HORATIO

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11/03/2012

HAMLET de Laurence Olivier

HAMLET de Laurence Olivier (Film, Grande Bretagne, 1948)

« C’est l’histoire tragique d’un homme qui ne savait pas se décider ». Cette phrase mise en exergue dès le début du film met l’accent sur la procrastination d’Hamlet. Il rechigne à venger son père.

Pourtant, on est en droit de se demander, après notre lecture critique de John Dover Wilson, qu’elle action est la plus difficile à mettre en œuvre, tuer un oncle ou ne pas tuer sa mère ?

On peut s’attendre dans ce film, à ce que le sens commun et illusoire soit respecté. A vrai dire, en ce qui concerne l’amour entre Hamlet et sa mère, il est même renforcé. Lors du conseil d’état, après qu’Hamlet consente à ne pas retourner à Wintemberg, Gertrude donne un baiser amoureux (et non affectueux) à son fils. Elle embrasse son fils sur la bouche de manière incestueuse. Hamlet reproduira méchamment l’action, après la représentation dans l’appartement de sa mère.

Les orientations pour la folie d’Hamlet :

Le monologue d’Hamlet qui suit le conseil est dit par une voix off. Cette mise en scène à pour effet d’illustrer la complexité psychologique du personnage. Elle rejoint ce propos de Claudius dans la scène de la repentance : « paroles sans pensées ne vont jamais au ciel ». En effet, le bruit qui sourde dans la tête d’Hamlet concerne la relation incestueuse de Gertrude avec Claudius. Et les mots qui viennent à la bouche d’Hamlet, semblent le ramener à la raison : « un mois, que dis-je pas même un mois ».

Ce film, comme bien d’autres représentations, illustre la dichotomie qui existe habituellement entre la représentation et le sens de la pièce. Lorsque le spectateur a accès aux désirs inconscients qui bouillonnent chez Hamlet, par le moyen de cette voix off par exemple, l’effet en est tout de suite annulé par l’illusion d’une scène suivante.

Lorsque Laërte s’apprête à partir pour la France, il donne l’impression d’introduire le sujet de l’amour d’Hamlet pour Ophélie. Alors que la conversation est engagée par Ophélie hors champ, si l’on scrute correctement le texte de la pièce. Cette annulation, a plusieurs effets :
- elle rend souvent les personnages d’Ophélie et d’Hamlet incohérents ;
- Ophélie n’est pas dupe, elle renvoie ses bonds conseils à Laërte ;
- Hamlet est passé à l’action en lui faisant cette déclaration d’amour.

Tout comme Shakespeare nous prévient, par la voix d’Hamlet, que la seule présence du spectre annonce des révélations de trahison ou de crimes – avant même la rencontre entre Hamlet et le spectre. Tout comme il nous prévient de la conscience d’un mauvais présage pour Hamlet avant son suicide par la duel final.

Laurence Olivier a conservé également la seule référence directe à la tragédie grecque d’Œdipe Roi. C’est le moment où Hamlet, de garde dans le but de rencontrer le spectre, commente les beuveries du royaume. Il fait référence aux tares qui dès le berceau noircisses les opinions qu’on a de quelqu’un quoique soit sa vertu par la suite. Plus besoin pour Laurence Olivier de mettre l’accent sur les feintes de la folie d’Hamlet.

Tout comme Œdipe, Shakespeare nous présente un Hamlet d’emblée rejeté par sa mère. On comprend mieux alors, la vision d’horreur d’Ophélie lorsque Hamlet se présente dans sa chambre tout débraillé. La vision démoniaque n’est pas rendue par des effets spéciaux mais par le rapport fait par Polonius à Claudius : « la lumière de ses yeux fixés sur Ophélie ». Polonius n’a pas grand chemin à faire pour annoncer au couple royal qu’Hamlet est fou. Il en serait autrement si Gertrude n’avait pas se ressentiment. C’est une offense que Polonius ne risquerait pas.

La désillusion du monde, dans la scène de la galerie n’est pas rendue par l’attitude d’Ophélie – jusque là maître de son destin. Dans la pièce, il se produit plusieurs choses très mal analysées par Dover Wilson :
- Elle rend des présents à Hamlet : désobéissant ainsi à son père. Car si elle a ouvert son cœur à son père, elle ne l’a pas encore fait avec Hamlet. Par cet acte elle signifie à Hamlet qu’elle a des ordres.
- Hamlet a été convoqué dans la galerie « secrètement » et maladroitement par Polonius. La réponse d’Ophélie à la question d’Hamlet : « où est votre père ? » lui signifie qu’il a été piégé par le roi.

Est-ce l’époque puritaine qui voulait que cette adaptation à l’écran soit débarrassée de la violence de cette scène où Hamlet demande à Ophélie d’aller faire la pute plutôt que d’entrer au couvent ? Toujours est-il que la désillusion du monde chez Hamlet est produite dans la scène qui précède. Hamlet écoute aux portes, et il entend Polonius expliquer au couple royal, et notamment à la reine, que leur fils est fou. Il y a de quoi basculer dans la folie, à assister à une telle scène, sans y être préparé. A moins d’avoir toujours baigné dans ce climat de violence – et d’avoir une raison sérieusement dérangée. Etait-ce le parti pris du metteur en scène ?

On retrouve l’esprit malade en haut d’un donjon. Hamlet dit sa célèbre tirade sur le suicide. Mais c’est son poignard qui fait le grand saut comme pour le ramener à la réalité : « la lucidité fait de nous des lâches ». Comment comprendre ce qui se passe : Hamlet ne se précipite pas du haut du donjon – et ce qui va se passer : Hamlet va entraîner tout le monde dans sa chute ?

Les coupes sérieuses dans le film :

On notera, en premier lieu, l’absence du personnage de Fortinbras qui enlève du même coup toute ambiance délétère au sein du Danemark. Le danger vient exclusivement d’Hamlet et les décisions de Claudius ne visent plus à protéger la couronne des velléités guerrières du prince de Norvège. Cette absence aura des répercutions considérables sur la fin de cette histoire.

Dans ce film, Laurence Olivier a fait des coupes plus sérieuses les unes que les autres. Les personnages de Rosencrantz et Guildenstern ont disparus totalement. Ils sont réduits à des rôles de soldats anonymes qui doivent accompagner Hamlet en angleterre. A priori, la force de l’adaptation qui précède n’a plus besoin de ces deux personnages amis d’Hamlet et qui pourtant le trahissent pour se ranger du côté du roi.

La deuxième coupe sérieuse opérée par Laurence Olivier, concerne la scène où Hamlet fait jouer le meurtre de Priam devant Polonius et constate les effets du théâtre. Il prend peut-être même la décision de faire jouer le meurtre de Gonzague à cet instant. Mais en échange, Laurence Olivier nous donne une scène d’anthologie où l’on voit Hamlet donner une leçon de théâtre aux acteurs. Il leur demande de ne pas forcer le trait, de réagir avec parcimonie. Il travestit alors un acteur bouffon en femme. La transformation est saisissante. Les autres acteurs ne rient pas pour annuler cet effet. La troupe d’acteurs est prête. Au test sur Polonius, Laurence Olivier substitue le test sur les acteurs, démentant ainsi les propos de Dover Wilson comme quoi, leur représentation n’est pas à la hauteur.

Mais Laurence Olivier a fait le choix d’une souricière qui prend la conscience du roi. Les « ah » du public devant la seule pantomime incitent plusieurs personnages à observer les réactions du couple royal, même Polonius s’y met. Cela a un effet tragi-comique jusqu’à ce que le roi demande à ce qu’on apporte des torches. C’est le feu de la torche et le rire sarcastique d’Hamlet qui vous sort de cette humeur joviale et vous glace de stupeur.

Voir la scène sur Youtube

L’absence de place pour Hamlet :

Cette mise en scène remarquable, vous ferait presque oublier que normalement Hamlet joue les perturbateurs pendant la représentation au point de faire avorter la souricière. Or là, il ne dit rien. C’est un fait acquis Claudius est perturbé par la représentation de son fratricide, et non par l’attitude d’Hamlet.

La reine invite Hamlet à venir s’asseoir près d’elle, mais il n’y a pas de siège prévu à cet effet, n’y même du côté d’Ophélie d’ailleurs. La place d’Hamlet ne semble pas avoir été prévue. Il se jette sur les genoux d’Ophélie, lui tient les propos que l’on sait :
Hamlet : - Est-ce un prologue ?
Ophélie : - Au moins cela est vrai !
Hamlet : - Tout comme l’amour d’une femme.

Si au début du film, Hamlet est assigné à une place de fou par sa propre mère, après la scène de la galerie et la décision prise par Claudius de l’envoyer en Angleterre, Hamlet n’a plus de place. Cela se traduit concrètement par une absence de siège pendant la représentation.

On peut se demander si Hamlet ne contourne pas la double injonction du spectre par cette façon qu’il a de s’adresser au roi comme à sa mère parce que père et mère sont une seule chaire. Une façon de nous dire que sa mère ne vaut guère plus que son oncle.

D’ailleurs, on peut le vérifier dans l’attitude du couple royal après la mort de Polonius. Ophélie apparaît délirante après la mort de son père, et la reine surprise questionne : « Qu’y a-t-il Ophélie ? » et le roi comme imperméable à sa détresse : « comment vous sentez-vous ? » On a envie de leur répondre : « c’est l’intendant perfide qui a volé la fille de son maître ». C’est vrai pourquoi pleurer ? Polonius a eu ce qu’il méritait.

La coupe est pleine :

Et dire qu’il se trouve encore des gens pour interpréter : Ophélie s’est suicidée ! Quand la description faite par Gertrude nous dit clairement que c’est un accident. Elle est montée sur une branche pour y accrocher une couronne de fleurs, et la branche s’est rompue. Insensible à sa détresse (à cause d’un accès délirant), la lourdeur de ses robes imbibées l’a envoyée par le fond.

La scène du cimetière nous apprend que s’il n’y avait pas eu d’intervention supérieure, c’est-à-dire royale. Ophélie aurait été enterrée en terre profane. Qui d’autre que ces mêmes instances supérieures peuvent avoir intérêt à porter le discrédit sur cette mort jusque là non suspecte ? Sinon cette intervention supérieure dont on serait en droit d’attendre qu’elle fasse pencher la balance pour un enterrement en terre Sainte. Hamlet ne semble pas s’émouvoir plus que ça de la voir enterrée en fausse commune – comment se fait-il qu’ils tombent sur le cadavre de Yorick et d’autres ? C’est dire l’estime d’Hamlet pour cette femme qui sera mise en terre : « elle aura beau se farder, elle ressemblera à cette face » de crâne.

Mais voilà, il s’agit d’Ophélie. Aucun honneur pour Polonius, des rites funéraires minimums pour Ophélie. Et Laërte qui s’apprête à faire la putain dans un duel vicié. On ne dira jamais assez la déchéance, l’anéantissement de cette famille par la lignée des danois.

Dans ce duel final, si l’on s’en tient au texte de Shakespeare, il n’y a presque plus rien à sauver. Hamlet et Laërte se serrent la main quand Laërte devrait l’occire sur le champ. Claudius se pavane de cette amitié quand Hamlet devrait l’occire sur le champ. Mais voilà, il n’y a pas eu de révélations par les lettres de cachet, parce qu’il n’y a pas eu Rosencrantz ou Guildenstern pour les porter.

A la place, nous auront un gros plan sur les épées démouchetées. Si avec ça Hamlet n’a pas compris. Mais non il baigne dans la violence depuis toujours. Il y a bien ce gros plan sur la reine obsédée par cette perle jetée dans la coupe destinée à Hamlet. La coupe est pleine. Le courtisan, comme pour se débarrasser du cadeau empoisonné, tend la coupe à Gertrude qui la réclame des yeux.

L’histoire pourrait en rester là. Mais non, il faut annuler toujours et encore. La mort ne laissera pas le temps à Hamlet de nous dire… Quoi ?

Que Fortinbras n’arrivera pas pour cueillir le pouvoir ! Qui alors ? La place est vacante, il y a fort à parier qu’elle sera usurpée par Horatio. Lui, que Gertrude envoie surveiller Ophélie par crainte d’un malheur ? Lui, à qui le roi demande de veiller sur Gertrude ? Lui, ce coupe bourse de l’empire… Calme-toi, Sylvain ! Tu t’emportes, alors que ceci est une autre histoire.