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20/02/2013

L'Illégitimité d'Hamlet par Steve Sohmer


Note sur l'illégitimité d’Hamlet d’après le petit vers de EALE (Q2 1.4.17-38)
Par Steve Sohmer
Centre d'études médiévales et de la Renaissance, de l'UCLA.
Early Modern Literary Studies 6.3 (Janvier 2001)
(Résumé et traduction de Sylvain Couprie, pour se référer au texte original suivre ce lien :
http://purl. oclc.org/emls/06-3/sohmnote.htm)

Dans un essai publié dans l’EMLS 2.1 (1996), Steve Sohmer suggère que le prince Hamlet est né avant le mariage du vieil Hamlet et de Gertrude, et qu’il fut légitimé par le mariage de ses parents. Il suggère aussi que la légitimité conditionnelle du jeune Hamlet explique pourquoi le prince de Shakespeare n’a pu accéder au trône du Danemark immédiatement après la mort de son père. Pour étayer cette thèse, Steve Sohmer a pu dater le mariage d’Hamlet et de Gertrude, et ainsi démontrer que si Hamlet a trente ans à l'époque, il est né près de deux mois avant le mariage de ses parents. Il attire également l'attention sur cette parole d’Hamlet : le "dram de EALE", qui n'apparaît que dans Q2 (1.4.17-38), et qu’il qualifie de méditation d'Hamlet sur sa bâtardise:

So oft it chaunces in particuler men,
That for some vicious mole of nature in them
As in their birth wherein they are not guilty,
(Since nature cannot choose his origin)
By the ore-grow'th of some complextion
Oft breaking downe the pales and forts of reason,
Or by some habit, that too much ore-leavens
The form of plausive manners, that these men
Carrying I say the stamp of one defect
Being Natures livery, or Fortunes starre,
His vertues els be they as pure as grace,
As infinite as man may undergoe,
Shall in the generall censure take corruption
From that particuler fault: the dram of eale
Doth all the noble substance of a doubt
To his own scandle. (1.4.17-34)

Dans la présente note, Steve Sohmer propose d'identifier une source précédemment non reconnu de ce discours dans le livre bien connu de lois, De Laudibus Legum Angliae, rédigé par Sir John Fortescue (1394 -? 1476), chef de la justice sous Henri VI.

De Laudibus est un dialogue entre un prince étudiant et son professeur, ce dernier propose de nombreuses preuves de la supériorité du droit commun anglais sur le droit romain civile. De Laudibus a d'abord été publié en 1537. Au cours des deux siècles suivants, il est devenu l'un des livres les plus lus sur le droit anglais. Une traduction du latin par Robert Mulcaster est apparue dans au moins six éditions entre 1573 et 1672. Les citations ci-dessous sont tirées de l'édition de Londres de 1599.

Dans cette partie de son traité qui traite de la bâtardise et de l'héritage, Fortescue explique que, bien que le droit romain civil ne permette pas à un enfant né hors mariage d’accéder à la succession de ses parents, les enfants peuvent succéder s’ils sont (a) nés dans le mariage, ou (b) conçu hors mariage mais légitimé par le mariage des parents. Mais dans ces derniers cas le droit commun diffère sensiblement du droit civil. En vertu du droit commun un enfant conçu hors mariage continue à porter les stigmates de la bâtardise, et ne peut pas hériter même si les parents se marient ultérieurement.

Fortescue explique qu'un bâtard ne peut pas hériter parce que, en vertu du droit commun, un enfant bâtard n'a pas de père et n'a pas de nom.

Pour Fortescue, il est parfaitement logique que le dernier-né – soit, né dans le mariage des mêmes parents soit, dans le cas de la mort de l'un des parents, né du remariage de l’un ou de l’autre – doit l'emporter en héritage sur un premier enfant naturel. (Cela s’est produit dans la famille de Margaret Cavendish, duchesse de Newcastle, dont le frère aîné est né avant la le mariage de leurs parents. Ils ont fait appel à Jacques Ier pour le reconnaître comme héritier, mais en vain, et il a donc été déshérité au profit du second fils.)

Selon cette logique, écrit Steve Sohmer, un enfant né dans le mariage de Claudius et Gertrude aurait préséance sur Hamlet dans la succession danoise.

Steve Sohmer propose une lecture chez Fortescue une lecture de cette tâche indélébile de la bâtardise comme une paraphrase en prose du discours d’Hamlet lors de ce « dram de EALE » :

If a bastard bee good, that cometh to him by chance that is to wytte, by speciall grace but if he be evil that commeth to him by nature. For it is thought that the base child draweth a certein corruption and stayne from the synne of his parentes, without his owne fault, as all we have receaved of the synne of oure first parents much infection, thoughe not somuche. Howbeit the blemish which bastards by the generation do receave ... thereof is immortall: for it is knowen with god and with men ... whom nature in her gyftes severeth, markynge the naturally or bastard chyldren as it were with a certein privie mark in their soules. (Fol. 96r, 96v, 97v).

Réexaminées à la lumière de sa bâtardise, le dédain d’Hamlet pour Ophélie prend alors une toute nouvelle coloration :
"Why woulds't thou," he demands, "be a breeder of sinners? … I am myselfe indifferent honest, but yet I could accuse me off such things that it were better my Mother had not borne mee" (3.1.123-5).

Cette illégitimité d’Hamlet se voit ailleurs dans la pièce. Polonius, un courtisan de longue date, doit savoir que la naissance d'Hamlet est illégitime. S'adressant à Claudius et Gertrude, Polonius déclare que lorsqu’il a appris l'intérêt romantique d’Hamlet pour Ophelia, il a demandé à sa fille de ne pas encourager les avances d’Hamlet, en disant:

I went round to worke,
And my young Mistris thus I did bespeake,
Lord Hamlet is a Prince out of they star, This must not be (2.2.139-41).

Pour sa part, Gertrude sait pour l’illégitimité d’Hamlet, un mariage avec Ophélie serait pour lui un bon compromis. Répandant des fleurs sur la tombe d'Ophélie, Gertrude se lamente:

"Sweets to the sweet, farewell, I hop't thou should'st have been my Hamlets wife" (5.1.266-7).

Fortescue, poursuit Steve Sohmer, apporte un éclairage nouveau à cette parole d’Hamlet, ce vers énigmatique du « dram de EALE ». Nous pouvons maintenant reconnaître la complainte de Gertrude comme un aveu implicite de ses propres péchés.