HORATIO

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09/01/2013

Ostermeier crache sur Hamlet

Thomas Ostermeier crache sur Ophélie (Avignon 2008)

Il y a bien plus terrifiant que les images du spectre, ce sont les images de Gertrude lorsqu’elle se pendait à son coup. « Être ou ne pas être… » Hamlet clame un monologue insensé pendant le banquet des funérailles.

La joie des Enterrements :

S’ensuit la scène du cimetière. Pas celle où les deux rustres dissertent sur la mort d’Ophélie, non, celle de l’enterrement du vieil Hamlet. Et la scène tourne au cauchemar sous une pluie battante, accompagnée d’une musique lancinante. Le clown… le fossoyeur se casse la gueule dans la tombe. Avant de descendre le cercueil dans le trou, il oublie d’enlever la bâche. Il oublie de passer la pelle à Gertrude pour qu’elle jette une poignée de terre sur son défunt mari. Hamlet prend la terre à pleines mains. Claudius se vautre dans la boue. Le rustre balance son parapluie dans le trou avant de le reboucher.
A la fin de cet enterrement, nous sommes comblés d’une grande joie.

La mascarade des noces :

Le rideau recule vers le fond de la scène, et le banquet des funérailles devient banquet du mariage. Claudius rappelle qu’il a prise pour épouse l’héritière d’un état belliqueux et, de cette filiation, il se passerait bien. Le spectateur aussi, mais il ne pourra échapper à la confusion des rôles : déjà Claudius et Polonius se ressemblent (même barbe, même crâne dégarni).
Claudius embrasse chaleureusement sur la bouche un Laërte médusé. Quand il l’embrasse timidement, d’un petit baiser sur la joue, Hamlet tombe raide sur un monticule de terre.

Une œuvre transformiste autant que trans-générationnelle :

La chanson de Gertrude rappelle la voix du spectre. Gertrude enlève sa perruque et devient Ophélie. Horatio bouffe son poulet froid à la table d’un roi ivre mort. Les R&G n’ont plus qu’à l’attraper par les cheveux pour qu’il fasse des révélations. Cette géniale mise en scène permet de passer d’une scène à l’autre sans changer de lieu. Claudius se transforme en spectre. Thomas Ostermeier brouille les pistes: mais ne pas se fier aux apparences, Claudius n’est pas le seul personnage machiavélique et manipulateur qui doit conduire au destin de la gente féminine. Horatio fait sa promesse sans même qu’il y ait menace.
Le spectateur perd pied de plus en plus ; est-ce la terre ou ses jambes qui se dérobent ?

D’une tête à l’autre :

Les mains de Polonius fouillent la terre pour déterrer la couronne qu’il pose sur sa tête. L’ambition saute indifféremment d’un crâne à l’autre. Elle réapparaît toujours là où on ne l’attend pas, au cœur du dispositif. Polonius séduit par le pouvoir est surpris par sa fille.

On remarque en particulier « la persistance d’une lecture politique », qui met à l’honneur le « tableau d’une déliquescence du pouvoir », et du désarroi des individus dans un monde défait. (journée d’étude du 16 mars 2012 : Shakespeare et la nouvelle scène – université de Poitiers) Ah bon !

Les souricières d’Ostermeier :

Dans la scène de la galerie, Gertrude devient Ophélie ; elle va à la rencontre de Hamlet. Il s’y attendait. Gertrude assiste à la scène puisqu’elle est Ophélie. Pourtant ce n’est rien à côté de ce qui attend Gertrude après la pièce dans la pièce. Hamlet et Ophélie se désirent violemment. Mais, revirement de situation¸ il lui crache à la figure son : « Il n’y aura plus de mariages » (au pluriel). A moins que ce ne soit le public qui s’en soit pris plein la gueule avec ce Nème piège à cons.

Hamlet est maltraité. Guildenstern est Horatio. Laërte est Rozencrantz. Hamlet introduira le théâtre lui-même, car Rosencrantz et Guildenstern ne sont pas dignes d’être ses serviteurs. Hamlet (méconnaissable parce qu’il a enlevé sa bedaine) et Guildenstern jouent un couple SadoMaso pendant que Polonius Film. Hamlet est la reine ; la reine prend la couronne. Hamlet ne fait pas le cœur, il est Lucianus – allez hop ! Economies, économies.

Au moment où, il empoisonne son père, il s’arrête sur le roi. Il le regarde fixement pour observer ses réactions : Rien. Hamlet explique qu’il est Lucianus – et là c’est le piège... Il s’agite comme un bouffon pour faire voler sa cap, couronne à l’envers sur la tête. Horatio a remarqué. Pas la peine d’en parler. Rosencrantz intervient. L’heure du rendez-vous a sonné.

Avant d’y aller, Hamlet s’enlaidit ; il remet sa bedaine. Dans la chambre, il sait que ce n’est pas le roi : Gertrude ne s’effondre pas. Lui ? Oui, il crie de douleur, il a tué ce vieux bougre, le père de sa bien aimée. « regardes comme ton conseiller est discret, dit-il à sa mère. » Le miroir, c’est la caméra. Le spectre apparaît encadré par les R&G.

Une interprétation remarquable :

Le Hamlet de Lars Eidinger, un des comédiens fétiche d'Ostermeier, écrira Fabienne Darge, est un personnage ambigu, fascinant, qui n'a rien de romantique. (17/7/2008 Le monde) Le metteur en scène dira, dans la bible du spectacle, avoir eu envie de se "mettre en colère contre Hamlet parce qu'il n'agit pas, le violenter un peu et lui mettre un bon coup de pied aux fesses".

Personnellement, je crois qu’Ostermeier par la conjugaison de sa mise en scène, du texte et du talent de ses acteurs parvient à les faire « jouer » la violence dans certaines scènes :
- L’engueulade de Polonius envers sa fille ;
- La rencontre entre Hamlet et Ophélie ;
- La folie d’Hamlet après la représentation de la pièce ;
- La rencontre entre Hamlet et sa mère ;
- La folie du duel final ;
- Etc.

Les choix du metteur en scène produisent des effets pour le moins inattendus. Laërte ne se laissera pas mener en bateau, pour sûr ! Il voit Gertrude se transformer en une Ophélie délirante ; et ne peut que s’étonner : « -Quel est ce prodige ? » Claudius et Polonius se chargent d’enterrer l’affaire.

Le désir du spectateur démasqué :

A partir du moment où Claudius se repent et que le spectateur a accès à un vrai savoir, Ostermeier n’aura de cesse de le prendre à partie :
- Avant de se repentir, Claudius prend à témoin le public, puis il invoque les anges pour l’aider à attendrir son cœur, devenue de pierre bien malgré lui. (Malgré sa relation incestueuse avec Gertrude, la voix du Danemark lors de son couronnement qui lui permet de combattre l’ancien roi belliqueux)
- Tout de suite après la scène de la repentance, Hamlet s’apprête à trancher la tête de Claudius ; il s’arrête et interpelle le spectateur : « vous n’attendez que cela ? » Le public est mis au banc des accusés. De quoi ont-ils soif au juste ?
- Hamlet s’en prend au grand manitou, le metteur en scène lui-même : il demande à ce que l’on coupe le son pour qu’il puisse se projeter corps et âme dans ce duel que tout le monde sait truqué et appelle de ses vœux.

Hamlet se moque alors de son public. Il saisit une petite cuillère et engage ; il joue une partie de Tennis. Il ne craint pas la mort. Il ne craint pas de se battre. Il prend une épée donne les premiers assauts. Laërte touche par traîtrise bien que sa conscience le lui interdise. Et c’est le drame…

Hamlet demande à Horatio de raconter son histoire loyalement. Qu’est-ce qu’il en a à foutre ; il est mort. Alors il lui répond : « - N’en crois rien ! »



Conversation avec Florence March : 20 janvier 2013

Bonjour Sylvain,
Je viens de lire votre post sur la mise en scène, effectivement fascinante, de Hamlet par Ostermeier en 2008.
Juste une chose dans la première section sur les joies de l'enterrement : ce n'est pas Polonius mais bien Claudius qui se vautre dans la boue à la fin de l'enterrement mis en scène par Ostermeier.
bon dimanche à vous, et bonne continuation dans vos explorations shakespeariennes !

Florence MARCH
Professeur de Littérature anglaise XVIe-XVIIe
Université Paul Valéry - Montpellier 3

Le Théâtroblog : http://florencemarch.blogspot.com

Ma réponse le 22 janvier :

Bonsoir, et merci pour cette remarque - j'ai modifié en conséquence. C'est une critique qui n'a pas été facile à faire. J'ai regardé plusieurs fois la pièce avant de pouvoir la mettre en pièce. Ce n'est pas parfait bien sûr.

En ce moment je me concentre sur les révélations des fossoyeurs. Elles me paraissent plus importantes que celles du spectre.

Le résumé du Hamlet de Suhamy et Guillo (Ed. Hatier, 1994) - destiné aux lycéens - est fort intéressant. Ils disent ceci de l'acte 1 (pp14-15): "En fait, le royaume est en état d'alerte. Horatio rappelle que le feu roi du Danemark, Hamlet, a tué un jour le roi de Norvège, Fortinbras qui l'avait attaqué, et a hérité de toutes ses terres." Etc, etc. Or le texte de Shakespeare ne dit pas ça du tout et les révélations se font en plusieurs temps:
- Horatio (scène 1 de l'acte 1) dit que le spectre est apparu en armure (celle avec laquelle il combattit Norvège);
- Puis il explique ce que l'on chuchote à propos du duel qui opposa Fortinbras de Norvège et Hamlet père. Et il dit deux choses importantes, ce sont des rumeurs (la jalousie de Fortinbras n'est qu'une excuse) et c'est grâce à un duel de chevalerie qu'Hamlet lui a réglé son compte.
- Au conseil (Scène 2 de l'acte 1) Claudius nous apprend que Norvège est mourant et que son neveu vient de lever une armée pour récupérer les terres perdues par son père.
- Il faut attendre la scène du cimetière (Scène 1 de l'acte 5) pour comprendre que ces faits remontent à 30 ans, l'âge d'Hamlet et soupçonner que l'enjeu du duel, c'est peut-être bien une naissance illégitime, celle d'Hamlet. Les conséquences de cet adultère de Gertrude vont être beaucoup plus graves que l'inceste de Gertrude avec Claudius.

Mes explorations de la pièce visent à démontrer que le retard de l'action est du à une volonté du héro d'échapper à l'injonction paternelle (celle du spectre) de vengeance pour maquiller le meurtre de la mère. D'ailleurs Hamlet n'inscrit qu'une injonction sur ses tablettes... Bref c'est pas du gâteau.

Merci encore de votre visite.
Sylvain