HORATIO

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08/03/2012

HAMLET de Michaël Almereyda

Ce film est plus qu’intéressant. Il est une transposition de la pièce de Shakespeare à New York en l’an 2000. Les dialogues ont été transposés, mais pas les personnages. Ce qui donne une impression bizarre, puisque les personnages s’appellent entre eux mon roi ou mon prince selon qu’ils s’adressent à Claudius ou à Hamlet et alors qu’ils sont dans les locaux d’une multinationale du Danemark et qu’ils ont plus l’air de PDG que de chef d’état.

Le spectre n’est pas vraiment un spectre, il donne plutôt l’impression d’être un revenant. Le spectre est un homme en costume qui vient dans un bureau interpeller Hamlet fils. Et l’annonce de l’apparition se fait par le gardien ou le vigil de l’immeuble.

Il s’en suit un épisode de repli sur soi pour Hamlet. Cet enfermement où Hamlet visionne des films de moines bouddhistes traduit bien ce qu’il annonce à Horatio, dans la pièce, après sa rencontre avec le spectre : je vais me retirer en prière. Par contre les menaces de mort sur les témoins de la rencontre avec le spectre n’y sont pas. Le film est accès sur la seule vengeance. Il est donc nettoyé de toutes les ambiguïtés qui annoncent le meurtre de Gertrude. Les conséquences se verront à la fin.

Toute la modernité du film tient à ces adaptations réussies au contexte d’une mégalopole au début du 21ème siècle. On retrouve ces trouvailles dans l’équivalent de la scène de la galerie. Là, Claudius fait poser un micro sur Ophélie pour pouvoir écouter la conversation dans une pièce voisine.

La play-scène est la projection d’un film muet amateur fait par Hamlet lui-même dans une salle de cinéma privée de l’appartement. Hamlet y attrape effectivement la conscience du roi. Cet équivalent de la « pantomime » donne clairement à voir au travers du jeu d’acteur que le muet ne peut qu’inciter à des réactions muettes de la part de Claudius. C’est comme si le « sens » de cette scène n’attendait que la parole pour « pro-voquer ». Ce point est essentiel parce qu’il répond à la question du Dr Greg, auquel le célèbre John Dover Wilson n’aura de cesse de vouloir répondre (voir le chapitre critique sur la souricière). Dans le film, le film muet attrape tout de même la conscience de Claudius. Le metteur en scène n’a plus besoin de faire jouer le meurtre et d’en faire avorter les effets par l’attitude d’Hamlet.

Pour voir la souricière, le film muet dans le film :

http://www.youtube.com/watch?v=khFAUmze6HE

La scène de la repentance a lieu dans la limousine du roi. Hamlet a pris la place du chauffeur et a accès à la conscience du roi. Il n’y a pas de doute, il est bien l’auteur du crime. Alors que dans la pièce de Shakespeare, seul le spectateur sait ce que Claudius dit dans sa prière.

Dans la chambre de sa mère, Polonius se cache dans une penderie avec des portes miroir ce qui ajoute une dimension indéfinissable à la scène. Avant d’entrer dans le placard, il a cette phrase magnifique de sens : « je vais faire le mort » !

Lorsque Hamlet traîne le corps de Polonius hors de l’appartement après qu’il l’ait tué d’un coup de révolver, une partie du dialogue avec sa mère se fait par interphones interposés. C’est une scansion qui favorise la compréhension du rythme et de l’évolution psychologique des personnages dans cette scène. C’est remarquablement mis en scène.

Rosencrantz et Guildenstern interpellent Hamlet dans une laverie. Si le lieu est improbable dans le cadre d’une dynastie comme la leur, la scène a au moins le mérite d’être violente et de ne laisser aucun doute sur les conséquences de son acte et l’exile forcé. Hamlet part en avion. La scène peut vouloir montrer la ruine et la déchéance pour le jeune prince.

A son retour Laërte demande pourquoi Hamlet n’a pas été poursuivit pour meurtre ? (Il pourrait se demander ce que Polonius faisait là). Il est permis de penser que Hamlet sauve sa tête en faisant croire qu’il l’a pris pour Claudius. Malgré ça, à notre époque, il serait impossible d’étouffer une telle affaire sauf à avoir le bras long et des preuves… La réponse de Claudius à la raison des non poursuites, c’est l’attachement de Gertrude à son fils, et l’attachement de Claudius à Gertrude. Autant d’attachements qui sont remis en cause dans le texte de Shakespeare. Claudius met en danger la reine en la laissant boire cette coupe empoisonnée. Aurait-il des raisons d’en vouloir à sa vertu, lui aussi ?

Le choix de cet attachement se vérifie à la fin du film par un acte inattendu, a priori pas insensé de la part d’une mère. Gertrude comprend que la coupe est empoisonnée, elle se précipite pour la boire. Elle se suicide donc – sans certitude de pouvoir sauver son fils, cela dit en passant.

Cette fin ne se justifie que par le sens habituel donné à la pièce de Shakespeare. Elle ne correspond à aucune réalité du texte. Pour sauver la face les hommes ont trop tendance à redorer le blason de la gente masculine dans la représentation en faisant de Hamlet un personnage mélancolique et légendaire et en faisant de la femme un personnage déchu. Le thème du suicide est très significatif à ce sujet :
- Hamlet n’est jamais présenté comme un personnage qui se suicide en acceptant ce duel. Hamlet n’est pas fou mais feint la folie.
- Gertrude est présentée comme une personne aimante pour son fils - dans le film elle se suicide carrément pour lui. Alors que dans les faits, elle élimine son fils en le laissant partir pour l’Angleterre.
- La mort d’Ophélie est le plus souvent présentée comme un suicide, alors qu’elle est clairement présentée comme accidentelle par Gertrude dans la pièce. C’est la folie qui emporte Ophélie, en raison de la perte de deux être aimés (Polonius son père et Hamlet). Ce qui est faut ! Relisez Hamlet !

Vous pouvez vérifier les arguments pour le suicide d’Ophélie sur ce site :

http://bibliosuicide.blogspot.com/

Sur tel autre la démonstration n’est même plus à faire :

http://agora.qc.ca/thematiques/mort.nsf/Dossiers/Ophelie