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18/09/2012

L'objet Ophélie

L’OBJET OPHELIE

le 16 novembre 2000

La Girl dans l’œuvre de Lacan ? Lorsque Hamlet demande à Ophélie d’entrer au couvent, il la propulse au rang de LA femme (sans la barre) – cet universel qui fait défaut dans le séminaire XX : Encore. La barre est peut-être placée par la suite lorsque Hamlet tue Polonius – indirectement c’est Ophélie qu’il meurtrit, bien que dans son délire les paroles qu’elle adresse à Gertrude, Claudius, Laertes soient la plainte de la perte de son père et de son amant ; à moins que cet universel absolu soit atteins par le sacrifice d’Ophélie.

Lacan retient du discours d’Hamlet, comme image de la fécondité vitale : - Vous serez la mère de pêcheurs. Mais Hamlet dit cela parce qu’il ne veut pas de cela : - Au couvent. Comme si envoyer celle qu’il aime au couvent ne ferait plus de lui un monstre - parce qu’il ne s’agit pas seulement d’engendrer un monstre mais aussi d’en effacer un.

Il est particulièrement odieux avec elle, mais c’est aussi parce qu’il a mis en place un stratagème pour la tester : de quel côté est-elle ? La réponse ne se fait pas attendre. Après qu’il se soit présenté débraillé devant elle, une rencontre est organisée par Polonius, au cours de laquelle elle lui rend ses lettres.

Il semble que Hamlet l’ait aimée autant qu’il va l’ignorer par la suite, et même la piétiner dans la scène du cimetière. S’il est impossible de dire de quel amour il aime sa mère avant son remariage (et non avant la rencontre avec le spectre), puisque c’est là que tout bascule, il est possible de dire combien il la va la haïr par la suite.

Lors de la première rencontre avec le spectre, Hamlet rencontre son destin, l’acte qu’il a à faire, mais le spectre le met en garde, il ne doit s’aviser de faire des projets hostiles à sa mère : - Abandonne-la au ciel et à ces épines. Shakespeare semble nous dire : pour elle son compte est bon. Il semble même nous dire que c’est par une manière détournée qu’elle sera atteinte. De la même manière, Ophélie sera meurtrie par ricochet, après la mort de son père.

Donc si Ophélie est le Phallus, Lacan s’interroge sur la manière dont Shakespeare lui fait remplir cette fonction. Nous devrions nous interroger sur la manière dont Lacan, lui fait tenir cette fonction.

Elle est l’appât qui doit permettre à des espions légitimes de saisir le secret du désir d’Hamlet. Hamlet est puissant, il est dangereux, il ne joue pas le jeu – les non-dupes errent. Ce désir, écrit Lacan, il nous faut le situer par rapport à des coordonnées qui fixent le sujet dans une certaine dépendance à l’égard du signifiant. Une topologie est nécessaire, les coordonnées essentielles sont dans le graphe.

Ophélie est l’appât du piège « où Hamlet ne tombe pas, d’abord parce qu’on l’a averti, ensuite parce que Ophélie elle-même ne s’y prête pas, amoureuse qu’elle est depuis longtemps, nous dit le texte de Belleforest, du prince. »

Lacan se réfère au texte de Belleforest, Pourquoi ? Passage obligé pour la construction du graphe ? Dans la traduction de François-Victor Hugo de Shakespeare, personne ne prévient Hamlet du piège qui lui a été tendu dans la galerie, pour la bonne et simple raison que Ophélie – et ses espions – tombe dans le piège que Hamlet a tendu : elle lui rend ses lettres. Hamlet a-t-il perdu la voie de son désir, comme le prétend Lacan ? Il paraît certain que les réponses lui arrivent chaque fois qu’ont lui envoie des espions pour percer le secret de sa folie.

La folie étant plutôt le dernier argument pour se débarrasser de lui : la réponse est contenue dans la question. La grande question des tenants du pouvoir, c’est : est-ce qu’il va laisser faire, est-ce que Hamlet va rester les bras croisés ? Ce qui arrangerait bien tout le monde. D’un autre côté le laisser partir pour Wittemberg, n’est pas le moyen le plus sûr pour le contrôler. Si l’on évite beaucoup de drames en donnant des passeports à temps, ce n’est pas l’heure pour lui de retourner à l’université. Il est extrêmement dépendant de l’Autre qui lui dicte son heure.

Ophélie est une articulation essentielle dans le cheminement du héros vers l’heure de son rendez-vous mortel avec son acte. Cet acte, il l’accomplit en quelque sorte malgré lui. La pièce est « dominée de cet Autre, la mère, c’est-à-dire le sujet primordial de la demande. La toute-puissance dont nous avons toujours à parler dans l’analyse, c’est d’abord la toute-puissance du sujet comme sujet de la première demande, et c’est à la mère qu’elle doit être référée. »

Comment le désir de l’autre se présente-t-il dans la perspective de ce sujet, le prince Hamlet ? Lacan répond : entre un objet idéalisé qu’est le père, et cet objet méprisable qu’est Claudius, il ne choisit pas. Pourtant, dans les deux tableaux que Hamlet présente à sa mère, nous ne savons rien de ces deux personnages. Les qualificatifs employés par Hamlet démontrent plutôt qu’il a fait un choix : le choix de ne rien laisser transparaître de ses choix. On peut donc retrouver quelque chose de son attachement à son oncle qui devrait être un non-dit. Et si Gertrude voit des tâches dans son cœur ce n’est sûrement pas parce que Claudius est déprécié ; c’est bien plus parce que Gertrude a été séduite.

Pour Lacan la mère ne choisit pas ( ?). Il semble au contraire qu’elle ait choisi d’abandonner le « vieil » Hamlet sur le déclin. Ce serait « en raison de quelque chose qui est présent chez elle comme de l’ordre d’une voracité instinctuelle (…) l’objet d’une jouissance qui est vraiment satisfaction directe d’un besoin, et rien d’autre. » C’est ce qui ferait vaciller l’abjuration d’Hamlet à sa mère : il lui lance d’abord un appel à l’abstinence – cet appel échoue, et il la renvoie à la couche de Claudius. En quelque sorte, il se représente la scène : si je retire l’objet des bras de Claudius, est-il toujours un pêcheur ? Et moi-même qui me suis attaché, identifié, à lui ? Peine perdue, il remet l’objet dans la couche de Claudius.

La dépendance de son désir, écrit Lacan, par rapport au sujet Autre forme la dimension permanente du drame d’Hamlet, son désir retombe toujours. Le monde entier devient vivant reproche de n’être jamais à la hauteur de sa propre volonté. La question de Lacan est comment cette dépendance retentit sur le nerf du vouloir d’Hamlet – qui est dans le graphe à situer comme le point d’interrogation, le Chè vuoi ?, de la subjectivité constituée dans l’Autre et s’y articulant.

La butée de ce qui constitue la question du sujet est symbolisée dans le graphe par S barré en présence de « a ». C’est le fantasme, dans l’économie psychique, d’une part, le dernier terme du désir, d’autre part, il se situe dans le conscient. Le désir trouve son réglage imaginaire sur la ligne A  ($  D). Comment fonctionne l’affolement du désir d’Hamlet, rapporté à son réglage imaginaire ?

La relation d’objet, c’est ce qui structure fondamentalement, le mode d’appréhension du monde. La psychanalyse cherche à articuler l’objet « a » et la relation d’objet. Cependant Lacan invite à ne pas confondre la dialectique de l’objet et la dialectique de la demande du fait que le sujet se trouve dans les deux cas dans le même rapport avec le signifiant. Ce qu’il appelle relation d’objet est toujours rapport du sujet en situation de fading, à des signifiants de la demande, et non à des objets. Qu’il s’agisse des rapports qu’il a avec le code au niveau de l’inconscient, c’est-à-dire avec l’appareil de la demande ($  D) ou, qu’il s’agisse du rapport imaginaire avec l’objet a ($  a) – dans les deux cas le sujet est en position d’éclipse, de fading.

L’enjeu de ce séminaire c’est de serrer le rapport du $, non pas avec la demande, mais avec l’objet central de la dialectique du désir « a ». Cet objet ne satisfait aucun besoin, il est objet de désir uniquement ; il est le terme du fantasme. Il prend place de ce que le sujet est privé symboliquement, le Phallus. L’objet prend la fonction de phallus dans le fantasme qui devient support du désir. Qu’est ce que c’est que « a » : tout un scénario. C’est-à-dire que le « a » dans le fantasme imaginaire le spécifie comme le pôle du désir pervers.

Dans le fantasme du désir pervers, le sujet est toujours dans un rapport à la douleur d’exister comme terme sexuel. Dans le fantasme est fixé un rapport du sujet à son être. Tandis que dans la perversion l’accent porte sur le « a », dans la névrose l’accent est mis sur l’autre terme du fantasme, le $.

Le fantasme c’est la butée de l’interrogation subjective, où le sujet tente de se ressaisir dans l’au-delà de la demande. Il a à retrouver dans la dimension du discours de l’Autre, ce qui a été par lui perdu de par son entrée dans ce discours, c’est-à-dire l’heure de la vérité. Dans la névrose, la base même du rapport du sujet à l’objet, c’est le rapport au temps ; alors que le fantasme de la perversion est dans l’espace. L’hystérie se caractérise par la fonction d’un désir insatisfait ; l’hystérique répète toujours ce qu’il y a d’initial dans son trauma, une immaturation fondamentale. L’obsessionnel pracrastine, parce qu’il anticipe toujours trop tard. Dans son objet, le sujet névrosé cherche toujours à lire son heure.

Hamlet est toujours suspendu à l’heure de l’Autre. La structure d’Hamlet, c’est sa dépendance par rapport au désir de l’Autre, au désir de la mère. Lacan nous en donne des exemples :
1°) C’est à l’heure de ses parents qu’il reste au Danemark ;
2°) Après la play-scene, après la capture de la conscience du roi, sur le chemin qui le mène au rendez-vous déjà pris avec sa mère, il rencontre son beau-père en prière, donc qui ne voit pas la menace qui pèse sur sa tête, Hamlet s’arrête parce que « ce n’est pas l’heure de l’Autre. Ce n’est pas l’heure où l’Autre aura à rendre des comptes devant l’éternel. »
La place de l’Autre est tour à tour occupée par Claudius, la mère (l’Autre primordial). Ce n’est pas l’heure pour Hamlet d’accomplir son acte, ni pour Claudius d’aller en enfer.
3°) C’est à l’heure de son beau-père qu’il s’embarque pour l’Angleterre ;
4°) C’est à l’heure du suicide d’Ophélie que la tragédie va trouver son terme.

On vient lui annoncer une occasion, un tournoi, qui ne ressemble en rien à une occasion de tuer Claudius. Le grand manitous en dernier ressort, c’est tout de même Shakespeare. Pour Hamlet – qui d’après Lacan est désormais, Hamlet le Danois (il aurait retrouvé son désir) – alors qu’il a accomplir son acte, se laisser ferrer par des objets précieux doit lui dire quelque chose des coordonnées de son désir.

Lacan ne le dit pas ainsi : Hamlet tombe dans le piège fomenté par Claudius et Laertes – mais lui ne le savait pas. Bien au contraire, il sait (les lettres de cachet pour l’Angleterre). Horatio est même là pour le lui rappeler au cas où le spectateur en douterait. Ce que ne sait pas le spectateur, c’est que Gertrude va y passer. C’est bien pour cette raison qu’il y va au rendez-vous dernier, histoire qu’il y ait une justice.

Depuis les temps antiques, écrit Lacan, quelque chose a changé dans le rapport du héros à son destin. Ce qui distingue Hamlet d’Œdipe, c’est que Hamlet sait. Il sait du fantôme de son père, que son père a été assassiné. Il sait quel acte il a à accomplir. Pourtant Œdipe sait de l’Oracle le destin qu’il a à accomplir. Le non-savoir se situe chez le spectateur : c’était donc cela, Hamlet aurait voulu coucher avec sa mère ( ?).

La politique du héros moderne, poursuit Lacan, c’est de faire le fou parce qu’il sait qu’il est le plus faible. Du coup il ne s’agit plus que de cela : savoir ce qu’il a derrière la tête. Or je disais tout le contraire plus haut : Hamlet est puissant, l’histoire le prouve, l’empire du Danemark s’effondre. A mon avis, ce qui motive la folie d’Hamlet, c’est sa volonté de savoir, mais savoir quoi ? D’autre part, peut-on rester serein après avoir rencontré un fantôme. Aujourd’hui, on ne manquerait pas de conclure à la folie et non plus à la feinte de la folie. L’hallucination en serait même la marque, le remariage le phénomène déclenchant. Les hôpitaux fourmillent de ces héros modernes.

Mais laissons cela pour suivre la lecture de ce séminaire. Pour Lacan, Ophélie, c’est O Phallos. « C’est elle, en effet, qui a eu le bonheur d’être la première personne sur qui Hamlet est tombé après sa rencontre si secouante avec le ghost ». La pièce est plus explicite, Hamlet se rend dans ses appartements. Il ne tombe pas tout à fait là par hasard. Ophélie rapporte cette histoire à son père, Polonius qui conclut en sage psychanalyste : Hamlet est triste à cause de ma fille, c’est l’amour.

Traduction de Lacan :
- Vacillation en présence de l’objet d’exaltation suprême ;
- Moment d’étrangeté, de désorganisation subjective quand quelque chose fait apparaître les composantes du fantasme ;
- Expérience de dépersonnalisation : les limites de l’imaginaire entre le sujet et l’objet changent et introduisent l’ordre du fantastique ;
- Déséquilibre qui se produit dans le fantasme qui, franchissant les limites qui lui sont assignées, se décompose et vient rejoindre l’image de l’autre. La dimension du fantastique surgit quand quelque chose de la structure imaginaire du fantasme se trouve communiquer avec ce qui parvient normalement au niveau du message, à savoir l’image de l’autre, en tant qu’elle est mon propre moi.

Ophélie après cet épisode se trouve dissoute en tant qu’objet d’amour. Hamlet ne traite plus du tout Ophélie comme une femme. Perte de l’objet, réintégré dans son cadre narcissique. Ophélie est le Phallus, extériorisé, rejeté par le sujet en tant que symbole signifiant de la vie. L’objet ne sera reconquis qu’au prix du deuil et de la mort – le suicide d’Ophélie. Ophélie meurt à l’heure de l’Autre, Hamlet qui précipite sa mort. Hamlet fera-t-il le deuil ?