HORATIO

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18/09/2012

Le désir et le deuil

LE DESIR ET LE DEUIL

Pour Hamlet, le rendez-vous est toujours trop tôt, et il le retarde, quand il agit, c’est toujours avec précipitation. Pour Lacan, devrions-nous dire. Car si effectivement il se précipite sur quelque chose qui remue derrière la tapisserie, c’est pour que son plan n’échoue pas. Pour le reste, il semble s’y préparer contrairement à ce qu’affirme Lacan. Avant de s’embarquer sur le bateau qui le conduit en Angleterre, il sait déjà qu’il aura à faire sauter l’artificier avec son propre pétard.

Pour Lacan, c’est un trait de structure, Hamlet est toujours à l’heure de l’autre. Mais c’est un mirage, car il n’y a pas d’Autre de l’Autre. « Il n’y a pas dans le signifiant de garant de la dimension de vérité instaurée par le signifiant. Il n’y a que la sienne d’heure, à Hamlet. » Ce qui n’est pas démenti par l’histoire. La tragédie d’Hamlet, c’est le cheminement implacable du sujet vers cette heure, c’est le sort commun. Alors qu’est-ce qui fait l’intérêt de la pièce ?

Lacan répond : ce qui manque à Hamlet, c’est de se fixer un but ; « Hamlet est quelqu’un qui, comme le disent les bonnes femmes, ne sait pas ce qu’il veut. » ( ?) En fait si, mourir pour une grande cause. Son désir est une fois de plus réorienté par les troupes de Fortinbras qui vont mourir pour un lopin de terre.

La formule ($  a) au terme de la question que le sujet pose dans l’autre, ce n’est rien d’autre que ce qui est soumis à l’investigation analytique, et qui permet l’exploration de la chaîne inconsciente en tant qu’elle parcourt le circuit supérieur du graphe. La structure générale du fantasme, Lacan l’exprime par ($  a), où $ est un certain rapport du sujet au signifiant, où le poinçon indique la relation qu’il entretient avec une conjoncture imaginaire, où « a » n’est pas l’objet du désir mais l’objet dans le désir.

Le sujet est privé, de par son rapport au signifiant, de quelque chose qui a pris valeur de ce qui le rattache au signifiant. Le signifiant de son aliénation signifiante, c’est le phallus. Parce que le sujet est privé de ce signifiant, un objet particulier devient pour lui objet de désir. Prenant fonction de signifiant, il ne peut être subjectivé comme tel. Le $, c’est le S en tant qu’il ne peut être qu’occulté au point précis où le « a » prend le maximum de sa valeur.

Les objets par excellence, se sont les objets mis en balance avec la mort dans le tournoi final (des chevaux, des épées). Lacan dit, « il s’établit un dialogue ou tout est fait pour que miroitent à vos yeux la qualité, le nombre, la panoplie des objets mis en jeu. » Dans les yeux de qui ? Personne n’est dupe, pas même Hamlet qui accepte de tomber dans le piège – il sait que son heure est arrivée, c’est le sujet du dialogue avec Horatio.

Pour Lacan, c’est ainsi que se présenteraient tous les objets, tous les enjeux dans le monde du désir humain ? Au moment où Hamlet est à la veille de sa résolution, le voilà qui se loue littéralement à un autre, pour rien, et alors que cet autre est son ennemi. Il est intéressé d’honneur dans ce qui l’oppose à un rival d’autre part admiré. Lacan introduit alors le stade du miroir… aux alouettes.

Aux alouettes parce pour Lacan « l’image de l’autre, vous le voyez, est ici présentée comme absorbant complètement celui qui la contemple. (…) C’est en ce paroxysme de l’absorption imaginaire, formellement articulée comme une relation spéculaire, une réaction en miroir, qu’est manifestement situé par le dramaturge le point d’agressivité. Celui qu’on admire le plus est celui qu’on combat. Celui qui est l’idéal du moi est aussi, (…) celui que l’on doit tuer. »

Lacan n’a pas oublié de travailler son image, c’est probablement pour cela qu’il ne nous parle pas du fait que Laertes n’est que le bras armé, d’un autre autrement plus puissant, Claudius. Mais tout à coup, si c’est à Claudius que Hamlet s’est identifié, l’image du coupe bourse de l’empire ne tient plus dans l’analyse. Cette image, c’est Hamlet qui va la révéler au terme de cette histoire.

Ce qui est incroyable, c’est que Lacan conclut que Hamlet perd la vie malgré lui ; qu’il va à la rencontre de son acte et de la mort sans le savoir – d’où sa volonté de savoir ? Lacan ne pose pas le problème ainsi. Autrement dit : « il n’est pas entré dans le jeu avec, disons, son phallus. » Certes mais il est sorti du duel avec – mort aussi. Qui l’aime le suive ! Ce que ne fait pas Lacan.

Dans l’échange des épées , il s’agit de montrer que l’instrument de la mort, Hamlet ne peut le recevoir que de l’autre. C’est au-delà de la rivalité avec le semblable que se joue le drame de l’accomplissement du désir d’Hamlet. « Dans cet au-delà, il y a le phallus. La rencontre avec l’Autre n’est là, en définitive que pour permettre à Hamlet de s’identifier enfin avec le signifiant fatal.

Quel est ce signifiant ? Peut-être que la solution est dans la discussion autour du mot « foil » ? Lacan revient sur le sens de ce mot qui veut dire « écrin ». Hamlet fait un jeu de mots : I’ll be your foil, Laertes – qui a été traduit : Mon fleuret ne sera que fleuret au près du votre. Alors que Hamlet semble lui dire : je serais l’objet de ta jouissance, l’écrin de ton épée. Il ne fait rien d’autre que de se moquer de lui quand Lacan estime qu’il s’identifie à Laertes, qu’il est un rival. Il n’est plus question de l’avoir ; il est question d’être le Phallus, et de se laisser avoir dans ce jeu de dupe.

Lacan pose que Ophélie est le Phallus. Au terme de la tragédie, c’est Hamlet qui l’a. Entre les deux, il y a le discours incompréhensible de Lacan, fascinant pour des générations entières, et piège à regard.

Ce en quoi, cependant je rejoindrais Lacan, c’est lorsqu’il dit que « Shakespeare donne dans son théâtre un rôle essentiel à ces personnages qu’on appelle les fous de cour, à quoi leur position permet de dévoiler les motifs les plus cachés, les traits de caractère que la politesse interdit d’aborder franchement ». Si comme je le disais plus haut, aucun des personnages n’y est à sa place, il est une place vide, c’est celle de Yorick.

La place vacante, c’est celle de Yorick, le fou du roi. Tous semblent avoir fait le deuil de ce personnage que Hamlet rencontre juste avant l’enterrement d’Ophélie. Mais il ne le rencontre pas seulement, il semble prendre sa place parfois – c’est lui qui fait les jeux de mots, qui amuse la galerie, qui planque le corps de Polonius. Le nouveau personnage des temps modernes, c’est peut-être bien le fou, bien seul depuis la mort du roi.

Lacan nous invite à ne pas négliger la façon dont Hamlet fait le fou. Ce qui frappe dans les propos d’Hamlet, c’est la spéciale pertinence du jeu des signifiants dans la dimension du sens. Et Lacan dit : « L’essentiel pour Claudius, l’usurpateur, c’est de démasquer les intentions d’Hamlet, de savoir pourquoi celui-ci fait le fou ». Il sera très vite fixé en l’espionnant dans la galerie. Mais il ne faut pas perdre de vue que la folie d’Hamlet a pour but de démasquer l’usurpateur.

Je ne crois pas que l’identification d’Hamlet se fasse, dans ce calembour, au phallus mortel. C’est bien plutôt une identification au phallus qu’il dénigre depuis le début, celui qui engendre les pêcheurs, et qui lui fait dire à Laertes : je serai votre écrin – votre putain.

Dans l’acte dernier Lacan établit la constellation suivante : un duel entre Hamlet et son double plus beau que lui-même, qui au niveau inférieur du graphe se lit, i(a) – m. Il trouverait en Laertes un rival à sa taille ? La présence de ce semblable remodelé va lui permettre d’être lui aussi un homme, conséquence de la présence immanente du phallus, qui ne pourra apparaître qu’avec la disparition du sujet lui-même – ce que je traduisais plus haut lorsque je disais, il va passer du être le phallus à l’avoir (après sa mort). Il aurait en cela remis de l’ordre au pays du Danemark mais aussi dans les pensées du spectateur qui peut dire : c’était pas une pédale, il est capable de tuer.

La grande question, c’est pourquoi Lacan nous envoie-t-il sur la voie du phallus mortel ? Blessé à mort, Hamlet peut achever son parcours, tuer à la fois son adversaire et le roi, objet dernier de sa mission. Et Lacan d’oublier que dans l’intervalle, il n’y a pas eu seulement échange des épées, Gertrude est tombée et a bu la coupe jusqu’à la lie.

Pour y répondre suivons les traces de Lacan qui revient sur la jalousie du deuil dans la scène du cimetière. « Hamlet ne peut pas supporter la parade de Laertes au moment de l’enterrement de sa sœur ». Mais la souffrance de Laertes n’a rien de la parade. Elle est l’expression d’un rite par trop abrégé. Ce qui est très étonnant c’est l’attitude puérile d’Hamlet – Si tu manges un crocodile, je le ferais aussi. Là, où Lacan nous dit qu’il se retrouve, Hamlet me paraît carrément fou, et je ne crois pas grossir le tableau brossé par Lacan en y ajoutant cette image qui manque : Hamlet piétinant le corps d’Ophélie – la profanation.

Lacan insiste de nouveau sur l’agression dévalorisante subie par Ophélie, devenue pour Hamlet le symbole même du rejet de son désir, pour dire : soudain, cet objet reprend sa valeur – « c’est dans la mesure où l’objet de son désir est devenu un objet impossible qu’il redevient l’objet de son désir ». Ce qui caractérise l’obsessionnel, c’est qu’il s’arrange pour que l’objet de son désir prenne valeur de signifiant de cette impossibilité. A mon avis pour qu’il la piétine ainsi elle ne doit toujours pas avoir la valeur escomptée. Si c’était le cas, il tuerait Claudius sur le champ – le rendant responsable ainsi de la mort d’Ophélie – mais ce n’est pas ce qui se produit.

Ce qui est frappant, c’est que Lacan, tout en s’interrogeant sur la scène du cimetière, en vient à dire le contraire de ce qui se présente sous nos yeux. Ophélie n’aurait que ce qu’elle mérite ? L’image d’une tombe profanée par celui qui dit l’aimer, cela n’a déjà plus rien à voir avec l’image de Hamlet le danois – le personnage auquel le spectateur s’identifie.

Il y aurait donc deux cliniques, dont celle de Lacan, plus savante, qu’il essaye d’arrimer à la clinique freudienne : Quel rapport y a-t-il entre le deuil et la constitution de l’objet dans le désir ? L’objet du deuil prend sa portée d’un certain rapport d’identification que Freud a appelé incorporation. Qu’est-ce que l’incorporation de l’objet perdu ? Le trou de cette perte, qui provoque chez le sujet le deuil, il est dans le réel. « De même que ce qui est rejeté du symbolique réapparaît dans le réel, de même le trou de la perte dans le réel mobilise le signifiant. Ce trou offre à la place où se projette le signifiant manquant, essentiel à la structure de l’Autre. Il s’agit de ce signifiant dont l’absence rend l’Autre impuissant à vous donner la réponse, de ce signifiant que vous ne pouvez payer que de votre chair et de votre sang, de ce signifiant qui est essentiellement le phallus sous le voile. »

Pour Lacan le deuil s’apparente à la psychose. Le ghost, c’est « l’image qui peut surprendre l’âme de tous et de chacun lorsque la disparition de quelqu’un n’a pas été accompagnée des rites qu’elle appelle. » C’est à mon avis bien plus une « apparition » de quelque chose qu’une disparition de quelqu’un qui créait le personnage du ghost. La disparition du vieil Hamlet laisse apparaître Gertrude sous un nouveau visage, une nouvelle image – en miroir Claudius.

Qu’est-ce qui fait trou ? Qu’est-ce qui manque dans le tableau dépeint par Lacan ? L’image d’Ophélie piétinée par Hamlet. Une autre image d’un Hamlet et d’un Lacan pas très tendre avec les femmes. Mais si c’est ce qui est rejeté du symbolique, sous quelle forme cela reparaît-il dans le réel ? Il y a peut-être à interroger la place et le statut des femmes aujourd’hui.