Nous voyons que cette interprétation est imaginée au détriment de la réalité dont nous informe le texte de Shakespeare : le langage inconscient entre les deux hommes, les plans du roi déjoués par Laërte, le mécanisme du piège déclenché par Hamlet.

Il s’en suit une chorégraphie imaginée par Me Dubois qui suit l’ordre des évènements et qui prend en compte
- la mise en garde respective des deux adversaires (leurs postures de combat),
- le premier coup touché par Hamlet (nié par Laërte dans un premier temps),
- le deuxième coup touché par Hamlet qui montre sa virtuosité,
- « C’est à cet instant troublant que Shakespeare a choisit de faire boire la Reine » (p24)

Cela n’était pas prévu par les plans de Claudius. La trahison de Laërte a provoqué la mort de Gertrude - comme Hamlet a provoqué la perte de Polonius puis celle d’Ophélie. Me Dubois écrit (p24), Laërte sait très bien qu’un seul coup suffira, aussi rassure-t-il le roi : « Monseigneur, je vais le toucher maintenant ». Le roi lui répond ; « je ne pense pas » parce qu’il sait Hamlet nettement supérieur ; il lui faut également qu’un seul coup pour gagner ce pari. Or si le combat s’arrête, seule la reine tombe…

L’acte trahirait les intentions d’Hamlet, et avec lui, celles de Shakespeare et du spectateur : le matricide.

L’acte du déplacement du conflit :

Ce « sarcasme léger », relevé par Me Dubois (page 25), lorsque Laërte dit : « c’est ainsi que vous me parlez ? », est la réponse de Laërte à la provocation d’Hamlet : « vous me traitez comme un bambin. ». Hamlet déclenche la quatrième reprise qui fait dire à Osric : « rien, ni d’un côté ni de l’autre ».

Et si Osric avait nié une touche soit de Laërte, soit d’Hamlet ? Il y a deux raisons possibles à cette hypothèse :
- il n’y a pas de didascalie de Shakespeare qui indique après la reprise nulle, qu’ils jouent une 5ème reprise, celle où Laërte touche Hamlet mortellement.
- Osric a une bonne raison de nier deux touches possibles : sur Laërte, elle marque la fin de la partie, sur Hamlet la vue du sang révèlerait immanquablement sa complicité (le public prenant conscience de sa trahison, il nierait le point).

Tout spectateur de cette pièce est affecté par une émotion intense, parce qu’il est en présence d’acteurs qui ont des intentions violentes d’assassinat. Le Maître d’armes, spectateur lui-même du spectacle qu’il doit monter, est doublement affecté par la violence de la tentative de meurtre sur Hamlet et par la trahison de ses homologues dans la pièce :
- Il a peut-être fallu la complicité d’un Maître d’armes pour introduire l’épée démouchetée ;
- L’arbitre en ne comptant pas la touche à l’origine de la blessure d’Hamlet, trahit sa complicité également.

Il y a plusieurs détails dans l’essai de Me Dubois qui attestent de la violence subie par toute personne qui touche de près ou de loin à la pièce :
- La première c’est une interprétation dont les conséquences ne ferons pas l’objet d’une réelle mise en scène, comme celle du déni de la touche : « Cette réplique d’Osric, écrit Me Dubois (p25), est motivée par une subite inquiétude des assistants, qui avait cru que l’un des adversaires était touché. Etablissons donc un coup ou une feinte de coup qui pourrait motiver cette inquiétante illusion des spectateurs. Nous l’appellerons : La reprise nulle. » Me Dubois fait peut-être comme Laërte choisissant son fleuret, il se trahit par cette interprétation très personnelle.
- Le deuxième détail est lié à la traduction sur laquelle s’appuie l’analyse de Maître Dubois. La reine est tombée, il saignent tous les deux. Le roi traduit : « elle s’est évanouie à la vue de leur sang ». La reine révèle qu’elle est empoisonnée. C’est alors qu’Hamlet demande à ce qu’on verrouille les portes. En lieu et place de la didascalie shakespearienne « Osric sort » Georges Dubois retranscrit : « Laërte tombe ». (p30)

La complicité et la trahison d’Osric sont gommées. Le scénario proposé par Shakespeare est extrêmement subtile. Le témoin envoyé à Hamlet est présenté tout d’abord comme un courtisan – un moucheron selon les propres termes d’un Hamlet qui ne se prive pas de le faire tourner en bourrique. On apprend par un second gentilshommes qu’il s’agit du « jeune Osric ». Tous ces seigneurs ne devraient-ils pas s’étonner que l’arbitrage de ce duel soit confié à une personne apparemment immature ?

Conclusion :

Nous avons vu plus haut que Claudius avait un double intérêt à voir mourir Hamlet et Laërte. Avec la révélation d’une inégalité des chances, Claudius ravive les velléités homicides de Laërte qui a un double intérêt de voir anéantis Hamlet, Claudius et au-delà Gertrude.

LAERTES. - Vous dites cela ?. En garde ! (Ils recommencent. ).
OSRIC. - Rien des deux parts.
LAERTES. - A vous, maintenant !
(Dans le corps à corps, ils échangent leurs rapières)
LE ROI. - Séparez-les ; ils sont enflammés.
HAMLET. - Non. Recommençons !
OSRIC. - Secourez la reine ! là ! ho !.
HORATIO. - Ils saignent tous les deux. Comment cela se fait-il, monseigneur ?
OSRIC. - Comment êtes-Vous, Laertes ?
LAERTES. - Ah ! comme une buse prise à son propre piège, Osric ! je suis tué justement par mon guet-apens.
HAMLET. - Comment est la reine ?
LE ROI. - Elle s'est évanouie à la vue de leur sang.

Il y a peut-être dans ce : « A vous maintenant ! » de Laërte, la certitude qu’il a blessé Hamlet ; et c’est ce qui provoque le corps à corps. Corps à corps dans lequel a lieu l’échange des épées et la blessure de Laërte.

Lorsque Hamlet dit : « Non, recommençons. », il n’y a probablement pas d’autre reprise, parce qu’il n’y a pas d’indication de Shakespeare et parce qu’il n’en a pas le temps. La reine vient de s’écrouler. Je ne sais pas si l’inquiétude de Me Dubois (p29) trouve « un autre et douloureux écho dans le cœur affectueux d’Hamlet, qui oublie le combat et sa propre blessure pour ne penser qu’à sa mère ». Je sais qu’au moment où Hamlet tue Claudius, son intention est de l’envoyer en enfer, et à ce moment précis où il fait boire la coupe à Claudius, c’est de sa mère dont il parle : « Follow my mother ! »

L’inquiétude d’Hamlet pour sa mère est là pour faire mentir le roi et obliger Laërte à désigner le prochain sur la liste. Hamlet n’est que le bras armé de Shakespeare.

Me Dubois a eu le mérite de rapprocher deux textes pour expliquer l’arrachement mutuel des armes au cours du corps à corps, mais on est peut-être encore loin, comme le prétendait à l’époque Abel Lefranc dans sa préface (p4), du « combat final qui amène le dénouement de la tragédie, rétabli enfin d’une manière complète et sûre ».

Références bibliographiques :

Dubois G., L’assaut du 5ème acte d’Hamlet et sa mise en scène adoptés par la Comédie Française, Pierre Bossuet éditeur, 1932.
(Cette étude a paru également dans la revue du seizième siècle en 1918)

Hallam J., http://web.uvic.ca/~mbest1/ISShakespeare/Resources/Honour/Swordfight.html

Letainturier-Fradin, Le théâtre héroïque, éd. Flammarion, 1914.

Sainct Didier H., Traicté contenant les secrets du premier livre sur l’espée seule, mère de toutes armes…, Paris, 1573.

J’empreinte les extraits (non fidèles au texte) au site
http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre2066-chapitre3160.html

Les commentaires sont fermés.