HORATIO

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Analyse Acte 2




L’acte 2 est celui qui campe les Sujets et prépare le piège du spectateur.

Cet acte est court, mais il montre les personnages sous leurs vrais visages. Polonius, le roi et la reine sont de puissants personnages, calculateurs, où les désirs des uns viennent contrer les désirs des autres.

Entre l’acte 1 et l’acte 2, un mois s’est probablement écoulé. Entre les deux, Hamlet s’est retiré en prière ; il réapparaît aux yeux d’Ophélie pour une vision d’horreur sans que l’on sache encore si c’est provocation, conséquence de l’horreur des révélations et de sa prostration ou si Hamlet est débordé par sa propre folie.

A la scène 1, Polonius confie à Raynaldo la mission d’aller en France pour, entre autre, espionner son fils Laërtes et s’assurer de ses bonnes mœurs. Shakespeare dépeint un grand chambellan, certes calculateur, mais qui se soucie du bien-être de sa famille. Raynaldo est présenté comme le serviteur loyal qui ne veut porter atteinte à la notoriété du seigneur Laërte, tout en remplissant ses obligations. Cependant, c’est peut-être bien lui, de son propre chef ou sur ordre, qui préviendra Laërte de rentrer de France de toute urgence (acte 4) au regard des évènements qui se précipitent au Danemark.

C’est après cette remise de missives au contenu très obscure, qu’intervient Ophélie. Hamlet, comme hors de lui-même, est entré par effraction dans sa chambre. Ophélie décrit un Hamlet « lâché de l’enfer pour raconter des horreurs ». Qu’a-t-il dit ? Rien. Dans un soupir très profond, il a retrouvé son chemin sans y voir. La réaction de Polonius masque à peine ses ambitions pour sa fille : « son amour pour toi l’a rendu fou ! » Allons voir le roi. « C’est bien là le délire même de l’amour ».

Nous avons vu à l’acte précédent que la déclaration d’amour à Ophélie, correspond à un passage à l’acte d’Hamlet. Cette déclaration d’amour précipite les réactions d’Ophélie, sur ordre de son père : « comme vous me l’aviez commandé, j’ai repoussé ses lettres et je lui ai refusé tout accès près de moi. » Polonius s’enferme alors dans le déni de sa propre implication au sein du pouvoir. Plutôt que de s’avouer manipulateur, voire complice du coup d’état de Claudius, Polonius plaque sur la réalité des actes posés par Hamlet, la théorie de l’amour fou – quand bien même il sait : « je craignais que ce ne fût qu’un jeu, et qu’il ne voulût ton naufrage. »

A la scène 2, la réalité bascule avec les tentatives de sondages. A l’instar de Polonius avec Raynaldo dans la scène précédente, le roi et la reine font venir deux amis de leur fils, Rosencrantz et Guildenstern, pour sonder Hamlet et trouver à sa transformation, « un autre motif que la mort de son père » et ce « mariage précipité ». Il s’agit de ne pas attirer l’attention sur les causes du trouble de Hamlet. Et la théorie de l’amour fou pour Ophélie arrive à point nommé, comme point aveugle – au même titre que les deux messagers, Cornélius et Voltimand, qui reviennent pour annoncer que le vieux Norvège a fait arrêter Fortinbras ; que ce dernier consent à diriger son armée contre les polonais… O y croit !

C’est dans l’euphorie de cette illusoire victoire diplomatique sur les Norvégiens, que Polonius interpelle le roi et la reine sur les causes de la folie d’Hamlet. Il tient pour preuve de cet amour fou, une lettre d’adieu ( ?). Il tient au couple royal un discours qui pourrait lui valoir sa tête, s’ils n’étaient déjà prêt à le recevoir ce discours. Aveuglés par leur volonté d’éliminer le trouble d’Hamlet, ils ne voient pas que Polonius détourne le sens de cette lettre. Ce qui est en jeu, ce n’est pas la vérité sur les causes de la folie, mais l’acceptation de « la folie qui l’égare maintenant et nous met tous en deuil. » Et sur ce point, tous sont d’accord, la reine la première : « C’est très probable. »

« Comment nous assurer de la chose ? » questionne le roi. Laquelle ? devrait s’interroger le spectateur. La cause ? ou l’effet ? Parce que pour ce qui est de la rendre fou, il vont s’y atteler à commencer par la reine qui « balance » son fils en le voyant arriver dans la galerie, un livre à la main.

S’ensuit une série de sondages, où Hamlet doit parer les coups et démasquer ceux qui tirent les ficelles.
- Avec Polonius, il est assigné à une place de fou ; il lui pose une question débile : « me reconnaissez-vous ? » Le second degré de la réponse d’Hamlet – « parfaitement, vous êtes un marchand de poisson » - n’est pas repéré par Polonius qui pense qu’il ne l’a vraiment pas reconnu. D’ailleurs Polonius pense à voix haute, il ne prend pas de gants, et n’hésite pas à subjectiver l’autre : « Toujours à rabâcher de ma fille », « Quoique que ce soit de la folie, il y a pourtant là de la suite » , « Comme ses répliques sont parfois grosses de sens ». Répliques qui ne se disent pas en « a parte ».
- Avec ses deux amis, c’est un tout autre bras de fer : après s’être échangés quelques banalités dissonantes dans le contexte de leur arrivée, Hamlet attaque par quelques questions pièges : quoi de neuf ? Qu’est-ce qui vous amène en prison ? pour finalement leur demander : Qui vous envoie ? « il y a dans vos regards une sorte d’aveu que votre candeur n’a pas le talent de colorer ».

Ce qui est paradoxal, c’est que Rosencrantz et Guildenstern vont obtenir des réponses très sérieuses sur ce qui affecte Hamlet : la déréalisation du monde. Hamlet finit son propos par, « L’homme n’a pas de charme pour moi… ni la femme non plus, quoique semble dire votre sourire. » Ses deux amis ne sont pas armés pour recevoir ce discours de la folie, et ils esquivent la rencontre en introduisant la troupe de théâtre : « puisque l’homme n’a pas de charme pour vous, quel maigre accueil vous feriez aux comédiens ».

Deux mouvements semblent aller de pair avec cette déréalisation du monde et la philosophie, nous dit Shakespeare, nous est d’aucun secours :
- Les tragédiens de la cité sont envoyés sur les routes par une bande de jeunes moineaux à la mode qui « clabaudent si fort contre les théâtres », que « bien des gens portant l’épée ont peur des plumes d’oies ».
- Ceux qui auraient fait la grimace à Claudius du vivant du roi Hamlet, donneraient cents ducats pour son portrait en miniature depuis qu’il est roi.

Une révolte est en marche et elle broie les cervelles. Rosencrantz et Guildenstern sont venus sonder Hamlet sur ordre du couple royal. Ils ont pour mission de découvrir les raisons qui l’affectent. En même temps que Hamlet reçoit les comédiens nous apprenons qu’il n’a de cesse de lutter contre l’assignation à une place de fou : « Vous êtes les bienvenus ; mais mon oncle-père et ma tante-mère sont dans l’erreur. » Laquelle ? interrogent les deux amis. « Je ne suis fou que par le vent du nord nord-ouest : quand le vent est au sud, je peux distinguer un faucon d’un héron. »

C’est bien là le drame. Peu importe si c’est la mort de son père, l’adultère, l’inceste, l’absence de deuil ou le remariage qui affectent Hamlet. Ce qui importe c’est qu’on veuille l’éliminer psychiquement. Peu importe la raison de cette volonté : un meurtre réel, l’usurpation du pouvoir, une ou plusieurs complicités ; ce qui importe c’est qu’on veuille le faire passer pour plus fou qu’il n’est. Car Hamlet se reconnaît fou par vent de nord nord-ouest.

Hamlet sait qu’il ne va pas bien. Est-ce lui qui a fait venir la troupe de théâtre pour attraper la conscience d’une reine sans scrupules ? Ou viennent-ils par hasard ? Shakespeare ne laisse rien au hasard. Il laisse Polonius annoncer la nouvelle, quand bien même Hamlet le savait déjà. Et Hamlet lance à Polonius un premier avertissement : Jephté, juge d’Israël sacrifia sa fille ; puis un second : Il fait jouer par les comédiens, la chute de Hécube, la « reine emmitouflée », un chiffon sur la tête en lieu et place de son diadème. Polonius semble avoir compris le message et interrompe l’improvisation : « Assez, je te prie ! »

A bon entendeur salut ! Et Hamlet demande à Polonius de veiller à ce que les comédiens soient traités selon son rang et non selon leur mérite. Et avant que Polonius ne sorte – histoire qu’il comprenne bien qu’il complote quelque chose – il demande à l’un des comédiens de jouer le lendemain soir le meurtre de Gonzague auquel il ajoutera « douze à seize vers ».

Maintenant, Polonius a toute latitude pour prévenir le roi et la reine que cette représentation sera un traquenard. Resté seul, à la fin de cet acte, Hamlet se morfond : « Qu’est-il à Hécube [ce comédien], pour qu’il pleure ainsi sur elle ? » Hamlet ne comprend pas. Il a « les motifs et les inspirations de douleur » et pourtant il « ne trouve rien à dire , non, rien ! en faveur d’un roi à qui l’on a pris son bien et sa vie si chère dans un guet-apens damné ! »

Toute la difficulté de Hamlet est là. Il ne ferait rien pour ce roi, s’il n’y avait ce démon, ce spectre venu abuser de sa faiblesse et de sa mélancolie. « Il m’abuse pour me damner. Il me faut un sol plus ferme. Le théâtre sera la chose où je prendrai la conscience du roi. »

Écrit par horatio in love Lien permanent | Commentaires (0)

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