HORATIO

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12/07/2012

La souricière comme pivot


Traitement de la souricière :

Toutes les critiques, nous dit Yannick Butel, à l’exception d’André Lorant (William Shakespeare, PUF, 1992), convergent pour dire de la pièce dans la pièce, qu’elle est le moment d’une vérification. Tous sauf A. Lorant sous prétexte qu’il dit d’Hamlet qu’il accueille la troupe de théâtre de manière « sereine » (p65). La pièce serait un stratagème. La folie aurait son pendant dans la pièce de théâtre parce qu’elle permet à Hamlet « d’entrevoir un moyen d’arriver à ses fins ».

Yannick Butel va même jusqu’à citer Ion Omesco (Hamlet ou la tentation du possible, PUF, 1987), dans une note 11 page 67, qui à juste titre relève que c’est le hasard qui place les comédiens sur le chemin d’Hamlet. « Hamlet était en quête d’une astuce pour démasquer Claudius. Tâche presque impossible car il s’agit d’un crime parfait. » Nul part il est dit dans la pièce que c’est le hasard qui place les comédiens sur la route d’Hamlet. C’est à priori Guidenstern et Rosencrantz. Il est même permis de penser que c’est Hamlet qui les fait venir au château, non pas pour prendre au piège Claudius mais sa mère qui laisse courir des rumeurs étranges sur la mort de son père. C’est en s’interposant que Claudius va attirer les foudres sur lui. J’imagine bien sûr, mais dans la perspective de l’écriture d’une suite au Hamlet, cette idée pourrait bien servir le scénario.

Pour en revenir à la folie, Yannick Butel écrit : il est facile pour la critique analytique de faire correspondre le dédoublement d’Hamlet au dédoublement de la personnalité d’un fou. L’auteur se propose alors de démontrer « qu’il n’y a pas plus de retour à la raison au moment de la souricière qu’il n’y a de folie dans Hamlet. » (p66) Le propos est insensé. Il revient à dire qu’il n’y a pas d’actes fous à la fin de la pièce, pour ne pas dire d’actes d’un fou. Pour tenir pareil discours il faut faire l’économie de l’analyse du duel final. C’est ce que fera Yannick Butel.

Mais poursuivons notre lecture, l’auteur dit que c’est tout autant le fonctionnement que la signification de la pièce qui est à étudier :
- 1) La souricière vaut pour une vérification du message du spectre et la culpabilité de Claudius ;
- 2) La souricière est le pivot de la pièce ;
- 3) La souricière alerte le roi et confirme les doutes de Claudius quant au troubles d’Hamlet.

Au point 1, Yannick Butel répond que chacun s’accorde pour dire que la souricière est l’astuce qu’emploie Hamlet pour s’assurer de la « justesse de son geste » sans pour autant correspondre aux attentes du spectre, la vengeance. La pièce aurait le pouvoir de représenter le crime de Claudius.

Au point 2, Yannick Butel répond : la pièce a ce statut de pivot dans la pièce,
- d’une part, parce que la vérité obtenue engage Hamlet à venger son père,
- d’autre part parce « qu’on ne voit pas de quelle nouvelle manigances Hamlet usera pour continuer à harceler le roi. » (p68)

Moi, j’en vois bien une, c’est le meurtre de Polonius. « On ne voit pas » parce que la critique a dit que le temps de l’action faisait place au temps de l’inaction, parce que la paralysie du geste faisait place à une « méditation sur le théâtre et ce qu’il représente ». A écouter Yannick Butel, nous ne verrions pas non plus : « à lire attentivement, cette scène introuvable, sinon dans les paroles d’un spectre à son fils, innove bien plus qu’elle ne représente. (…) Elle invente le crime que l’histoire écrite par Claudius, a passé à la trappe. (…) La souricière est moins une preuve qu’une trace dont la signification pour Hamlet et son effet sur le drame sont encore à déterminer. » (pp68-69)

On ne demande qu’à entendre cette vérité, mais en attendant revenons sur ce qui vient de ce dire, ou plutôt ce qui ne vient pas de se dire :
- Le message du spectre est double : il y a deux injonctions et deux discours, un sur le père et un sur la mère ; la vérification dans le meurtre de Gonzague est double – elle ne concerne pas la seule culpabilité de Claudius.
- Si le meurtre de Polonius est une manœuvre supplémentaire pour contraindre Claudius au passage à l’acte, ça veut dire alors que le pivot se déplace sur la mort de Polonius, ou encore que la statut de pivot pour la souricière tient à son d’échec.

Il reste encore le point 3 à traiter, ce que Yannick Butel se propose de faire dans un chapitre spécialement réservé au point de vue de la critique qui pense que Claudius, au travers de la souricière a immédiatement compris qu’il était visé et que, tout comme le fauve blessé, il va redoubler d’agressivité pour la défense de sa vie. L’auteur décide alors de laisser pour le moment « l’ensemble des détails qui contrarient ce jugement » (p69), pour étudier cette proposition ; et quelques autres comme celle de Marc Perri (Alternatives théâtrales n°5, 1988) sur la supériorité de l’illusion sur la vérité ; ou encore celle de Jean Paris qui compare le conflit sournois entre Hamlet et Claudius à la fable de Machiavel.

Malgré la preuve de la culpabilité de Claudius, la vérification des allégations du spectre, Hamlet a du mal à sortir de l’impasse de l’inaction. « En effet, à l’issue de la représentation théâtrale chacun des deux adversaire sait qu’il a un ennemi mortel en face de lui ». (p70) Yannick Butel rappelle, après A. Green, que tout ce passe comme si la tragédie cessait d’avoir pour action le meurtre de Claudius par Hamlet, mais plutôt le meurtre d’Hamlet par Claudius. « L’élimination du prince posant à Claudius les mêmes problèmes qu’à Hamlet puisqu’il serait dans l’impossibilité de produire les preuves suffisantes du délit d’Hamlet. (…) Or ce motif, ce délit qui ne peut être confondu au délire d’Hamlet, le meurtre de Polonius lui en fournira l’occasion affirme la critique qui voit en cet événement le signe déclencheur de l’action de Claudius et la précipitation du drame. » (pp70-71)

Yannick Butel nous met en garde contre une souscription trop hâtive à cette interprétation, sous prétexte que c’est le premier meurtre visible de la pièce :
- qui incrimine Hamlet ;
- et qui atteste en apparence de sa folie.

« Toutefois, qui veille à ce qui est écrit ne peut l’entendre de cette oreille », parce que :
- c’est une méprise d’Hamlet ;
- ce n’est guère plus un avertissement puisque le prince ne peut rien prouver.

Le propos de l’auteur s’appuie sur des idées reçues de la critique, et si l’auteur prenait la peine de lire ce qui est écrit, il s’apercevrait qu’il est permis de douter de cette idée que la mort de Polonius est une méprise. Encore faudrait-il que Yannick Butel ne s’interdise pas d’étudier « l’ensemble des détails qui contrarient ce jugement ». A commencer par ces deux faits :
- Hamlet vient de croiser Claudius en prière ; il ne peut donc être dans la chambre de Gertrude.
- Gertrude envoie Rosencrantz et Guildenstern chercher Hamlet. Ils disent devant nombre de témoins qu’elle désire lui parler dans sa chambre où elle est censée être seule.

Comment Claudius pourrait-il justifier l’élimination d’Hamlet devant le peuple Danois pour le meurtre de Polonius ; ce ne peut être une méprise puisque ni lui ni le Chambellan n’avaient de raisons d’être avec la reine.

Pour Yannick Butel, le meurtre de Polonius pose problème « si on prétend qu’il s’inscrit dans une logique de la vengeance. En revanche ce meurtre (…) peut être interprété différemment si l’on déplace le regard sur la personne de Claudius qui s’en sert pour faire valoir sa haine inavouable pour le prince. » (p71)

C’est là qu’intervient la manipulation clé que Yannick Butel prépare depuis le début : la preuve de cette haine de Claudius envers Hamlet est inscrite dans les ordonnances préparées et scellées juste après la souricière (acte 3 scène 3), remises à Guildenstern et Rosencrantz après le meurtre de Polonius sans être retouchées.