HORATIO

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12/07/2012

Du symbolique pas encore représenté


Du non-représenté au symbolique :

« Pourquoi autant de morts quand un seul était exigé par le spectre ? » Yannick Butel ouvre ce chapitre (p73) sur une série de questions, aux conclusions de la critique aussi nombreuses que diverses. « Comment innocenter le prince d’une pareille boucherie ? » Sa mort suffit-elle à assurer sa défense ?

Ma réponse à la première question est importante. Hamlet ne va pas respecter la volonté du spectre. Et la cause en est la deuxième injonction qui est de ne pas faire de mal à sa mère. Elle montre le pouvoir du fils sur le désir de l’Autre lacanien.

Une partie de la critique sanctifie Hamlet, écrit Yannick Butel, quand la méthode psychanalytique pose « le pouvoir du père sur le fils », avec cette figure qui se tient dans l’ombre, l’auteur et son inconscient. « Texte prétexte, Hamlet n’est plus qu’un marchepied pour accéder à Shakespeare, la seule origine d’Hamlet. » (p77) C’est aussi « faire entrer Hamlet dans une dialectique du montré-caché où les signes écrits renvoient à un sous-texte qui est l’espace même d’un psychologisme. »

L’utilisation de la psychanalyse, poursuit l’auteur, est un moyen de recourir à du sens étranger au texte. L’interprétation psychanalytique est « spécifique », puisqu’il s’agit de trouver un complément de signification indécelable dans ce qui est manifeste. La question du nom représenté est subordonnée au désir de trouver une explication.

Yannick Butel oublie que le non-représenté fait partie des artifices utilisés au théâtre pour tromper le lecteur et provoquer les mécanismes de défense chers à la psychanalyse. On peut donner plusieurs exemples flagrants dans la pièce :
- A l’acte 1 scène 3, Laërte est en partance pour la France. Il parle à Ophélie de sa relation avec Hamlet. Mais qui a introduit le sujet ? Si c’est Laërte, c’est un frère prodiguant ses bons conseils à sa sœur. Si c’est Ophélie, on peut interpréter qu’elle se méfie des avances d’Hamlet…
- A l’acte 3 scène 1, Claudius et Polonius s’apprêtent à observer Hamlet et Ophélie. Claudius demande à Gertrude de les laisser. Mes les éditions ne se valent pas : certaines didascalies précisent que la reine sort quand d’autres pas.

- On peut donner aussi des exemples dus aux metteurs en scènes qui optent souvent pour l’intrusion de Claudius et sa suite dans la chambre de Gertrude comme affolés par le meurtre de Polonius. Alors qu’à la fin de l’acte 3 scène 4, Hamlet et Gertrude sortent de la chambre où vient d’avoir lieu le meurtre. Au début de l’acte 4, Claudius retrouve Gertrude avec l’intension de lui demander des comptes sur l’attitude de son fils, interprétation du changement de rapport entre le roi et la reine que ne permet pas « l’arrangement » de la scène.

Yannick Butel, qui se garde bien ce retour au texte, écrit alors que le recours à la psychanalyse est d’un grand secours. Elle ne remet pas en cause les limites du lecteur et son refoulement qui lui interdit de comprendre (on pourrait y ajouter, l’ambivalence, la projection, bref tout l’arsenal). « La tentation est grande dès lors de prêter aux mots et aux signifiants un caractère symbolique » et à la fonction symbolique un mode de sublimation (p80).

Hamlet devient cet espace de représentation de l’autre scène, celle des inconscients (Hamlet, Shakespeare et son spectateur). « Il est donc possible, écrit Yannick Butel (p81), de développer une autre lecture de l’inconscient que celle qui l’assigne à la seule qualité de représentation des affects. Si l’on doit conserver un intérêt pour l’inconscient et la projection du désir dans l’œuvre ce n’est donc plus parce que c’est un artifice qui permet d’interroger la représentation du non-représenté dans la représentation, mais parce que l’inconscient est une usine, un atelier. » (p81) C’est ainsi qu’en se référent à Deleuze et Guattari (Capitalisme et Schizophrénie), Yannick Butel prend le parti de défendre une œuvre productive autant que représentative.

Sortir de l’impasse où a conduit la psychanalyse après maintes interprétation est louable. Mais ce n’est pas s’apercevoir que l’impasse fait partie d’un tout qui n’est autre qu’un labyrinthe. Le rôle de la psychanalyse est tout de même sa fonction de « secrétaire de l’aliéné ». Elle peut aider un patient à s’écarter de la folie qui le guette par la sublimation. Elle peut aussi l’aider, s’il s’agit d’un Hamlet, en lui montrant les pressions qu’il exerce sur un Horatio pour qu’il se taise, afin que se réalise son désire de tuer la mère (quoi qu’il en coûte). C’est la théorie que je défends, celle du matricide maquillé en régicide. C’est le chemin que Yannick Butel se refuse d’identifier – il le prend puisque sa thèse vient s’ajouter au discours.

« Et prêtons à l’inconscient cette capacité qu’il aurait d’être l’objet dynamisant de la pièce. Non pas la chose à identifier, mais le mortier d’un texte qui se donne avec ses zones d’ombres, ces espaces opaques, ces mots brutaux et incohérents. Trouvons là une dynamique, une motricité à la lecture, plus qu’une « matricité » où le non-dit souterrain et littéralement introuvable sera préféré au dit. » (pp83-84)

Si mes « calcules » sont justes, le sens que je donne à la pièce, permet d’envisager l’écriture d’une suite au Hamlet de Shakespeare : une sorte de procès d’Horatio qui viendra complètement bouleverser les idées reçues, tout en s’appuyant sur le texte de Shakespeare – ce que ne ferait plus la critique selon l’auteur.

Yannick Butel site Jean Paris, selon qui « l’échec des commentaires tient au choix des critiques de lier Hamlet à la vengeance de son père quand en fait celle-ci concerne le père de Fortinbras. Moins une vengeance qu’une réparation, Hamlet est la tragédie d’un fils qui doit venger un autre père que le sien, afin que le monde retrouve un ordre. » (p84)

C’est pourquoi, écrit Jean Paris (dans Hamlet ou les personnages du fils, p114), « nous admettons qu’il existe en ce théâtre, des acteurs dont la présence ou la fonction se puisse diviser et répartir en d’autres, des personnages pluriels, si l’on peut dire, des personnages à plusieurs corps. » (p86)

C’est probablement ce qui pousse certains metteurs en scène à faire jouer plusieurs rôles à un même acteur :
- Ainsi Peter Brook et Hugues Serge Limbvani font jouer le rôle de Polonius et d’un fossoyeur au même acteur. Il est difficile de se détacher du premier rôle joué par le même acteur dans la scène du cimetière.
- Ostermeier a fait jouer plusieurs transformations sur scène à ses acteurs. Le spectre devient Claudius. Après la souricière, l’acteur remet sa bedaine pour redevenir Hamlet, un garçon bouffi. Gertrude devient Ophélie sur scène, pour la scène de la galerie, en enlevant sa perruque. C’est très intéressant comme démarche pour entretenir la confusion. Mais cela nuit à la compréhension. Hamlet n’est pas Lucianus, ce n’est en tout cas pas ce qui fait bondir Claudius. Ophélie n’est pas identifiable à Gertrude même si, de mon point de vue, sa mort est là pour annoncer celle de Gertrude. Si Gertrude observe l’entrevue entre Hamlet et Ophélie (Acte 3 scène 1), elle ne peut pas observer et être observée.

Pour revenir à Jean Paris, son analyse, comme celle de Lacan du reste, donne une large place aux rôles masculins. La vengeance serait une affaire d’hommes. Les morts d’Ophélie et de Gertrude sont accidentelles, anecdotiques, reléguées aux rang des dommages collatéraux. Cela n’est pas dit comme cela et leurs noms ne sont pas cités par Yannick Butel lorsqu’il traduit la pensée de l’auteur : « Hamlet, Laërte, Fortinbras figurent ainsi le symptôme de filiation lié à la liberté qui leur confèrera une identité et un être propre. Mais, plus précisément, encore, le rapport qu’entretiennent Hamlet et Fortinbras est emblématique de la logique de sacrifice qui régit la scène de la tragédie. De fait, si Hamlet ne peut être sauvé, c’est parce que son geste sauve Fortinbras. » (p86)

Yannick Butel s’écarte de l’analyse de Jean Paris, parce qu’elle privilégie la révolte du héros à des fins de retour à l’ordre, sans analyse réelle de la folie. « Tant que la folie ne sera pas traitée comme cet événement du langage insolite, mais aussi peut-être logique et, envisageons-le, astucieux, on ne peut comprendre Hamlet. » (p87)

Yannick Butel se propose d’explorer « l’autre terme de l’alternative. Celle qui pose Hamlet face au désordre du monde et tend à lire Hamlet comme le texte où un personnage est privé du retour à l’ordre théocosmique. Celui qui privilégie l’idée qu’Hamlet montre un être dont la pensée n’est plus soumise à un ordre antérieur à restaurer, mais où délivré de toute transcendance, l’homme est face à l’infini, sans repère, ni père. » (p87)

Ce raisonnement pose un énorme problème ; il réduit à néant le rôle féminin dans l’ordre du monde ; il exclue les trois fonctions de femme, mère et maman. Pour Yannick Butel, « si Hamlet est un symbole c’est parce qu’il soustrait le lecteur à la lecture symbolique aliénée au mythe. (…) Hamlet rompt avec l’ordre de quelque nature qu’il soit. » (p88)

Bien au contraire, Lacan était à deux doigt de réussir l’analyse. Sa lecture machiste de la pièce l’a fait passer à côté du sens de l’aliénation d’Hamlet, en voulant rattacher son discours au mythe oedipien – et non à Œdipe Roi.

Aux deux tendances principales,
- dont l’une consiste à diminuer l’écart entre le texte et le moment de sa production par une modélisation de l’histoire qui conduit à une interprétation politique,
- et l’autre consiste, par un discours signifiant, à s’inquiéter du poids d’Hamlet, de son homosexualité, de ses sentiments oedipiens, afin d’éclaircir le dilemme de la folie, de la mort, du retard de l’action, pour revenir à ce constat d’universalité,

Yannick Butel répond que l’objet de sa lecture est de « trouver la cohérence et l’intelligibilité du système Hamlet » (p91). Son objectif est de permettre une lecture qui prenne en compte la structure interne du texte, en privilégiant « l’étude du discours pris dans le jeu des contraintes, le signe et l’énoncé ».

« A traiter le corps sans l’esprit, l’esprit sans le corps, le mot sans le texte, le texte au-delà des mots, la fable sans la structure, Hamlet sans Hamlet ou l’inverse… ces divisions finissent par nuire à la lecture. » (p90) S’inquiéter du corps d’Hamlet, pour un temps, n’est pas vain. Car si Hamlet à l’esprit vif, aussi vif que les deux rustres qui creusent la tombe d’Ophélie, polémiquer sur le corps grassouillet d’Hamlet sous prétexte que sa mère lui éponge le front pendant le duel final, c’est peut-être une façon d’oublier que son corps de duelliste est encore plus vif que l’éclaire. Le mérite revient au Maître Dubois (L’assaut du 5ème acte, Pierre Bossuet éditeur, 1932) d’avoir rapproché la question de l’échange des épées aux texte français de Saint-Didier qui publia le coup d’armes et éclaira son texte de deux gravures en 1573.

Si corps et esprits sont aussi vifs que Shakespeare à bien voulu nous le montrer, il est permis de se demander (et de chercher à répondre à la question par la méthode proposée par Yannick Butel soit un retour aux textes) si Hamlet ne s’aperçoit pas de l’épée démouchetée de son adversaire. Répondre par l’affirmative à une telle question remet en cause bien des idées reçues. L’absence de réponses autorise une nouvelle interprétation qui balaye également les idées reçues.

Le gros défaut du travail de Yannick Butel c’est qu’il se réfère à la seule traduction de F. Maguin et qu’il ne traite que de la souricière. Le risque, c’est que le résultat de la recherche soit prédéterminé par le sens commun donné à la pièce.