HORATIO

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Antic Disposition

Résumé classique de l’histoire :

Hamlet, c’est l’histoire d’un jeune Prince qui ne se remet pas de la mort de son père, le Roi du Danemark. Il n’accepte pas et ne comprend pas le remariage précipité de sa mère, Gertrude, avec son Oncle. Il ne parvient pas à faire le deuil. Il devient mélancolique.

Et puis un jour, le spectre de son père vient lui révéler les conditions de sa mort. Il a été assassiné par son frère, Claudius, pour lui ravir femme et couronne. Le spectre ordonne à Hamlet de le venger.

Hamlet décide de feindre la folie. Il devient bizarre auprès de son entourage qui commence à le sonder. Le roi, la reine, veulent découvrir les raisons de ce changement de comportement. Sur les conseils de Polonius, leur conseiller, ils se servent d’Ophélie pour observer ses réactions. Claudius comprend que Hamlet lui en veut d’avoir usurpé le pouvoir. Il projette de l’envoyer en Angleterre pour affaires.

Ils envoie également deux amis d’Hamlet pour le sonder. Rosencrantz et Guildenstern, pour le divertir, proposent à Hamlet d’organiser un spectacle avec une troupe de théâtre tout juste arrivée au château.

Comme Hamlet doute des révélations et de l’honnêteté du fantôme, pour s’assurer que Claudius est bien le meurtrier de son père, il fait jouer une pièce de théâtre qui représente la scène décrite par le spectre. Pris au piège, le roi s’en va pendant la représentation.

La mère d’Hamlet, sur les recommandations de Polonius, conseiller du roi, reçoit son fils dans sa chambre afin de le sermonner. Hamlet est si virulent avec sa mère que Polonius, caché dans la pièce, appel des gardes au secours. Hamlet tue l’espion à travers la tenture.

Claudius décide alors de se débarrasser d’Hamlet. Hamlet part sur le champ pour l’Angleterre, escorté par Rosencrantz et Guildenstern, deux porteurs de lettres cachetées ordonnant sa mise à mort. Pendant la traversée, l’intervention de pirates est favorable à Hamlet et il parvient à s’échapper.

Pendant cet exil forcé, le fils de Polonius revient secrètement de France. Laërte découvre que pour étouffer l’affaire, son père a été enterré en secret. Laërte réclame la tête du responsable et la couronne du Danemark en dédommagement. Sur ces entrefaites, Laërte découvre que sa sœur est devenue folle. De surcroît Ophélie meurt noyée.

Pendant l’enterrement d’Ophélie, soupçonnée de s’être suicidée, Hamlet réapparaît. Horrifié par la mort de celle qu’il aimait, il s’en prend à Laërte pour lui signifier qu’il est du parti des offensés.

Claudius propose alors à Laërte de venger sa famille en piégeant Hamlet au cours d’un duel d’honneur. Laërte enduira son épée d’un poison mortel et Claudius lui réservera une coupe de vin empoisonnée. Lors du duel, Gertrude boit la coupe malencontreusement. Nettement supérieur à lui en escrime, Laërte est contraint de blesser Hamlet par un coup bas.

Dans un dernier assaut, Hamlet désarme Laërte et constate qu’il a démoucheté son épée. Ils font l’échange des armes. Laërte se fait prendre à son propre piège ; il est blessé par l’épée empoisonnée. Avant de mourir Laërte désigne Claudius comme étant le traître. Hamlet venge son père en tuant Claudius.

Le sens des révélations :

C’est le sens que l’on donne habituellement à la pièce. L’époque est en pleine mutation idéologique. Les théories religieuses sur les spectres font place au scepticisme. Les fantômes sont des images forgées par l’esprit. John Dover Wilson en fait un résumé très intéressant dans le chapitre fantôme ou démon ? de son livre (Vous avez dit Hamlet ?, éd. Aubier, 1988, p70-72).

Shakespeare, dit-il, introduit un vrai spectre et en montre l’effet sur des personnages dont les opinions reflètent celles du public :
- Avant la réforme, la doctrine catholique du purgatoire expliquait la présence des fantômes par le retour des esprits défunts : c’est censé être l’opinion des deux soldats, Marcellus et Bernardo ;
- Chez les protestants, comme Hamlet (étudiant à l’université luthérienne de Winttenberg), en l’absence de purgatoire, les fantômes sont soit des anges soit des démons ;
- L’école chrétienne, représentée par Horatio, ne nie pas l’existence des esprits mais conteste leur pouvoir d’affecter une forme matérielle. En un mot, « les apparitions ne peuvent être qu’illusions d’esprits mélancoliques ou scélératesses de vauriens. »

Un « vauriens » :

En d’autres termes, si Horatio ne voyait pas le spectre de ses propres yeux, il n’aurait pas une très haute estime de son ami Hamlet. Que dire alors de la position de sa mère, Gertrude, qui dans ses appartements ne voit pas le fantôme de son défunt mari ? John Dover Wilson se garde bien de soulever la question de l’idéologie de la propre mère d’Hamlet, ou de savoir si elle le considère comme un « vaurien ». La question mérite pourtant une réponse.

Les analystes, bottent en touche ; ils diront de cet étrange phénomène qui se produit dans la chambre de Gertrude : elle ne voit pas le spectre parce qu’elle a tiré un trait sur son mari. Je dis que le spectre réapparaît à un point culminant où il faut rappeler à Hamlet et au spectateur qu’il a une deuxième injonction à respecter : ne pas faire de mal à sa mère.

C’est pour Hamlet une posture intenable. Il est en présence d’une mère dans l’incapacité de le protéger. Elle ne se précipite, non pas pour dire : « je viens de croiser mon fils en train de converser avec le diable, un démon ou un ange – peu importe : ce que vous voudrez », mais pour dire : « Il vient de commettre un acte fou, celui de tuer Polonius ».

Dès le début, il se produit la même chose avec Marcellus et Horatio, Hamlet scelle leur silence à propos de ce qu’ils ont vus. Il leur fait jurer de ne rien dire ; et ils ne vont pas le décevoir. Là encore, c’est l’image d’un Hamlet conversant avec l’au-delà qui les terrorise, car il n’est pas sûr que Horatio et Marcellus entendent le spectre ordonner de jurer.

Equilibre psychique du héros :

Le problème dans cette pièce, c’est qu’on ne se pose plus de questions sur la pertinence ou le bien fondé à se trouver derrière une tenture ou à écouter au portes. Quel espace de liberté reste-t-il au sujet ? et quelles conséquences pour son équilibre psychique ? Michaël Almereyda, nous en donne une bonne démonstration dans son adaptation de la pièce au 20ème siècle : Dans la scène de la galerie, Ophélie porte un micro pour que les espions légitimes puissent entendre la conversation.

Certes, c’est grave de tuer un homme ; et c’est peut-être plus grave encore de l’excuser. L’intérêt de la discussion tient peut-être à cette idée : on aurait pu éviter que ça se finisse dans un bain de sang. Peut-être qu’est là l’intérêt du théâtre ? Shakespeare a voulu nous montrer où ça pouvait nous mener. Il ne savait pas dans quels proportions.

Interprétation des trois souricières :

Cela nous mène à ce premier constat, depuis que cette pièce existe, il semble qu’un glissement de sens se soit opéré, à force de petites modifications du texte (notamment dans sa traduction) et par le biais d’interprétations successives.

On en arrive à trois interprétations erronées des 3 souricières qui nous sont proposées par Shakespeare :
- Dans la scène de la galerie, il est communément admis qu’Ophélie a rompu avec Hamlet – à la demande de son père, Polonius. Alors que l’inverse peut être démontré.
- La souricière (la pièce dans la pièce) est généralement vue comme un moyen d’attraper la conscience du roi qui fonctionne. Alors que l’inverse donne une explication plus plausible au retard de l’action.
- Le duel final est un piège qui ne peut échapper à Hamlet, alors qu’il est interprété par les acteurs comme une félonie qui lui échappe.

Référence à Œdipe Roi : « antic disposition »

L’analogie entre les destinées d’Œdipe et Hamlet a souvent été remarquée. « Le premier mythe vient de Grèce, celui de Hamlet du Danemark, sans qu’on sache si ses auteurs lointains ont subi l’influence grecque. Quant à Shakespeare, rien n’indique qu’il ait songé au rapprochement que nous faisons ici, ni même qu’il ait lu Eschyle et Sophocle, mais il a certainement connu les versions écrites par Sénèque, auteur d’un Œdipe. » (Henri Suhamy, Gisèle Guillo, Hamlet, coll. Profil d’une œuvre, éd. Hatier, 1994, p69)

Il est tant de revenir au texte pour expliquer pourquoi ce personnage a été façonné pour séduire alors qu’il n’est peut-être qu’un monstre.

Je remercie le Professeur, François Laroque de la Sorbonne (université Paris 3) pour avoir…

http://www.forumuniversitaire.com/CONFONLINE/confonline-litterature%2020.htm (lire)
http://www.forumuniversitaire.com/confecoutecat.php?cat=Litt%E9rature (écouter)

…mis sous mes yeux les mots anglais « antic disposition » qui ont été traduits par « humeur bouffonne ». François Laroque explique dans sa conférence que la folie endossée par Hamlet est identifiable à celle exercée par le fou du roi.

Comment se fait-il que l’on n’insiste pas plus sur les similitudes qui existent entre les destins de Hamlet et Œdipe Roi – pas du point de vue de l’oedipe freudienne mais du point de vue d’une « antique disposition » justement. Hamlet, ce n’est pas l’enfant qui aurait voulu tuer son père et coucher avec sa mère. Hamlet, c’est l’enfant qui se trouve dans la position d’être rejeté parce qu’il est différent. Œdipe, ça veut dire « pied enflé » ; et c’est la raison pour laquelle il est abandonné.

Où trouve-t-on des signes de cette référence à l’Oedipe ? Dans le texte. Hamlet n’a pas encore rencontré le spectre. Il monte la garde avec Marcellus et Horatio. Il disserte sur les beuveries qui ruinent la réputation du Danemark et annonce alors comme un présage :

« Hamlet : - (…) Pareille chose arrive souvent aux individus qui ont quelque vicieux signe naturel. S'ils sont nés (ce dont ils ne sont pas coupables, car la créature ne choisit pas son origine) avec quelque goût extravagant qui renverse souvent l'enceinte fortifiée de la raison, ou avec une habitude qui couvre de levain les plus louables qualités, ces hommes, dis-je, auront beau ne porter la marque que d'un seul défaut, livrée de la nature ou insigne du hasard, leurs autres vertus (fussent-elles pures comme la grâce et aussi infinies que l'humanité le permet) seront corrompues dans l'opinion générale par cet unique défaut. Un atome d'impureté perdra la plus noble substance par son contact infamant. (Entre le spectre). » (Acte 1, scène 4)

Après la rencontre avec le spectre, Hamlet ne fait pas que demander à Horatio et Marcellus de ne montrer aucun étonnement lorsqu’ils le verront affecter une « humeur bouffonne ». Il les menace de mort s’ils venaient à rompre leur serment. De quelle humeur parle-t-il ? Si c’est d’une posture de fou du roi, lorsqu’elle est tenue par le bouffon, elle n’a pas valeur de folie réelle. Tenue par Hamlet, elle est un déplacement sur un prétendant au trône et a pour conséquence la disqualification du personnage princier.

Héros disqualifié par son entourage :

C’est comme pour le culot de Polonius, ce dernier ne se permettrait pas d’annoncer qu’Hamlet est fou à la reine, si le couple royal n’en était pas déjà convaincu ou, tout du moins, s’ils n’étaient pas déjà disposé à l’entendre. Ce rôle de bouffon, Hamlet n’aura aucune difficulté à l’endosser parce qu’il est déjà considéré comme tel.

- Sa relation à Ophélie n’est pas prise au sérieux par les personnages de l’histoire. C’est la raison pour laquelle il lui sera facile de rompre avec elle, et elle de se laisser manipuler par son père.
- Lorsque Polonius va pour le sonder et qu’il est pris pour un marchand de poisson ou un maquereau (selon les traductions) par Hamlet, Polonius le prend au premier de degré – il ne fait pas semblant lorsqu’il dit en a parte qu’Hamlet ne l’a pas reconnu. (acte 2 scène 2)

POLONIUS. - Eloignez-vous, je vous en conjure, éloignez-vous tous deux ; je veux l'aborder sur-le-champ. Oh ! laissez-moi faire. (Sortent le Roi, la Reine et leur suite.) Comment va mon bon seigneur Hamlet ?
HAMLET. - Bien, Dieu merci !
POLONIUS. - Me reconnaissez-vous, monseigneur ?
HAMLET. - Parfaitement, parfaitement : vous êtes un marchand de poisson.
POLONIUS. - Non, monseigneur.
HAMLET. - Alors, je voudrais que vous fussiez honnête comme un de ces gens-là.
POLONIUS. - Honnête, monseigneur ?
HAMLET. - Oui, monsieur. Pour trouver un honnête homme, au train dont va le monde, il faut choisir entre dix mille.
POLONIUS. - C'est bien vrai, monseigneur.
HAMLET. - Le soleil, tout dieu qu'il est, fait produire des vers à un chien mort, en baisant sa charogne. Avez-vous une fille ?
POLONIUS. - Oui, monseigneur.
HAMLET. - Ne la laissez pas se promener au soleil : la conception est une bénédiction du ciel ; mais, comme votre fille peut concevoir, ami, prenez garde.
POLONIUS. - Que voulez-vous dire par là ?. (A part. ) Toujours à rabâcher de ma fille !... Cependant il ne m'a pas reconnu d'abord : il m'a dit que j'étais un marchand de poisson. Il n'y est plus ! il n'y est plus ! Et, de fait, dans ma jeunesse, l'amour m'a réduit à une extrémité bien voisine de celle-ci. Parlons-lui encore. (Haut.) Que lisez-vous là, monseigneur ?

Ambivalence de la mère d’Hamlet et du spectateur :

L’entourage d’Hamlet n’a pas un regard « normal » sur le héros. Et le point de vue de Polonius dans l’extrait qui précède est le plus flagrant. Cela va au-delà de la posture de Rosencrantz et Guildenstern qui ne parviennent pas à dissimuler leurs intentions de sondage.

Avec sa propre mère, le rejet de celle-ci est plus difficile à démontrer, car la relation à son fils est ambivalente. Les subtilités de la mise en scène, et les illusions provoquées par Shakespeare favorisent l’ambivalence du spectateur :

- La réponse de Gertrude est ambivalente lorsque Polonius lui rapporte les raisons de la folie de son fils. Elle se rallie à la proposition de Polonius : l’amour l’a rendu fou, pour mieux faire oublier la relation incestueuse avec son beau-frère (ou autre chose). Alors que tout porte à croire que la lettre lue par Polonius est une lettre d’adieu.
- Au moment où Laërte part pour la France, l’entrée en scène laisse croire que c’est son frère, puis Polonius, qui introduisent le sujet de l’amour d’Hamlet, alors que c’est Ophélie qui s’étonne de cette soudaine déclaration d’amour. (Voir Arguments)
- Dans la traduction de Jean-Michel Déprats (éd. Bilingue présentée par Gisèle Venet) Gertrude ne sort pas dans la scène de la Galerie : elle espionne les espions légitimes.
- Après la scène dans la chambre de la reine, elle ne s’oppose pas au départ pour l’Angleterre de son fils.
- Dans un premier temps, la reine refuse de rencontrer Ophélie devenue folle.
- Aux funérailles d’Ophélie, les propos de Gertrude sont de véritables larmes menteuses, au regard de ce qui précède.

Dispositif de l’aliénation : la souricière

Il y a deux lectures possibles de la souricière :
- celle où Hamlet joue le rôle du cœur pour reprendre l’expression d’Ophélie ; où Hamlet fait le niais ; où il est cynique ; où il prend une humeur bouffonne.
- celle où Hamlet ne parvient pas à dissimuler son inquiétude quant à ses projets d’attraper la conscience du roi. Hamlet devient instable, agité, au fur et à mesure qu’il s’aperçoit que son plan va échouer. Ces perspectives d’une folie du héros, ou d’une fausse folie pour s’immuniser contre les menaces d’une vraie démence, ne sont pas exploitées, ni même reconnues. Elles ont le « défaut de se référer à une conception réaliste de la littérature peu en accord avec l’esthétique Shakespearienne, et surtout elles ne sont pas étayées par le texte. De plus, tout se complique par le fait que le spectateur ne voit jamais le héros en train de simuler un état délirant (…). » (Henri Suhamy, Gisèle Guillo, Hamlet, coll. Profil d’une œuvre, éd. Hatier, 1994, p33)

- Lorsque Hamlet doit prendre place au début de la souricière (pièce dans la pièce). Il dit à Horatio : le roi et la reine arrivent pour le spectacle. Cherche toi une place, moi « je dois faire le niais », « I must be idle ». Comment en est-on arrivé à cette traduction ? (idle = oisif, inoccupé, ralenti)

S’il est possible de traduire « idle » par « niais », il faut en tout cas le comprendre comme étant l’état d’esprit où on l’attend. Mais si c’est « oisif » que Hamlet a voulu dire, il faut bien reconnaître qu’il va être dépassé par les évènements.

Hamlet est bien plus que débordé par ses intentions de feindre la folie. Hamlet, par l’entremise de Shakespeare, a mis en place un dispositif aliénant, où il ne parviendra pas à confondre son oncle et à obtenir des réponses quant au régicide et à la complicité de sa mère. L’illusion est pourtant parfaite, le roi se lève avant la fin de la représentation mais on ne sait pas si c’est parce qu’il vient d’assister à une représentation de son meurtre ou à une scène obscène d’un neveu (Lucianus) qui réclame de coucher avec sa tante (Baptista).

Après la représentation, Horatio essaye bien de lui suggérer qu’il pourrait n’avoir qu’une demi-part dans un théâtre, Hamlet ne veut rien entendre – le spectateur non plus d’ailleurs.

Hamlet n’entend plus rien. Est-il devenu fou ? Etait-il déjà sérieusement dérangé ? Il n’entendra pas Polonius derrière la tenture. Il fait le niais quand il doit partir pour l’Angleterre. Il piétine le corps d’Ophélie dans sa tombe. Il fait le niais quand il doit affronter Laërte en duel.

Cela va au-delà d’une feinte pour arriver à coincer Claudius. Hamlet massacre son entourage !

Duel final :

La façon dont Hamlet aborde le duel d’honneur final mérite vraiment qu’on s’y arrête. Hamlet ne parviendra pas à savoir si son Oncle est le meurtrier de son père. Il parviendra tout juste à savoir que son Oncle est un traître dans ce duel, un allié de Laërte qui doit venger son père.

On retient habituellement de ce duel qu’il est un piège pour Hamlet, qu’il en a le pressentiment mais que si son heure est venue, c’est qu’elle n’est pas à venir. Le dispositif du dénouement créé par Shakespeare va bien au-delà de ces propos tenus par Hamlet.

Lorsque Claudius présente le piège à Laërte, il lui dit qu’Hamlet ne pensera pas à examiner les fleurets, notamment celle démouchetée. L’intérêt de la discussion sur l’escrime à cette époque (voir points de vue des Maîtres d’armes), c’est que la mouche se voit comme le nez rouge d’un clown. Ils le prennent pour un niais.

Il y a d’autres éléments qui ne laissent aucun doute sur les intentions de Shakespeare de suicider son héros :
- Hamlet sait que Claudius l’envoyait en Angleterre pour le faire exécuter. Il devrait être vigilant pour la suite des évènements.
- Les enjeux du duel sont aussi grotesques que le chapeau d’Osric qui vient annoncer à Hamlet que, sur 12 assauts, Laërte fera 9 touches de plus. Cet effet comique a été annulé dans la traduction française.
- Hamlet fait le niais avant les assauts, Laërte ne réagit pas montrant ainsi à son adversaire que le duel est truqué. Hamlet le provoque pendant le duel ce qui oblige Laërte à le blesser mortellement par un coup bas.
- Pendant le choix des épées, Laërte feint d’avoir choisi une épée trop lourde. Le juge confirme à Hamlet qu’elles sont de même poids.

Il y a donc un intérêt théâtral de Shakespeare à montrer au spectateur comme à Hamlet que ce duel est truqué. Hamlet est à la place qui lui est assignée. Cela va bien au-delà de la feinte.

Tragédie de la vengeance :

Les références historiques servent à attirer notre attention sur le fait que Hamlet est une tragédie de la vengeance au même titre que La tragédie espagnole de Thomas Kyd (1592) par exemple. La noblesse ne s’acquiert pas seulement par le sang, mais aussi par les actes. Le vengeur s’empêtre dans ses complots, parce qu’il a affaire à un ennemi redoutable et aux aguets, d’autant plus redoutable qu’il aura été prévenu de ce qui l’attend. « Chacun des deux chasseurs devient le gibier de l’autre, d’où une tension dramatique très captivante pour les spectateurs. » (Henri Suhamy, Gisèle Guillo, Hamlet, coll. Profil d’une œuvre, éd. Hatier, 1994, p55)

Le cas de Claudius, nous disent H. Suhamy et G. Guillo, peut d’ailleurs servir d’exemple :
- adultère, fratricide et régicide, usurpation, ces crimes sont assez graves pour atténuer les scrupules.
- Les hésitations d’Hamlet portent sur les fins beaucoup plus que sur les moyens. Peut-on cependant déduire qu’il est narquoisement étranger à l’idéologie vindicative ? (p54 et 55). Les auteurs répondent qu’il y a élargissement du thème de la vengeance : Fortinbras, Laërte, Pyrrhus, vengent la mort de leurs pères.
- Sans oublier bien sûr « le vieux Hamlet, Polonius et Ophélie [qui] ont en commun d’avoir subi une mort violente, imputable à un homme encore vivant et impuni, et d’avoir été enterrés à la hâte, comme honteusement, sans que l’essentiel des cérémonies funéraires ait été accompli, et le deuil observé. » (p56)

Si Shakespeare est remonté aux origines mythiques et anthropologiques du devoir de vengeance, il s’en écarte par une « antique disposition » de son héros dont le savoir sur le meurtre n’a pas valeur de vérité :
- Hamlet n’a pas de preuve du meurtre de son père.
- Le moyen mis en œuvre, la souricière, est un échec.
- La mort de Polonius et de sa fille est imputable à Hamlet.

Les trois points avancés par H. Suhamy et G. Guillo pour servir la théorie d’une tragédie de la vengeance, masquent les fins voulues par Shakespeare : le meurtre de la mère, occulté par le soupçon de régicide (même si le spectateur a accès aux scrupules de Claudius pendant la scène de la repentance) et la fin tragique du héros.

Hamlet n’a pas de raison d’en vouloir inconsciemment à sa mère s’il n’avait cette place de niais, de fou, dont il faut se débarrasser comme Laïos et Jocaste se débarrassent d’Œdipe.

Hamlet et sa « mélancolie » :

Dans son Shakespeare, Comme il vous plaira (éd. Gallimard, 1991, pp104-107), François Laroque rappelle que la médecine était dominée par les théories de Galien, médecin grecque du 2ème siècle après JC. La doctrine de base était celle des 4 humeurs dont les composantes formaient la base du caractère de la personne :
- la sanguine : chaude et humide comme l’air, elle provenait du froid, siège des passions ;
- la colérique : chaude et sèche comme le feu ;
- la flegmatique : froide et humide comme l’eau, elle venait des reins ou des poumons ;
- la mélancolique : froide et sèche comme la terre, elle pouvait produire un excès de bile noire.

Les affections s’expliquaient par un déséquilibre entre ces humeurs qui devaient normalement régner en de justes proportions dans l’organisme. La mélancolie était le mal du siècle. Les remèdes étaient peu sûrs. Ils allaient de la pharmacopée par les plantes aux drogues et onguent divers.

Si Shakespeare ne se montre jamais esclaves de ces doctrines, son œuvre dramatique reflète ces connaissances. Ainsi, dès le début, Claudius et Gertrude font allusion à la mélancolie qui ronge Hamlet – avant même sa rencontre avec le spectre. Cette reconnaissance de sa folie par Claudius semble être une blessure narcissique bien plus préjudiciable pour lui qu’il n’y paraît. Et cette blessure opère bien avant les révélations du spectre.

Tout au long de la pièce, Hamlet n’aura de cesse de luter contre cette folie qui lui est reconnue et imputée :
- Il fait une première chose insensée pour ses compagnons d’armes : se retirer en prière ;
- Il prévient de son « antic disposition » ;
- Polonius interprète la folie d’Hamlet comme une folie d’amour ; il se tourne vers le couple royal pour le faire accepter, non pas la folie, mais les causes de la folie.
- Après la scène de la galerie, Ophélie supplie le ciel : « guérissez-le », parce qu’il raisonne comme une « cloche fêlée ».
- Avant la représentation, il rappelle ce que l’on attend de lui : faire le niais ;
- Dans la chambre sa mère lui demande de faire une réponse saine ; Hamlet lui demande de prévenir le roi qu’il n’est fou que par ruse.
- Si c’est pure folie que d’avoir tué Polonius, dixit la reine. C’est bien plus dérangé encore de jouer avec son cadavre.
- Sans oublier le savoir populaire, présentifié par les fossoyeurs, lorsqu’ils énoncent les raisons de l’exile d’Hamlet ;
- Claudius qui demande à Gertrude de faire surveiller son fils après la scène du cimetière ;
- Hamlet qui s’excuse auprès de Laërte et qui se sait affligé d’un cruel égarement.




Écrit par horatio in love Lien permanent | Commentaires (0)

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