HORATIO

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12/07/2012

Dr Yannick Butel, comprenez-vous Hamlet?

« Hamlet est une aporie pour la critique », écrit Yannick Butel dans sa thèse soutenue en 1999 et parue aux PUC en 2004. C’est-à-dire : une contradiction insoluble. Hamlet demeure, malgré la multiplication des commentaires et des représentations, un texte qui échappe aux discours théoriques et historiques, comme aux pratiques esthétiques. Le texte résiste (p20).

Hamlet est tout sauf un texte qui « échappe » au discours. Le sens certainement. Et Yannick Butel est de ceux qui prennent la tangente, bien qu’il se targue d’une lecture qui « participe d’une fronde dont nous avons bornés les enjeux et le cadre d’exercice. » (p210 )

En premier lieu, poursuit-il, notre corpus s’arrête à la critique hamlétienne traduite en français et sur la traduction d’Hamlet par François Maguin, vierge de toute mise en scène. « Son texte nous semble servir au mieux le texte d’origine » (p28). Lequel ? Doit-on s’attendre à un décalage préjudiciable à la compréhension du texte ?

Les travaux sur la négation (Damourette et Pichon) devraient alerter notre conscience lorsque Yannick Butel écrit : « ce n’est donc pas un jugement de valeur qui nous fait préférer la traduction de F. Maguin » (p28)

La question du sens que l’on peut prêter à Hamlet a guidé le travail de l’auteur, qui ne manque pas de nous rappeler que tout travail dramaturgique implique un travail sur le texte, qui s’apparente à celui qu’il nous propose et qui doit choisir dans le texte, les différents réseaux qui rendent le sens. (p29)

Il faut s’attendre à des manipulations pour qu’émerge le sens communément admis et dont le fer de lance est apparemment Dover Wilson. A sa suite, Yannick Butel prétend comprendre Hamlet, sans pour autant proposer une énième interprétation de la pièce. « Interpréter, c’est toujours réagir à une situation de manque, c’est compenser la pauvreté que nous endossons à chaque fois que le lecteur est face aux résistances du texte. » (p30) On observera que l’auteur utilise le jargon psychanalytique (interprétation, manque, compensation…), mais lorsqu’il s’agit des résistances elles sont attribuées au texte et non plus au Sujet/lecteur.

La violence universitaire :

On aurait presque envie d’aller voir tout de suite la conclusion du livre pour s’assurer de la dérive. En guise de conclusion on trouve un épilogue intitulé : l’instinct de la proie (p199) :

« Pris au piège du théâtre, mais loin de confesser publiquement son crime, le roi est désormais averti et certain des intentions d’Hamlet. La pièce va basculer dans la violence qui, jusqu’à maintenant si l’on excepte le meurtre commis par le roi, était étrangère au drame. »

Il faudrait également exclure :
- La violence de l’apparition du père et de ses révélations.
- La violence de la « mélancolie » d’Hamlet pour son entourage.
- La violence d’Hamlet sur les gardes et Horatio.
- La violence psychologique liée à l’espionnage de la vie privé du héros.
- La violence de la folie entre Hamlet et sa mère.
- La violence entre Hamlet et Ophélie…

Yannick Butel pose une question essentielle à propos de la souricière. Question dont les fondements, donc la réponse, reposent sur deux erreurs d’interprétation. Il s’interroge : Qui d’Hamlet ou de Claudius croit le plus au théâtre et à sa vérité ?
- Claudius ? qui à la suite de la pièce, condamne Hamlet à la folie et donne l’ordre d’exécuter le prince – tout en confessant que la décision prise peut avoir une issue heureuse (scène de la repentance : A3, S3) ?
- Hamlet ? qui, tout en méditant sur la culpabilité de Claudius, ne se résout pas à user de la violence : « Il faut être cruel, non dénaturé. J’userai du poignard de ma langue, pas de l’autre. » (A3, S2, v382-383)

D’une part, Yannick Butel arrive à un postulat qui n’a fait l’objet d’aucune démonstration sur la base du texte, Claudius a scellé le sort d’Hamlet après la souricière. Il écrit dans une note de bas de page (p199) : « L’ordre ne sera jamais modifié et on en aura le contenu à l’acte 4, scène 3. Ainsi, avant qu’Hamlet tue Polonius, il a été condamné à mort par Claudius. »

D’autre part, les vers cités par l’auteur, et censés justifier le refus d’Hamlet d’user de la violence, sont réservés à sa mère alors qu’il doit se rendre dans ses appartements.

Toute trace de culpabilité de Gertrude est effacée, ainsi que toute trace d’animosité - pour ne pas dire haine - d’Hamlet envers sa mère. Si l’analyse que l’auteur fait de la souricière est vraie, importante, le sens qu’il lui donne, n’en est pas moins erroné. La cause en est une erreur d’interprétation qu’il faut mentionner.

Dans le meurtre de Gonzague, le roi a réalisé que ce qui lui était proposé n’était plus une fable. Il a pris conscience de l’illusion théâtral en étant pris au jeu. « Le temps du spectacle, Claudius réalise que la fable entame le mensonge qu’il entretient avec sa conscience. » (p201) Yannick Butel nous explique que c’est faire fausse route que d’analyser la réaction de Claudius comme le symbole de l’efficacité de la tragédie et de la catharsis. Claudius est loin d’être niais. A partir du spectacle, il entrevoit la conscience d’Hamlet. Le théâtre alarme Claudius sur l’adresse avec laquelle Hamlet rappelle à la conscience une histoire passée sous silence qui peut devenir objet d’une compréhension.

« Ce n’est pas tant ce qui se dit qui est inquiétant, que la manière dont cela lui parvient et ce que cela suppose. » (p201) Bien au contraire. Et l’auteur fait une erreur cruciale pour la compréhension en identifiant Lucianus à Claudius au chapitre précédent (p193 et 195). En présentant Lucianus comme le neveu du roi Gonzague réclamant Hécube pour femme, l’offense au couple royal est indéniable. Hamlet a fait avorter son plan d’attraper la conscience du roi. S’il n’y avait cette parole en trop d’Hamlet – provocation qui se justifie devant l’impassibilité du couple royal – la souricière aurait peut-être eu l’effet escompté…

Les conséquences vont être désastreuses. Hamlet va passer à l’acte, tuer Polonius et au-delà provoquer la déchéance d’Ophélie. Et il ne le fait pas par accident comme le prétend Yannick Butel : « Hamlet parie. Il choisit l’ordre de la raison établi sur la contrainte du calcul, plutôt que de s’en remettre à l’ordre du spectre. » (p204) Pour l’auteur il privilégie la raison mathématique pour se distancier d’un choix arbitraire : l’exécution de Claudius pour des raisons blâmables plutôt que l’assassinat en prière – distinction qui fonde la différence entre le bourreau et le meurtrier.

« Hamlet parie sur la présence du roi derrière la tenture et tue son ombre. Précisément, il parie pour la seconde fois : - Oh, cher Horatio, je gagerais mille livres sur la parole du spectre. As-tu remarqué ? (A3, S2, v277) »

Nous avons vu que la souricière est un leurre. Nous allons voir qu’il n’y a aucune raison qu’Hamlet prenne Polonius pour Claudius. Il vient de croiser et de laisser ce dernier en prière. Il est possible qu’il reconnaisse la voix de Polonius derrière la tenture comme il est possible que dans un accès de colère, de rage et de folie, il tue. Mais de cette mort dépendra le discours de sa mère. Va-t-elle le considérer comme responsable de ses actes ? Ce meurtre de Polonius, qui va précipiter la mort d’Ophélie, annonce le meurtre de la mère ; car ce meurtre interroge le désir de mort de Gertrude sur son propre fils. Yannick Butel donne pourtant la réponse : « On le dira fou et sa mère voulant le protéger du crime commis sur Polonius le trahira et le condamnera. (…) Hamlet, après le meurtre de Polonius, n’a plus les moyens de feindre la folie, à moins de vouloir voir son entreprise confondue avec celle d’un fou. Ce qu’il n’est pas mais que sa mère défend quand elle rapporte à Claudius le forfait du prince » (p205).

« Il n’y a pas d’erreur de jugement chez Hamlet, contrairement à ce qui est parfois avancé » (p203), avait commencé par dire Yannick Butel. C’est Hamlet lui-même qui prétend avoir pris Polonius pour un autre. Gertrude n’a aucune intention de protéger son fils. Depuis le début elle a intérêt à le faire passer pour fou. Ce n’est donc pas le premier faux pas de Claudius. « Le premier faux pas de Claudius est donc de vouloir soustraire la mort de Polonius au rituel de deuil et de justice auxquels il avait droit. » (p206) Le premier faux pas a peut-être été d’emboîter le pas de Gertrude en adoptant les théories de Polonius sur la folie d’Hamlet en raison d’un amour délaissé, celui d’Ophélie.

Mais voilà, Yannick Butel n’a pas jugé bon d’étudier quelques scènes clés, comme la souricière n°1 : la scène de la galerie, ou encore le duel final (souricière n°3).
- Comment peut-on prétendre qu’il se rend à ce duel d’escrime « sans arrière-pensée parce qu’il connaît celle de son roi » (p208) ? Alors qu’une analyse très fine montre qu’Hamlet déclenche le mécanisme du piège par ses provocations – Laërte ne parvenant pas à le blesser.
- Comment prétendre que le « voyage » d’Hamlet « décide de l’innocence du prince » alors qu’il revient avec « la certitude que Claudius voulait l’exécuter. » (p207) Et alors qu’il a scellé le silence d’Horatio, dès le début, en le faisant jurer.
- Comment peut-on conclure : « Hamlet sort mort, mais innocent. Claudius est tué dans la posture de l’imposteur. Il meurt coupable de cette faute. Cette unique faute. La seule qu’Hamlet ait pu prouver. L’exécution de Claudius n’aura pas été le seul fait du prince, mais le commandement exigé par la salle. » (p208) Alors que le spectateur voit sous ses yeux, un matricide, un fratricide, un régicide, puis un suicide.

Yannick Butel personnifie l’exil qu’il nomme voyage pour décider de l’innocence d’Hamlet comme Gertrude décide de la folie de son fils pour le déresponsabiliser de ses actes. Il croit se dédouaner ainsi de toute « erreur de lecture ». Il n’y aurait que des « lectures habilitées par l’institution littéraire ou récusées par celle-ci. » (p210)

L’auteur décide que « c’est Claudius qui tue Gertrude » (p203). Il passe pourtant très près du sens que je donne à cette pièce en occultant la deuxième injonction du spectre et en écrivant que « les dernières volontés du mort ne sont pas respectées, il faut revenir sur l’hécatombe. La mère est morte. Il fallait l’épargner. La vérité est tue. Elle devait être révélée par le prince. Des innocents ont péri. Rien ne les désignait. Certes, c’est Claudius qui tue Gertrude. Et c’est Horatio qui laisse en suspens la vérité. On se dit qu’un fils plus prompt eut épargné tout cela. N’allons pas pour autant refaire l’histoire, inventer une suite ou commenter différemment ce qui est présenté. » (p203)

Ben tiens ! on va se gêner !