HORATIO

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/02/2013

Saxo Grammaticus: retour au sources

Saxo Grammaticus, Hamlet,
Ed. Esprit Ouvert, 1993
Traduction de Vincent Fournier

(Une version en anglais du Hamlet de Saxo Grammaticus est accessible sur le site Gutemberg.org)

Dans ce premier livre traduit des chroniques de Saxo Grammaticus se trouvent les thèmes essentiels à la compréhension de mon analyse de la pièce de Shakespeare :
- La naissance illégitime déplacée du roi d’Angleterre sur la tête d’Hamlet
- La trahison des desseins du roi Fenge par le frère de lait est en fait transposée dans la scène de la galerie, où c’est Ophélie qui donne à Hamlet les coordonnées du piège en lui rendant ses lettres.

On observera que bon nombre de situations sont inversées par rapport à la pièce de Shakespeare :
- Dans Saxo, Hamlet feint la folie. Chez Shakespeare l’entourage d’Hamlet veut le faire passer pour fou – je fais l’hypothèse que c’est pour le détourner des soupçons sur ses origines.
- Ce sont les compagnons de Fenge qui alimentent la folie d’Hamlet pour mieux le protéger des pièges qui lui sont tendus et pour mieux se disculper en cas d’échec.
- D’ailleurs les hommes de Fenge sont témoins de l’assassinat d’un des leurs, mais ils rient à la barbe de leur roi. Chez Shakespeare, il y a de bonnes raisons de penser que la mort de Polonius n’est pas accidentelle (Claudius ne peut être dans la chambre, Hamlet vient de le croiser en prière).
- Dans Saxo Hamlet met au point le piège final, quand c’est Claudius chez Shakespeare qui met au point un double piège pour Hamlet et Laërte.

A noter également que le film de Gabriel Axel, Le Prince de Jutland, inspiré des chroniques de Saxo Grammaticus procède à un arrangement des chroniques des livres 3 et 4 pour que l’histoire colle au sens attribué habituellement à la pièce de Shakespeare.

Résumé du livre III des Gesta Danorum

1 – Hardvendel et Fenge furent désignés par le roi Rorik pour succéder à leur père au royaume du Jutland. Pendant 3 ans Hardvendel se couronna de succès pour étendre sa province.
Jaloux du viking, le roi Koll de Norvège sillonna les mers pour le retrouver et le défier en duel. La rencontre eu lieu dans une forêt verdoyante proche du rivage, sans témoins.

2 – L’issue du combat n’étant pas prévisible, ils prirent leurs dispositions pour ne pas négliger les devoirs suprêmes : un pacte de piété par lequel le vainqueur procèdera aux funérailles du vaincu. Celui dont le corps n’aura été que blessé recevra un dédommagement en pièces d’Or.

3 – Koll perdit un pied, puis la vie finalement. Harvendel procéda à ses funérailles selon le rite royale. Ensuite il se lança à la poursuite de la sœur du roi de Norvège, et la tua.

(Ces trois épisodes font écho aux révélations de Horatio et des fossoyeurs dans le Hamlet de Shakespeare, c’est-à-dire à l’affrontement entre le roi Hamlet et le roi Norvège, 30 ans avant l’apparition du spectre. Il n’est pas exclu que le frère de Norvège, Fortinbras, se soit lancé à la poursuite de Gertrude pour la tuer ou succomber finalement, voire la violer. Le prince Hamlet serait donc l’enfant d’une union illégitime, un sujet tabou au royaume du Danemark.)

4 – Pendant trois ans, grâces à ses faits d’armes, Hardvendel gagna la faveur du roi Rorik. Il obtint la main de sa fille Geruthe, de laquelle il eut un fils, Hamlet.

5 – Fenge devient jaloux de son frère. Il l’assassine et épouse sa belle-sœur. Il excuse son double crime en prétextant que Geruthe subissait les violences de son mari. Il n’eu guerre de mal à forcer la crédulité.

6 – Craignant pour sa vie, Hamlet fit le fou. Il occupait la chambre de sa mère, vautré dans la saleté, feignant la démence, faisant cuir des bouts de bois soi-disant pour préparer sa vengeance – ce qui faisait beaucoup rire.

(Cet épisode rappelle la volonté de l’entourage d’Hamlet de le faire passer pour fou, contrairement au Hamlet de Saxo Grammaticus qui se débilise pour échapper à la mort.)

7 - Son habileté à travailler et conserver ce bois brûlé, éveilla les soupçons. Les hommes de Fenge lui tendirent un piège en essayant de le faire succomber aux charmes d’une femme.

8 – Dans l’escorte, se trouvait un frère de lait d’Hamlet qui l’avertit du piège. Hamlet fit le sot en montant à l’envers sur le cheval.

(Dans le Hamlet de Shakespeare, c’est Hamlet qui tend un piège à son entourage en déclarant sa flamme à Ophélie. Son amie Ophélie, le prévient du piège tendu par son père Polonius et le couple royal, en lui rendant ses lettres.)

9 – Les compagnons de Fenge, préparent leur sauvegarde en faisant passer l’échec du piège sur le compte de l’immaturité du cheval. En mélangeant affabulation au franc-parler Hamlet parvient à couvrir le mensonge de son escorte.

(Dans un élan de sincérité Hamlet parvient à confier à ses amis Rosencrantz et Guildenstern son apathie (la déréalisation du monde). L’immaturité de ses compagnons les rend non réceptifs à ce discours de la folie.)

10 – En suivant le rivage, les compagnons d’Hamlet découvrent le gouvernail d’un vaisseau naufragé qu’ils comparent à un couteau à jambon. Ils invitent Hamlet à escalader une dune de farine.
Puis ils laissent Hamlet seul afin qu’il rencontre de façon apparemment fortuite la femme envoyée par son oncle. Son frère de lait lui envoie un signal muet (une paille fixée à la queue d’un taon) afin qu’il ne succombe pas à la tentation. Hamlet succombe mais comme il s’agit d’une amie d’enfance, il obtient d’elle qu’elle garde le secret.

(Par leur mots d’esprits l’escorte sensée amener Hamlet au piège s’assure de sa complicité. On note la situation inverse d’avec le Hamlet de Shakespeare, où c’est Hamlet qui fait passer un nuage pour une belette avec Polonius. Le frère de lait, c’est tout aussi bien Horatio qu’il fait jurer de garder le secret de sa rencontre avec le spectre. C’est aussi Laërte qui le prévient du piège dans le duel final et dont il se servira pour déclencher le mécanisme sur sa mère.)

11 – Quand il revient au château, Hamlet avoue qu’il a défloré la jeune fille. En distribuant les preuves de ses pérégrinations ramassées en chemin, il leur fait comprendre qu’il n’a pas compris la question tout en conservant les éléments de vérité.

(Ce délire d’Hamlet rappelle celui d’Ophélie offrant ses fleurs à son entourage après la mort de son père.)

12 – Un fidèle de Fenge ne fut pas dupe. Il mit au point un piège plus audacieux. Il demanda à Fenge de s’éloigner pour affaire. Pendant ce temps il se cachera dans la chambre de Geruthe pour espionner Hamlet et sa mère.

(Situation de nouveau inversée : Où l’on voit que cette souricière doit servir à attraper la conscience d’Hamlet. Ce piège donnera peut-être l’idée de la pièce dans la pièce à Shakespeare qui redéploiera la technique pour la scène de la galerie, la scène de la chambre.)

13 – Le fidèle mit son plan a exécution. Il se cacha sous une litière. Lorsque Hamlet se retrouva seul avec sa mère, craignant d’être entendu, il reprit ses manières de fou, sauta sur la litière, tira l’homme se sa cachette et le tua. Il le fit dévorer par les porcs – après l’avoir cuit.

(L’espion légitime dans la chambre de Gertrude, c’est bien évidemment Polonius qui se fait transpercer par la dague d’Hamlet, mais c’est aussi le spectre qui vient rappeler à Hamlet qu’il ne doit pas se tromper de victime.)

14 – Après sa violence envers l’homme de Fenge, Hamlet revient auprès de sa mère qui pleure sur sa folie. Il la ramène à la raison en lui montrant que :
- ses lamentations hypocrites quant à sa folie ont pour but de dissimuler sa lascivité de putain ;
- elle s’est livrée à un concubinage répugnant avec l’assassin de son mari ;
- Seules les bêtes se livrent à des accouplements de circonstance ;
- Hamlet simule la folie pour échapper à la mort ;
- Hamlet doit recourir à des moyens calculés pour venger son père ;
- pour l’heure, elle doit faire silence.

15 – Quand Fenge revint, il chercha son informateur. Hamlet ironisa en rétorquant que les petits cochons l’avaient mangés. Ses paroles provoquèrent l’hilarité des témoins.

16 – Fenge décida de l’éliminer, en faisant porter le déshonneur de cet assassinat par l’Angleterre.
Avant de partir, Hamlet ordonne à sa mère de célébrer sa mémoire dans un an jour pour jours.
Puis il part escorté par deux hommes de Fenge. Une nuit, il modifie les ordonnances pour détourner la sentence de mort sur son escorte et prie le roi d’Angleterre de lui donner sa fille en mariage.

17 – Le roi d’Angleterre n’est pas dupe. Dans un premier temps il leur offre l’hospitalité. Hamlet refuse de toucher aux agapes royales sous prétextes qu’ils sont souillés. Dans un deuxième temps, le roi place un espion dans la chambre de ses hôtes pour épier leur conversation.

18 – Dans la chambre, Hamlet s’explique auprès de ses compagnons :
- la nourriture avait l’odeur fétide de la mort ;
- Le roi avait des yeux d’esclave ;
- la reine se comportait comme une servante ;
Ses compagnons taxèrent ces accusations de pure folie – comment Hamlet pouvait-il oser stigmatiser ce roi illustre, cette femme aux mœurs irréprochables ?

19 – L’espion rapporta les propos d’Hamlet. Le roi d’Angleterre déclara qu’Hamlet n’était pas un mortel ordinaire. Il fit son enquête et découvrit que le blé qui avait servit à faire le pain avait poussé sur un champ de bataille, que les porcs avaient dévoré un voleur, etc.

20 – En continuant son enquête le roi d’Angleterre apprend de sa mère qu’il est d’origine servile, et que sa femme est fille d’une servante.

21 – Le roi s’extasia devant une intelligence d’essence divine et donna sa fille en mariage à Hamlet. Le lendemain des noces le roi fit pendre les deux hommes de Fenge. Devant son affliction feinte, Hamlet reçu de l’or en guise de réparation, qu’il s’empressa de dissimuler dans des bâtons évidés.

(Il n’est pas déplacé d’imaginer que Rosencrantz et Guildenstern n’ont pas été exécutés par les anglais. De la chronique 17 à 21, Saxo Grammaticus expose le thème des origines bâtardes du roi d’Angleterre. Il n’est pas impensable que Shakespeare ait réservé ce thème d’une naissance illégitime pour Hamlet, ce qui expliquerait le ressort de l’action bien mieux que l’Œdipe freudienne.)

22 – Au bout d’un an, Hamlet retourna au Jutland en compagnie de ses deux bâtons d’or, symbole de la réparation versée pour les disparus. Couvert de crasse, il se présenta dans la salle, où les convives effrayés par la vision d’un revenant, célébraient sa mort.

23 – Hamlet se joignit à la fête. Les hommes de Fenge prirent soin de bloquer son épée dans son fourreau avec un clou, pendant qu’insidieusement Hamlet versait de grandes rasades de vin dans les coupes pour mieux les saouler.

24 – Une fois mûrs pour son piège, Hamlet sortit ses bâtons crochus et enveloppa chacun des convives sous la tenture disposée par sa mère sur les murs. Après quoi il mit le feu au château.

25 – Hamlet gagna la chambre de Fenge, substitua discrètement à son épée l’épée bloquée dans son fourreau. Hamlet réveilla Fenge et tandis qu’il essayait de dégainer, il vengea son père en le tuant.

(Dans le livre 3 de cette chronique, c’est Hamlet qui organise le piège du duel final. Dans le Hamlet de Shakespeare, c’est Claudius (meurtrier de son père) qui met au point le double piège du duel d’escrime ; mais c’est bien Hamlet qui met en jeu sa vie en se précipitant dans un duel qu’il sait truqué et qui en déclenche le mécanisme.)