HORATIO

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01/12/2013

Quarto de 1603

IN-QUARTO DE 1603


Le premier Hamlet est consultable sur le site ARTELOPE

L’étude de ce texte – la traduction proposée par François-Victor Hugo dans le Tome 1 : les deux Hamlet, de sa traduction des œuvres complètes de Shakespeare (Pagnerre éditeur, 1865) – est vraiment intéressante, car à la lecture de cette première édition du Hamlet parue en 1603, plusieurs questions se posent :

Retour aux sources :

Y a-t-il eu plusieurs éditions en 1603 ? Car la traduction de ce premier Hamlet par F-V Hugo est basée sur l’exemplaire ayant appartenu au Duc de Devonshire découvert en 1825 (p101). Et ce Hamlet, bien plus court que la version de 1604, se termine avec la mort d’Hamlet. F-V Hugo ajoute alors une note de bas de page (p198) pour dire : ici s’arrête le texte qui a servi à notre traduction. « La dernière page de cet exemplaire manquant, on aurait jamais connu les derniers vers du premier Hamlet, si un hasard n’avait fait découvrir en 1856 un second exemplaire de l’édition de 1603, qui contient la dernière page de l’œuvre primitive de Shakespeare. » Et F-V Hugo d’enchaîner avec l’entrée en scène de Fortinbras.
La question sérieuse est de savoir si cette page est réellement manquante, où si la version étudiée par le traducteur se termine avec la mort du héro. Il est permis de douter et d’aller vérifier car dans son introduction, F-V Hugo fait référence aux sources de la pièce.
a) Il cite par exemple un large extrait de l’Histoire cinquième de Belleforest parue en 1570 (pp45-69) sans faire référence à l’argument introductif de l’auteur, qui rappelle les soupçons portés sur Marie Stuart pour l’assassinat de son second mari, Darnley, et qui ont entaché sérieusement la vie politique en Ecosse et le règne d’Elisabeth en 1569. A tel point, rappelle Abel Lefranc dans son communiqué de 1951 (p455) à l’Académie des inscriptions et belles lettres, que Belleforest, sur intervention de la reine Catherine de Médicis, rédigea deux ans plus tard un livre, « L’innocence de la très illustre, très chaste et débonnaire Princesse, Madame Marie Reine d’Ecosse… » où sont amplement réfutées les calomnies.
b) F-V Hugo dans sa comparaison des deux textes, ceux de Belleforest et de Shakespeare, fait l’erreur (pp80-81) d’attribuer la création de certains personnages de Shakespeare (Polonius, Ophélia et Laërte) au géni du poète, alors que ces personnages existent dans « Le fratricide puni ».
F-V Hugo ne semble pas connaître « Le Prince Hamlet de Danemark ou le fratricide puni » et semble faire des amalgames entre les sources - à moins que ce ne soit Anne Cuneo dans sa traduction du « fratricide puni », parue aux éditions Bernard Campiche éditeur (2005) – car c’est une étrange coïncidence que les auteurs fassent références à un Hamlet déjà célèbre au trois mêmes instants : en 1589 (cité par Thomas Nash dans un Epitre adressé aux étudiants de l’université), 1594 (inscrit sur les registres du chef de troupe Henslowe), 1596 (cité par Thomas Lodge dans Misère de l’Esprit).
F-V Hugo pense que le premier Hamlet fut écrit avant 1589, car « dans une des scènes de ce drame primitif, Guilderstone explique à Hamlet que les comédiens qui arrivent ont été obligé de quitter la cité, parce que la nouveauté l’emporte et que, leur public habituel les a abandonnés pour aller voir jouer des enfants. Tous les commentateurs ont vu là une allusion au théâtre ouvert, en 1584 par les enfants de cœur de la chapelle Saint-Paul pour faire concurrence à la troupe de Blackfriars. » (pp71-72) C’est aussi, précise F-V Hugo, la date de naissance d’Hamnet – qu’il écrit Hamlet –, le fils de Shakespeare.
Dans son introduction au « Fratricide puni » traduit par G. Roth et paru dans la revue théâtrale N°3 de 1946, Gaston Baty justifie que ce Hamlet n’est pas un remaniement du Hamlet de Shakespeare mais une survivance du drame antérieur (le Ur-Hamlet de Kyd jamais retrouvé) grâce à une réplique d’Hamlet conservée par le chef de troupe Carl : plutôt qu’un exil en Angleterre, Hamlet préfèrerait un voyage au Portugal, faisant ainsi référence à la débâcle de l’expédition anglaise de 1589.

1 - Cette méconnaissance conduit F-V Hugo a des analyses erronées, où il affirme que le In-Quarto de 1603 est radicalement différent de celui de 1604, mais que Shakespeare n’a plagié que lui-même et non Thomas Kyd l’auteur présumé du Ur-Hamlet jamais retrouvé.
F-V Hugo affirme, par exemple que le rôle de la reine, entre les deux quartos, s’y trouve complètement modifié. Nous allons voir que c’est discutable.
2 - Dans sa comparaison entre les textes de Belleforest et de Shakespeare, F-V Hugo observe que l’Amleth des Chroniques connaît l’auteur du meurtre de son père ; le crime est public, il s’agit de l’oncle Fengo. Dans la légende de Shakespeare, le meurtre du père est un crime ignoré. Ici éclate toute l’originalité du poète, « Shakespeare évoque des profondeurs de son géni le spectre du roi assassiné » (p76). Sauf que cette idée, elle est dans « le fratricide puni » et dans d’autres pièces de l’époque (La tragédie espagnole de Kyd, par exemple).

F-V Hugo fait ainsi trois erreurs d’appréciation pour l’analyse et la compréhension du drame final. Il part de l’idée que dans la pièce de Shakespeare le crime n’est pas connu , que les personnages sont fictifs (Rosencrantz, Guildenstern, les Polonides) et que, dans le quarto de 1603, la reine prend le parti de son fils après l’entrevue, alors que dans le quarto de 1604, c’est la femme qui l’emporte, elle prend le parti de son mari (pp88-89). Dans le second Hamlet elle est la complice silencieuse de Claudius, alors que dans le premier elle ignore le crime de Claudius. Elle jure n’avoir « jamais rien su de cet horrible meurtre » et elle jure d’exécuter le stratagème de son fils.
Nous allons voir que ce n’est pas aussi simple. Shakespeare a fait disparaître les aveux de Gertrude – qui peuvent être érigés au rang de mensonges – pour mieux ferrer celle qui a commandité le meurtre de son mari – Claudius n’étant que le bras armé de la reine. Pourquoi ? Abel Lefranc rappelle dans son article, « Le pré-Hamlet et les origines d’Hamlet », que deux personnages ont réellement existés, il s’agit de Rosenkrantz et Gullunstarne, deux personnages aux noms presque identiques qui ont disculpés respectivement Bothwell et Marie Stuart.
Ces deux personnages, ne sont pas fictifs, et raccrochent bien la pièce à des sources historiques, l’affaire Stuart-Darnley-Bothwell que Abel Lefranc développe largement dans son livre « A la découverte de Shakespeare » (ed. Albin Michel, 1945), exposant bon nombre de détails communs à la pièce de Shakespeare et au meurtre de Darnley (la tenue que porte le spectre à sa deuxième apparition, l’origine du poison, le souper d’Ameslie, etc.).

F-V Hugo fait l’impasse sur le « fratricide puni » comme source de la pièce, alors que l’histoire est identique ; elle est encore plus primitive que le quarto de 1603. Des personnages ont pratiquement les mêmes noms, en particulier :
- Corambus dans le fratricide puni, deviendra Corambis dans le quarto de 1603, pour finalement devenir Polonius dans le Hamlet de 1604.
- Leonhardus deviendra Leartes dans le 1er quarto, puis Laertes dans le second.
A mon avis, il est difficile de trancher la question du plagiat, car dans « le fratricide puni » Hamlet se débarrasse des deux bandits qui l’escortent jusqu’en Angleterre, grâce à un stratagème où ils s’entretuent avec leurs armes à feu. Or, dans aucune pièces de Shakespeare, il n’est fait usage d’armes à feu – tout au plus une allusion avec Falstaff surnommé « Pistolet ».

Les modifications relevées par Hugo :

J’ai fait le choix personnel de placer le quarto de 1603 parmi les sources de la pièce, non parce qu’il ne serait pas à attribuer à Shakespeare – ce n’est pas mon propos – mais parce qu’il est une étape supplémentaire et fondamentale vers le Hamlet « moderne » qui s’origine des éditions de 1604 et 1623.
F-V Hugo explique (pp87-90) que, dans le drame définitif (1604 donc), ce ne sont pas les grandes scènes que le poète a modifiées le plus, mais les scènes en apparence moins importantes, qui donnent aux personnages secondaires une plus grande valeur : Horatio, Polonius, Ophélie, Laërte. « Quand à l’action proprement dite, elle est restée dans le drame définitif à peu près ce qu’elle était dans le drame primitif, et le poète n’y a fait que deux changements notables. » (p87).
Le premier changement est une inversion de scènes : la rencontre entre Ophélie et Hamlet aura lieu après le sondage orchestré par le roi par l’intermédiaire de Rosencrantz et Guidenstern. F-V Hugo interprète que c’est plus logique puisque après l’entrevue Hamlet-Ophélie, Claudius sait que ce n’est pas l’amour qui met Hamlet dans cet état. F-V Hugo pense le sondage superflu après l’entrevue, alors que l’inversion rend l’intrigue plus subtile : Hamlet parvient à démasquer les intentions de Rosencrantz et Guildenstern mais ces derniers sauvent la face en introduisant les comédiens. De la même manière dans la scène de la galerie, Hamlet démasque Ophélie, son père et le roi (qui l’a fait venir en secret dans le quarto de 1604). Le roi déduit de l’entrevue que ce n’est pas l’amour dénié que couve sa mélancolie. C’est à cette scène que se décide l’exil en Angleterre, alors que Hamlet ne représente encore aucun danger pour la couronne.
En d’autres termes, dans le quarto de 1603, l’entrevue puis le sondage par Rosencrantz et Guildenstern, ont pour but de savoir si c’est l’amour qui affecte Hamlet. Rossencraft pose clairement la question à Hamlet : « - Nous voudrions connaître la cause et l’objet de votre mécontentement. » Ce à quoi, Hamlet répond « je veux de l’avancement » Rossencraft n’est pas dupe et le lui dit. Hamlet révèle alors sa désillusion du monde.
Dans le quarto de 1604, l’inversion des deux scènes permet à Shakespeare de révéler les intentions du couple royal de faire passer pour fou le jeune Prince quelques soient les raisons de son humeur, c’est donc qu’une affaire politique justifie le plus grand secret (assassinat du roi Hamlet, illégitimité du Prince…).
Le second changement est relatif à la reine. F-V Hugo interprète que dans le premier quarto la reine ignore le crime et prend le parti de son fils lorsqu’il lui révèle l’assassinat. Elle jure alors n’avoir jamais rien su de cet horrible meurtre et jure d’aider son fils. « Et lorsque Hamlet est revenu de son périlleux voyage, Horatio accourt pour informer la reine du guet-apens auquel le prince vient d’échapper. Alors Gertrude confie à Horatio toute son horreur pour le roi assassin. » (p88)
F-V Hugo interprète que dans le Hamlet de 1604, la reine est complice de Claudius (p89), car « elle sait qu’en l’épousant, elle s’est unie au meurtrier de son premier mari (…). Mais la malheureuse ne veut pas même prendre l’engagement que son fils réclame d’elle et qu’elle n’aurait pas la force de tenir. Tout ce qu’elle lui promet, c’est de ne pas se laisser arracher par les caresses de l’autre le secret de ce qui vient de se passer » dans sa chambre.
F-V Hugo interprète : « elle prend le parti de son mari » alors que nous devrions dire : elle prend le parti de son mari contre son fils ! Car le marin qui apporte les lettres au roi, dans le quarto de 1604, en apporte une également pour la reine. Contrairement au quarto de 1603, nous ne connaissons pas le destin de cette lettre, mais nous savons que dans les deux Hamlet traduits par F-V Hugo, lorsque Laërte tient le roi au bout de son épée pour venger la mort de son père Polonius, la reine peut tout faire basculer.
F-V Hugo imagine que ces changements ont eu pour objectifs de corriger les imperfections du texte primitif de 1603, car si elle est innocente, « le dénouement du drame est inique à son égard, et l’empoisonnement auquel elle succombe est un supplice immérité. Si, au contraire, Gertrude a été la complice de Claudius, si elle a voulu épouser l’assassin de son premier mari, et si elle refuse de réparer son crime au moins par le repentir, alors elle est coupable, et la conscience du Moyen-Âge la condamne à mort, et le poète obéit à cette conscience en forçant l’incestueuse à boire le poison préparé par son amant pour son fils. » (p90)
L’interprétation de F-V Hugo laisse entendre qu’elle ne s’est rendue coupable que d’avoir épousée l’homme qu’elle sait être un meurtrier. Les textes disent tout autre chose que cela.

Analyse du premier quarto de 1603 : La souricière

Reprenons l’analyse du 1er quarto peu avant la souricière. Hamlet flatte son ami Horatio, et lui expose son plan (scène 9) : « - On joue ce soir une pièce dont une scène rappelle beaucoup le meurtre de mon père. Quand tu verras cet acte là en train, fait attention au roi, observe constamment ses traits ». il n’y a aucun doute, Horatio sait de quoi Hamlet parle : du meurtre de son père (ce qui n’est plus le cas dans le quarto de 1604 puisqu’il n’est fait que allusion au coquin fieffé qui a usurpé la couronne).
Dans le premier quarto, Horatio a des raisons d’être ahuri par ce qu’il risque de voir. Car à la fin de la scène 7 (p152), Hamlet resté seul se lamente de son inaction : « Et moi, pourtant espèce d’âne et de Jeannot rêveur, moi dont le père a été égorgé par un scélérat, je me tiens tranquille et je laisse passer cela. » Le propos est,
- Soit une erreur de scribe, de traduction, ou une image, une façon de nommer la mort de son père,
- Soit une références aux rumeurs qui ont suivis le meurtre de Darnley. Abel Lefranc précise dans son livre, A la découverte de Shakespeare (p248 et p249), les circonstances de l’assassinat du mari de Marie Stuart : « A la suite d’une lutte rapide, il tombe égorgé par les conjurés, ou plutôt étouffé probablement à l’aide d’une serviette, en même temps que Taylor. »
- Soit un savoir d’Hamlet sur les réelles conditions (dans la fiction théâtrale) de la mort de son père : égorgé donc ! A moins que ce ne soit une rumeur que vient démentir les révélations du spectre. Toujours est-il qu’Hamlet a des raisons de douter des paroles du spectre mais qu’il va se servir de son entourage pour sa vengeance et non la vengeance exigée par le spectre. Pourquoi pas ! Le spectre s’étonne que le fils ne soit pas interloqué, stupéfait par l’annonce de son assassinat : « Tu es prêt, je le vois. Sinon, tu serais plus inerte que la ronce qui s’engraisse et pourrit à l’aise sur la rive du Léthé. L’âme prophétique d’Hamlet ne concerne pas la question de l’assassinat mais celle de son auteur (p126).

La cour arrive pour la représentation. Hamlet refuse de s’asseoir près de sa mère et commence à être odieux avec Ophélie en suggérant qu’il s’allongerait volontiers entre ses cuisses. Il laisse entendre qu’elle est fille de mauvaise vertu devant un parterre de gentilshommes ; les atteintes sont graves.
Commence alors la pantomime. Aucune ambiguïté, la reine découvre son mari mort ; elle va rejoindre l’autre [Lucianus qui n’est pas encore identifié comme le neveu du roi]. La pantomime du quarto de 1604 est plus détaillée : l’empoisonneur et la reine de comédie découvrent le mort. L’assassin se lamente avec elle. Il fait sa cour à la reine qui répugne à lui céder. Mais elle finit par agréer son amour. L’assassin n’est pas Lucianus. Lucianus sera nommé par Hamlet pendant la pièce, ce qui provoquera l’offense au couple royal et la réaction de Claudius. Le Duc et la Duchesse du quarto de 1603, deviennent Roi et Reine de Comédie dans le quarto de 1604 ; l’offense tient au fait que le neveu réclame de coucher avec sa tente. Alors que dans le premier quarto, « il l’empoisonne pour lui prendre ses états ». L’offense vient de ce que le meurtre de Gonzague, l’assassinat d’un Duc, représente le meurtre joué dans la pantomime (l’assassinat d’un roi). Dans le second quarto, la souricière ne se contente plus de faire allusion à la scène politique (l’affaire Stuart-Darnley-Bothwell) mais vise à confondre le commanditaire du meurtre : en se levant, Claudius protège la reine.
Ainsi dans le quarto de 1603, on retrouve les attaques à l’encontre de Gertrude :
- le prologue est bref comme l’amour d’une femme ;
- que veut dire cette embûche ténébreuse ? A Ophélie : « - crime », à Claudius : ils s’empoisonnent « pour rire », pardi !
- nulle n’épouse un second mari sans tuer le premier ;
- voyez comme ma mère à l’air joyeux, il n’y a pourtant que deux heures que mon père est mort ;
- mon âme ne consent jamais à frapper ma mère, se dit Hamlet avant d’aller la rejoindre dans sa chambre.

Analyse de la scène de la chambre :

Là encore cette scène de la chambre (scène 10) n’est pas analysée correctement. F-V Hugo fait observer, dans une note de bas de page, que le second Hamlet commence par un entretien, qui n’est pas dans le premier quarto, entre le roi et ses deux confidents Rosencrantz et Guildenstern. Claudius leur demande de se tenir prêts, car il va sur le champ expédier leur mission. A la fin de la rencontre avec sa mère (scène 11 du quarto de 1604), Hamlet l’interroge : « Il faut que je parte pour l’Angleterre ; vous le savez ? » La reine lui répond : « -Hélas ! Je l’avais oublié ; c’est décidé. » C’est-à-dire qu’avant même de savoir pour le meurtre de Polonius, le roi a sceller les ordonnances qui doivent mettre fin aux jours d’Hamlet.
Hamlet le sait dans le quarto de 1604, pourquoi accepte-t-il de partir pour l’Angleterre ? Observons ce qui se passe dans la chambre de la reine (à la scène 11 du quarto de 1603). Corambis se cache. Hamlet vient de laisser Claudius en prière (dans le jeu scénique les acteurs pourraient utiliser le double niveau de la scène élisabéthaine pour insister sur le fait qu’Hamlet ne peut pas avoir pris Corambis pour le roi). Il rejoint sa mère qui doit être anxieuse puisqu’il lui demande : « - Qu’avez-vous, mère ? » Les réponses en miroir ne portent pas seulement sur l’offense faite au père. Gertrude a peur de son fils ; elle sait qu’il a essayé de la confondre avec la souricière. Hamlet se fâche : « - Vous m’entendrez parler », « mais d’abord prenons bien nos précautions. » Sauf que sa mère ne veut pas écouter. Il veut lui parler, elle interprète immédiatement pour l’en empêcher : « - veux-tu m’assassiner ? » C’est le passage à l’acte. Hamlet frappe l’indiscret.
Hamlet piège pour de bon sa mère, en lui faisant croire qu’il a pris le conseiller pour un plus grand que lui. Il lui montre alors les deux effigies pour comparer Mars à Vulcain. F-V Hugo fait remarquer dans une note de bas de page (note 2 page 169) que Shakespeare a modifié la comparaison, car si Vulcain avait la laideur, « le regard du meurtre et du viol », il avait aussi la légitimité. Nous devons nous méfier de notre subjectivité, car nous ne savons rien du précédent roi, sinon qu’il est mort sans expier ses propres pêchés. (Dans son livre, Abel Lefranc souligne la laideur de Bothwell comparativement à celle de Darnley).
Ecoutons le spectre qui apparaît de nouveau dans sa robe de nuit. F-V Hugo fait observer que cette indication curieuse a été supprimée dans l’œuvre définitive (note de la page 170). Abel Lefranc y a vu une référence supplémentaire au meurtre de Darnley, retrouvé mort tenant à la main sa robe de nuit. Mais le spectre dit quelque chose de très important : « - Je t’apparais encore une fois pour te rappeler ma mort. Ne diffère pas, n’attend pas plus longtemps. Mais j’aperçois que tes regards effarés épouvantes ta mère, et qu’elle reste interdite. » Le spectre dévoile les intentions d’Hamlet qui procrastine pour savoir ce qu’il en est de la complicité de sa mère.
Nous allons être fixés. F-V Hugo interprète mal les propos de la reine qui n’a pas vu le spectre : « Hélas ! C’est la faiblesse de ton cerveau qui fait que ta langue décrit le chagrin de ton cœur ; mais, aussi vrai que j’ai une âme, je jure par le ciel que je n’ai jamais rien su de cet horrible meurtre : Hamlet ceci n’est que de l’imagination ; par amour pour moi, oublie ces vaines visions. » (p171) En d’autres termes, la reine ne croit pas à cette théorie du meurtre et c’est bien plus grave pour l’intégrité d’Hamlet.
Les représentations modernes font entrer le roi dans la chambre de Gertrude où a eu lieu le meurtre. A la scène 12 du premier quarto, le roi, la reine et les seigneurs se retrouvent dans la salle d’état du château (une indication de lieu de F-V Hugo) ; et Gertrude ment sur ce qui vient de se passer :
- J’ai commencé par lui parler nettement ;
- Il m’a secouée et renversée, oubliant que j’étais sa mère ;
- A peine Hamlet a-t-il entendu l’appel de Corambis qu’il l’a tué.
- Et surtout, elle ne dit rien des visions.
Dans le quarto de 1604, Gertrude s’attend à une dispute avec le roi – qui en est resté à l’offense de la souricière – car elle demande à Guidenstern et à Rosencrantz de sortir avant de s’exposer et d’exposer les faits, et le roi ne sait pas encore pour le meurtre de Polonius. Prenant conscience que sa folie ruinera l’empire, il envoie chercher le corps aux soupers de vers politiques et prévient Gertrude de l’exil en Angleterre pour le bien-être et le bonheur d’Hamlet. Que ce soit à la scène 12 (p173) ou au début de la scène 14 du premier quarto (p176), ce voyage nous est présenté comme une cure pour la santé d’Hamlet. « J’espère avoir, avant peu, de bonnes nouvelles de lui, si toute chose s’accomplit à notre satisfaction ». Pourtant, à la fin de la scène 12 (p175), Claudius s’adresse à la reine comme si elle était présente alors que les didascalies de F-V Hugo précisent que tous sortent : « - Laissez-moi, Gertrude, et faites vos adieux à Hamlet. Une fois en Angleterre, il n’en reviendra plus : nos lettres au roi d’Angleterre le somment, au nom de son allégeance, d’avoir, aussitôt la dépêche lue, immédiatement, sans demander pourquoi, à faire tomber la tête d’Hamlet. Cet Homme doit mourir, car il y a en lui plus de choses que n’en voit l’œil superficiel. Lui une fois mort, eh bien ! notre empire sera délivré. »

Le rôle ambiguë d’Horatio dans les quartos de 1603 et 1604.

Après que la reine ait prié le ciel pour que soit protégé son Hamlet alors qu’elle est peut-être au fait des intentions de Claudius, qu’elle a peut-être nié savoir les conditions de la mort de son mari, la reine introduit la nouvelle de la folie d’Ofélia et Claudius révèle le retour secret de son frère, Léartes. Ofélia fait une première apparition où Claudius lui demande de manière odieuse : comment ça va ? alors qu’elle vient de perdre son père – c’est encore plus criant dans le second quarto.

C’est à cette scène 14 que tout peut encore basculer, lorsque Léartes tient Claudius en respect avec son épée. Léartes sait que c’est un assassinat (p177). C’est la reine qui disculpe Claudius. Ce qui vient retarder l’heure des comptes exigés par Léartes, c’est la deuxième entrée en scène d’Ofélia qui vient révéler à son frère qu’elle n’a plus toute sa raison.
F-V Hugo précise dans une note page 180, que l’une des chansons est funèbre, elle exprime la douleur de la fille orpheline, l’autre érotique exprime la douleur de l’amoureuse délaissée. Dans le second quarto les deux chants s’entremêlent pour ajouter à la confusion.

Un confusion vient de ce que cette douleur est attribuée par F-V Hugo à l’amour délaissé, alors qu’il faut voir dans l’assassinat et la déraison la double action d’Hamlet. C’est le propos de Léartes : « - Douleur sur douleur ! mon père assassiné, ma sœur ainsi rendue folle ! Maudite soit l’âme qui a fait cette criminelle action ! » (p180) Il faut penser que Léartes a quitté Ofélia en lui prodiguant des conseils de prudence à l’égard d’Hamlet et il la retrouve folle chantant : « Avant de me chiffonner dit-elle, vous me promîtes de m’épouser, c’est ce que j’aurais fait, par ce soleil là-bas, si tu n’étais venu dans mon lit. » La confusion est accentuée dans le second quarto si l’on pense au fait que c’est Ophélie qui interroge son frère, avant son départ pour la France, sur la soudaine déclaration d’amour d’Hamlet, car elle ne sait quoi en penser.
Dans le quarto de 1603, Polonius n’a pas été enterré en secret. Léartes fait le serment que le monde apprendra que son père était un grand homme adoré, parce que Claudius lui a affirmé qu’il est vengé de celui qui a fait de lui un fils si malheureux (p180).

En apprenant que Léartes est vengé du fait de cet exil en Angleterre et des ordonnances cachetées, Gertrude devrait trembler de peur si réellement son intention était d’aider son fils à venger la mort de son premier mari (fin de la scène 14 du premier quarto).
A la scène 15, Horatio apprend à la reine le retour d’Hamlet sain et sauf. La reine promet de faire mine de rien pour ne pas attirer l’attention de l’autre hypocrite qui « dissimulait sa scélératesse sous des airs sucrés ». « Je continuerai, dit-elle, quelques temps à le flatter et à le caresser, car les âmes meurtrières sont toujours soupçonneuses. » (p181) Cette scène a été supprimée dans le quarto de 1604 ; l’hypocrisie de la reine en est que plus subtile, car il faut rappeler que dans ce second quarto, Hamlet fait porter deux lettres à son retour d’Angleterre, une pour la reine et une pour le roi.
Ce qui est incroyable dans cette histoire, c’est que Gilderstone et Rossencraft ont échoués dans leur mission et plutôt que de rappliquer en Danemark, ils poursuivent leur chemin vers l’Angleterre. Horatio expose le plan d’Hamlet à la reine : Hamlet a modifié les dépêches grâce au sceau de son père, pour que son supplice leur soit infligé. « Et tout ce changement a été fait sans qu’on s’en aperçût. » Comme si personne n’allait s’apercevoir que les deux imbéciles escortent un échappé !
Il faut je crois, s’interroger sur le rôle d’Horatio dans cette histoire. D’après les quartos de 1604 et 1623, je suggérerais plutôt un personnage qui prend la place de Polonius une fois Hamlet parti pour l’Angleterre. Horatio, un ami ? Il faut voir.
- D’une part, Hamlet ne le reconnaît pas tout de suite lorsqu’il vient lui annoncer l’apparition de son père sur les remparts. Hamlet ne revient donc pas de Wittemberg. Il a du quitter l’université depuis longtemps. Et il a peut-être bien la trentaine. Et lorsqu’il est qualifié d’adolescent par Laërte, il veut peut-être bien le désigner comme jeune dans sa tête, ce qui colle avec la volonté politique de le faire passer pour fou. Mais cela ne colle plus avec les propos d’Ophélie, après la scène de la galerie, puisqu’elle décrit quelqu’un d’équilibré en tout.
- Puis Hamlet fait jurer Horatio de ne rien dire – l’équivalent d’une menace de mort.
- Au moment de la souricière, Hamlet le flatte pour mieux modifier son jugement, lui rappelle son serment. Après la pièce, Horatio tente un bémol dans l’euphorie d’Hamlet, en vain…
- D’autre part, une fois Hamlet parti, Horatio prend une place nouvelle de conseiller auprès du couple royal, c’est lui qui introduit Ophélie ; c’est à lui que le roi confie la garde de la jeune fille, pour sa plus grande perte.
Finalement, Horatio serait à même d’enrayer la machination infernale et il laissera Hamlet aller au suicide et au bout de ses intentions matricides.

Les différences fondamentales entre les deux quartos : le duel

A la scène 16 du quarto de 1603, entrent le roi et Léartes ; ils viennent d’apprendre le retour d’Hamlet. Le roi s’étonne : « - Ils sont partis, et lui, il revient. » Mais il n’a pas le temps d’aller plus loin dans sa réflexion, car déjà Léartes se réjouit de son retour pour mieux lui dire en face : « -Vous allez mourir. » Le roi échafaude en urgence un plan pour tempérer le jeune fougueux. Ici se produit une différence importante et le parallélisme avec « le fratricide puni » est très instructif.
Dans le quarto de 1603, le roi fait l’éloge du talent d’escrimeur de Léartes, talent qui a toujours fasciné Hamlet. « je parierai pour Hamlet, lui dit le roi, et vous l’avantagerez, afin d’augmenter son désir de tenter la victoire. Je parierai que sur douze bottes, vous n’en prendrez pas trois de plus que lui. Ceci étant convenu, quand vous serez échauffés, au milieu de l’assaut, vous prendrez parmi les fleurets une épée affilée, trempée dans un mélange empoisonné si terrible, que, si une seule goutte de sang coule de n’importe qu’elle partie de son corps, il est sûr de mourir. » (p183)
Léartes est sceptique : « - Mais si le seigneur Hamlet refuse cet assaut ? » Le roi lui promet d’engager Hamlet malgré lui et de faire de Léartes un rapport extraordinaire. Nous devons donc interroger méticuleusement la question du duel. Car le roi lui dit : « vous l’avantagerez » et nous ferons de vous « un rapport extraordinaire » ; et si le plan venait à échouer, « je tiendrais prête une potion qui, lorsqu’il demandera à boire dans la chaleur du combat, fera sa fin et notre bonheur. ».
Léartes en est tout émoustillé. On jurait qu’il a envie d’annoncer la bonne nouvelle à la reine. Sauf qu’elle vient annoncer la mort d’Ofélia. La reine décrit alors une scène qui n’a rien à voir avec un suicide. La malheureuse tombe à l’eau alors qu’elle est assise sur une branche de saule avec sa guirlande de fleurs. Portée par ses vêtements, elle est restée ainsi chantant, « comme insensible à sa détresse ». Il faudra tout le poids de l’hypocrisie royale pour renverser la situation et faire passer sa mort pour un suicide – ce qui ajoutera à la détresse de Léartes et à la volonté de la cour de voir mourir ce fou d’Hamlet lors du duel. On observera que dans le quarto de 1604, les seigneurs crient à la trahison non pas lorsqu’elle est révélée, mais lorsque Hamlet tue le roi (dans le quarto de 1603, il n’y a pas de réaction de la cour).

Dans le plan échafaudé par Claudius, il y a une différence importante avec le quarto de 1604. Shakespeare introduit le personnage de Lamord, ce qui permet à Claudius de monter le bourrichon à Laërte et de justifier les écarts de niveau pendant le duel, car Hamlet se montre d’emblée supérieur. L’avantage est double pour Claudius, car il doit se débarrasser de Laërte pour sa tentative de coup d’état et d’Hamlet.

Avant d’en arriver à la scène du cimetière, il faut montrer comment les deux comploteurs prétendent avantager Hamlet, rendre le rapport extraordinaire, et l’engager malgré lui à combattre. Dans le premier quarto (scène 8, p193),
- Ils envoient un gentilhomme qu’Hamlet repère tout de suite : « La cour le connaît, mais il ne connaît pas la cour ». Il pue le musc ; et Hamlet le manipule lui et son chapeau.
- Le pari est grotesque. La vie d’un prince vaut six chevaux contre six rapières. Le gentilhomme n’a pas l’air de connaître la valeur des prix et a peut-être même un défaut d’élocution : en français « les trains » pour « l’écrin » ce qui fait rire Hamlet : « le mot serait plus proche cousin de la pensée, si nous portions une pièce de canon au côté. » (p194).
- Les écarts lors du duel sont tels qu’ils sont prévus par le roi. On a parié « que le jeune Léartes, sur douze passes avec épées et dagues, n’en prendrait pas trois de plus que vous. Le roi a parié de votre côté et désire que vous vous prépariez. »
- Hamlet n’hésite pas à traiter le gentilhomme d’imbécile. Il faudrait avoir le nez bouché pour ne pas le sentir. Mais ce que ressent Hamlet, c’est un énorme malaise (dans « le fratricide puni », Hamlet s’évanouit carrément).

Dans le quarto de 1604, Shakespeare, introduit le personnage de Lamord, non pas pour berner Hamlet mais pour berner Laërte :
- Il lui fait croire qu’il est un escrimeur hors pair. Et lorsque Claudius expose son plan à Laërte, il ne dit rien encore sur le pari ; il s’exprime seulement sur les enjeu qui sont les mêmes (rapières contre chevaux).
- C’est Hamlet qu’il fait passer pour un imbécile. Confiant, il n’examinera pas les fleurets.
- Il est important de noter que dans le quarto de 1603, c’est Claudius qui propose l’empoissonnement de l’épée : « au milieu de l’assaut, vous prendrez parmi les fleurets une épée affilée, trempée dans un mélange empoisonné si terrible, que, si une seule goutte de sang coule de n’importe quelle partie de son corps, il est sûr de mourir. » (ce plan est également dans « le fratricide puni ». Le pari est sensiblement différent puisque le premier qui a 3 point de plus a gagné - cela peut expliquer le coup bas de Leonhardus).
- C’est ce détail entre parenthèse qui est à même d’expliquer la réaction d’Hamlet lorsque Osric vient exposer le pari : « -comment ? et si je répondais non ? » En effet, Osric expose le pari ainsi : « Le roi a parié monsieur, que, sur douze bottes échangées entre vous et Laërte, celui-ci n’en porterait pas trois de plus que vous ; Laërte a parié vous toucher neuf fois sur douze. »

C’est-à-dire que le roi a tellement monté le bourrichon à Laërte qu’il a surenchérit de manière grotesque (le film de Keneth Brannagh présente un Laërte qui renchérit de manière grotesque : il fera neuf touches de mieux que Hamlet). C’est de cette manière qu’on peut affirmer qu’Hamlet acquiert la certitude que c’est un piège et qu’il y va en sachant qu’il n’en réchappera pas. Maintenant pour comprendre pourquoi, c’est la reine qui est visée et pourquoi elle meurt. Il faut revenir à la scène du cimetière – à la lumière de tout ce qui s’est dit auparavant.

Analyse de la scène du cimetière :

Hamlet revient d’Angleterre. Il vient d’échapper à un premier attentat. Cet exil se justifie par le meurtre de Polonius.
Dans le quarto de 1604, à la fin de la scène dans la chambre, où ont eu lieu le crime et l’apparition, Hamlet interroge sa mère : elle sait pour l’Angleterre et lui sait pour le guet-apens.
Dans le quarto de 1603, au début de cette scène 11, la reine a du mal à cacher son trouble. Hamlet a tenté de la confondre à la souricière, et il a fallu l’intervention de Claudius pour détourner cette violence sur sa personne. Avant que de lui parler, Hamlet veut qu’ils prennent des précautions car les murs ont des oreilles. Mais la reine doit sanctionner son fils pour son comportement ; elle commence alors à le tancer pour l’offense faite à son père (Claudius). Polonius écoute, elle doit justifier son propre comportement. Un fois Polonius mort, les choses peuvent se dire.
Cependant, la reine ne s’attend pas à ce que Hamlet sache pour l’assassinat. Hamlet semble savoir qu’il s’agit d’un assassinat par égorgement. Par le spectre, il lui est révélé comme étant un assassinat par empoisonnement – peut-être la rumeur en Danemark.
La reine est effarée, non par les révélations d’assassinat mais par la comparaison des deux icônes paternelles. C’est alors que le spectre intervient pour dire à Hamlet : pourquoi tu diffères ta vengeance ? C’est bien là tout le problème. Pourquoi Gertrude doit mourir ?
Gertrude se sert alors des visions d’Hamlet pour le faire passer pour fou. Certes, elle jure n’avoir jamais rien su de cet horrible meurtre – peut-être bien des larmes menteuses puisqu’elle demande à Hamlet d’oublier « ces vaines visions ». Elle jure effectivement, devant dieu, de cacher, d’accepter et d’exécuter de son mieux le stratagème imaginé par son fils.
La reine poursuit donc dans le mensonge, lorsque le roi vient la rejoindre à la scène 12. Il a tué Polonius par accident. Gertrude, votre fils partira sur le champ pour l’Angleterre. Les préparatifs de son embarquement sont déjà faits. Nous avons envoyé par Rossencranft et Gilderstone à notre frère d’Angleterre nos lettres de recommandations pour le bien-être et le bonheur d’Hamlet. » etc.
Hamlet comprend que l’exil est préparé depuis longtemps. Il part volontiers pour l’Angleterre et dit : « - Adieu ma mère. » parce que pour lui Père et Mère s’est blanc bonnet et bonnet blanc.
A la scène 9, Hamlet est embarqué. Claudius lui souhaite bon vent. La reine en appelle aux cieux pour veiller sur son Hamlet. Mais voilà qu’Ophélie est devenue folle et que son frère est revenu secrètement de France avec l’intention de trucider le roi. La reine lui confirme que son père a bien été assassiné mais pas par Claudius. Le roi le rassure, il est vengé par les anglais.
Décidément les cieux sont contre le roi et la reine. Ophélie meurt accidentellement (à cause d’Horatio dans le quarto de 1604) et Horatio vient annoncer que Hamlet est de retour.
L’occasion est trop belle de faire passer la mort d’Ophélie pour un suicide. Son père est enterré avec hâte et Ophélie avec des rites tronquées.
Ce a quoi, le roi et la reine ne s’attendent pas, c’est que Horatio fasse passer Hamlet par le cimetière a son retour. Et c’est ici qu’ont lieu les véritables révélations. Lesquelles ? Elles ne sont assurément pas les mêmes dans les deux quarto.
Dans le quarto de 1604, l’enterrement a lieu le jour de la St Valentin (1602) – cynisme de l’auteur. Le fossoyeur exerce depuis 30 ans, depuis le jour où naquit Hamlet, c’est-à-dire le jour où le roi Hamlet a vaincu Fortinbras père. A ce moment-là, ça doit gamberger dans la tête d’Hamlet. Mon père apparaît en armure lorsqu’il combattit Norvège. Où était son frère pendant ce temps là ? Avec Gertrude ? Suis-je illégitime, le demi-frère du jeune fougueux Fortinbras qui réclame les terres danoises perdues par son père ?
Dans le quarto de 1603, les révélations semblent porter sur autre chose. Un événement et non un tabou. Le crâne exhumé par le fossoyeur est en terre depuis 12 ans, depuis le duel entre le roi Hamlet et Fortinbras père. Après l’apparition du spectre au début de la pièce, Horatio rapporte les raisons des préparatifs guerriers en Danemark de la même manière. Le duel chevaleresque, ratifié par un contrat scellé, fit perdre la vie et ses terres à Fortinbras. Les raisons de ce duel sont inconnues. Je fais l’hypothèse que la convoitise porte sur Gertrude (impératrice douairière).
Maintenant, l’explication est peut-être encore à trouver. Hamlet fait référence à un événement qui date de 7ans dans le quarto de 1603 (1602 pour Henry Suhamy dans son Hamlet Lear Macbeth Histoire de trois personnages Shakespeariens, éd. Ellipses, 2010) lorsqu’il dit du fossoyeur à Horatio : « Un drôle excellent ! Par le ciel Horatio, voilà 7 ans que je le remarque, l’orteil du paysan touche de si près le talon de l’homme de cour qu’il l’écorche… » (scène 17, p188) Shakespeare fait-il référence à un événement qui date de 1595/96) ? Dans le quarto de 1604, cette mention de date est portée à 3 ans.

Toujours est-il que la procession arrive. Hamlet reconnaît une morte de noble essence. Le prêtre précise à Léartes que si ça n’avait été par égard pour lui et pour le roi, elle aurait été enterrée en plein champ et non en terre sainte.
Léartes, outré veut étreindre une dernière fois sa sœur, il saute dans la fausse. Il faut imaginer ce que le psychanalyste Lacan va oublier de pointer dans son Séminaire le désir et son interprétation. C’est qu’ils vont se retrouver tous les deux à piétiner le corps de la défunte. Ce qui met Hamlet hors de lui, c’est qu’il vient de voir sa mère et ses larmes de crocodiles, pleurer une fille dont ils se sont servis pour le sonder – à moins que ce ne soit lui qui se soit servit d’elle pour ébranler le pouvoir ! Bref, sa mère verse des larmes de crocodiles et lui se dit près à avaler un crocodile.
Dans le quarto de 1603, les tors sont partagés entre le roi et la reine. Le roi arrête Léartes et lui dit : « Retiens-toi, Léartes ! Maintenant il est furieux comme la mer ; tout à l’heure il sera doux et calme comme une colombe ; laisse donc quelque temps carrière à son humeur égarée. » Et la reine lui dit : « Hélas ! c’est sa folie qui le rend ainsi, et non son cœur, Léartes. »(scène 17, p192)
La fin de cette scène est sans ambiguïté, si le metteur en scène veut faire de la reine la complice du roi : « C’est vrai, seigneur. Mais ne nous amusons plus. Aujourd’hui même Hamlet videra son dernier verre. Nous allons lui envoyer le cartel immédiatement. Ainsi Léartes tenez-vous prêt. (…) Venez, Gertrude. Nous referons de Léartes et de notre fils les meilleurs amis du monde, comme ils doivent l’être, s’ils ont pour nous du respect, et de l’amour pour leur pays. »

Analyse du duel aux épées et de la fin tragique de Gertrude :

Mes précédentes analyses de la pièce, d’après la traduction de Jean-Michel Déprats, m’avaient conduit à la conclusion que l’intention de Shakespeare était de conduire Gertrude en enfer, parce que :
- Hamlet ne respecte pas la double injonction du spectre ;
- Il n’aime pas particulièrement Ophélie et il se sert d’elle en lui déclarant son amour pour mieux ébranler le pouvoir ;
- La souricière vise à piéger sa mère et non le roi ;
- Gertrude meurt à la fin ;
- Et lorsque Hamlet tue Claudius, ce n’est pas pour lui dire : « Va en enfer ! » mais « Suis ma mère » (Quarto de 1604).

Dans le quarto de 1603, une analyse du duel qui montre un Hamlet qui déclenche le mécanisme du piège, est moins évidente, car le texte est moins explicite. Il y a bien les deux offenses qui provoquent Léartes :
- la première pour l’obliger à prendre l’épée démouchetée, et la seconde pour l’obliger à blesser son adversaire. Rappelons qu’à l’origine, Léartes doit changer d’épée au cour du duel. Léartes le fait dès la première offense, lorsque Hamlet lui dit « je vais être votre plastron ». Votre protection ? Léartes le prend mal, et change d’épée immédiatement. Ce mouvement incite Hamlet à questionner le maître d’armes : « ces fleurets ont tous la même longueur ? » (scène 18, page 196).
- La deuxième offense a lieu après que la reine ait bu la coupe de vin. Hamlet provoque Léartes : « Allons ! vous vous amusez avec moi ; je vous en prie, tirez votre botte la plus savante. »

La botte qui vient de se jouer avait pour but de tuer la reine. Et l’ordre des choses n’est pas le même que dans le quarto de 1604. Hamlet refuse de boire. La reine s’empare de la coupe : « Tiens, Hamlet, la reine boit à toi. » C’est seulement après avoir bu que le roi s’exclame : « Ne buvez pas Gertrude ! Oh ! C’est la coupe empoisonnée ! »
Hamlet est très au fait de ce qui se passe. Il provoque une seconde fois. Léartes s’adresse à Hamlet : « Je vais vous toucher monseigneur, et pourtant c’est presque contre ma conscience. » Dans le quarto de 1604, Laërte donne cette réplique à Claudius. Et dans ce second quarto, le roi veut stopper le bras de Gertrude qui veut porter la coupe à ses lèvres avant qu’elle ne boive. Mais Gertrude doit mourir : « Je boirai, monseigneur ; excusez-moi, je vous prie. »
Le film de Franco Zeffirelli montre Gertrude mal à l’aise en découvrant au fur et mesure de ce duel le piège qui se trame pour son fils, et le metteur en scène a fait le choix de la faire boire en connaissance de cause, et dans l’espoir de sauver son fils. Au regard du texte ce n’est pas les intentions de Shakespeare. On pourrait même imaginer une mère qui veut faciliter la tâche au roi, au regard des difficultés de Léartes. Elle se précipite pour faire boire Hamlet et lui faire perdre ses moyens. La reine sait pour le cartel mais pas pour le second piège ;confiante, elle boit la coupe empoisonnée.
Dans le quarto de 1603, la reine boit, puis le roi s’esclaffe pour arrêter Gertrude. Les intentions matricides sont déjà affirmées. Mais le destin d’Hamlet est lié à celui de Claudius. Il dit d’ailleurs : « L’arme empoisonnée dans ma main ! Alors poison pour poison. Meurs, damné scélérat. Tiens, bois ! Voici qui nous unit tous deux ! Tiens ! »

Dans le second quarto, Claudius somme Gertrude de ne point boire. Il y a là de quoi glacer l’assistance, et de quoi pour Hamlet confondre le roi publiquement. Mais tous veulent la mort d’Hamlet. D’ailleurs les seigneurs crient à la trahison, non pas quand Hamlet découvre avec la reine que le breuvage est empoisonné mais quand Hamlet tue le roi.

Le reste n’est pas silence et suffit à faire des histoires. Si tu meurs Horatio, dit Hamlet dans le premier quarto, « que de calomnies tu laisseras après toi ! Quelle langue pourra dire l’histoire vrai de nos morts, si ce n’est d’après ton récit ? » « Prenez patience, répond Horatio. Je montrerai au public entier l’origine première de cette tragédie. »
Un an plus tard, Horatio change de discours : « (…) Il n’a jamais commandé leur mort. (…) Et laissez-moi dire au monde qui l’ignore encore, comment ceci est arrivé. Alors vous entendrez parler d’actes charnels, sanglants, contre nature ; d’accidents expiatoires, de meurtres fortuits ; de morts causées par la perfidie ou par une force majeure, et, pour dénouement, des complots retombés par méprise sur la tête des auteurs : voilà tout ce que je puis vous raconter sans mentir. (…) J’ai mission aussi de parler sur ce point [des droits de Fortinbras], au nom de quelqu’un dont la voix en entraînera bien d’autres. » (1604, scène 20, p370)

Quelqu’un ? Qui ? Shakespeare avait-il intention d’écrire une suite ? Shakespeare ?