HORATIO

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/12/2011

La composition de John Dover Wilson

D’abord observer et ensuite faire diligence. La fin de la play-scène marque un point tournant dans la pièce. D’après, JDW, les masques sont tombés. L’histoire du spectre vient d’être confirmée avec éclat. Hamlet n’a plus d’excuses pour douter de la culpabilité de son Oncle. « Hamlet sait ». Nous avons « tendance à l’imaginer dans un halo romantique qui en voile la signification : il n’y a pas à tortiller : maintenant Hamlet doit agir et sur le champ » (p184).

Comment peut-on en arriver à ce point à nier cette évidence ? Hamlet fait avorter son plan. Avant la fin de la représentation, le roi se lève, non parce que sa conscience a été prise au piège, mais parce que l’attitude de Hamlet est outrageante. Il interrompe sans cesse les acteurs qui ne peuvent jouer finalement.

J’ai dit et j’affirme que Hamlet a muselé Horatio après la rencontre avec le spectre. Il lui a fait jurer de ne rien dire de cette scène et de ne jamais douter de son attitude. S’il venait à le contredire, il ne manquerait pas de le tuer. Hamlet demande à Horatio d’observer Claudius pendant que l’on joue le meurtre de Gonzague – pièce que Horatio lui-même ne connaît pas. Hamlet lui dit : « On joue ce soir devant le roi une pièce dont une scène rappelle beaucoup les détails que je t’ai dits sur la mort de mon père. Je t’en prie ! quand tu verras cet acte-là en train, observe mon oncle avec toute la concentration de ton âme. Si son crime occulte ne s’échappe pas en un seul crie de sa tanière, ce que nous avons vu n’est qu’un spectre infernal ».

Hamlet ne lui a peut-être rien dit de plus que ce qui lui a rapporté après sa rencontre avec le spectre. Et le crime dont parle Hamlet n’est peut-être, pour Horatio, que l’usurpation du pouvoir et l’inceste (le mariage précipité). Horatio est donc dans une posture très délicate, il n’a pas intérêt à contredire Hamlet, il doit river son regard sur Claudius et s’il ne le fait pas, il va par la même occasion découvrir la thèse de l’assassinat.

Je crois qu’il est inutile d’user d’un stratagème théâtre pour démontrer que Horatio ne voit pas ce qui se joue par les acteurs de la troupe parce qu’il a les yeux rivés sur Claudius. La posture de Horatio est intenable face aux puissants. Il vaut mieux qu’il se la ferme – tout intègre qu’il est.

Le génie de Shakespeare, c’est d’avoir su jouer avec la culpabilité d’un spectateur sous l’emprise de la morale. C’est ce qui conforte le critique dans ce discours : « Hamlet n’agit pas ; et son inaction est si surprenante que sa conduite devient aussitôt le sujet d’un intérêt qui se maintient jusqu’à la fin de la pièce ». Le dévoilement de la « faute » de Claudius est le pivot de Hamlet. La machination fournit le principal intérêt de la première partie, le personnage et son inaction celui de la seconde. Ce verbiage de JDW montre un découpage complètement arbitraire puisque Hamlet procrastine dès sa rencontre avec le spectre. Et il réagit lorsqu’il part pour l’Angleterre.

« Le problème de la procrastination est un lieu commun de la critique hamlétienne, nous dit JDW » (p184). On l’a souvent maltraitée :
- en sous-estimant sa gravité, par ignorance du point de vue élisabéthain ;
- en évaluant la pièce en bloc, au lieu de la traiter comme une œuvre d’art séquentielle, où fait et incidents sont arrangés dans un certain ordre et destinés à être reçus dans cet ordre-là.
C’est vrai JDW a raison, mais ça ne nous interdit pas de réinterroger le sens de tout cela, après-coup, et ça ne nous oblige pas à fermer les yeux sur le pousse-au-crime.

Pour JDW « les atermoiements de Hamlet ne deviennent vraiment flagrants qu’après le drame de Gonzague. (…) Ce retard ne nous est pas brusquement signalé sans avertissement ». Dire que les atermoiements de Hamlet sont le principal intérêt des deux actes et demi qui restent ne veut pas dire qu’ils sont dépourvus d’incidents. Pourtant ils forment pour la plupart, nous dit JDW, une série d’épisodes indépendants ; seuls quelques uns d’entre eux contribuent au mécanisme de l’intrigue principale (p185). Et s’ils sont intéressants par eux-mêmes, aucun en dehors du duel et ce qui le provoque ne donne l’impression d’être essentiel. JDW va pourtant énoncer le contraire au chapitre suivant et arriver à des conclusions erronées. Il va dire une chose essentielles, c’est que Hamlet revient d’Angleterre transformé, serein, et Laërte revient de France furieux.

Shakespeare s’évertue à maintenir la question du passage-à-l’acte constamment à l’esprit du spectateur. L’époque est détraquée nous dit Hamlet. La notion de temps est disloquée. Nous pouvons imaginer qu’il faut plusieurs semaines à Laërte pour apprendre le décès de son père et revenir de France.

JDW invite le spectateur à se demander rétrospectivement ce que Hamlet a bien pu faire entre la rencontre avec le fantôme sur les remparts et l’entretien dans la chambre d’Ophélie, car on apprend que l’intervalle a duré deux mois, à l’acte 3 scène 2. JDW nous prive d’une partie de la réponse en ne nous expliquant pas comment pouvait bien s’exprimer la question du temps au théâtre à cette époque.

Lorsque Hamlet dit à Ophélie : « Tenez ! regardez comme ma mère à l’air joyeux, et il n’y a que deux heures que mon père est mort. » Elle lui répond qu’il y a deux fois deux mois. Pour Hamlet, qui lui rétorque : Oh ciel ! mort depuis deux mois et pas encore oublié ! », le temps s’est arrêté au remariage de sa mère.

JDW pourrait répondre à cette question s’il avait l’esprit réceptif et rétrospectif :
- La discussion entre Ophélie et son frère, avant qu’il ne parte pour la France, laisse entendre que Hamlet est passé à l’action en jouant avec ses sentiments. Mais Laërte, dans l’euphorie de son départ, ne le voit pas.
- La discussion entre Polonius et Reynaldo informe que Laërte est en France depuis un certain temps déjà. Il le somme d’enquêter sur les mœurs de son fils. La discussion qui suit avec Ophélie montre la violence de l’intrusion de Hamlet dans sa chambre.

JDW se propose d’étudier la conduite de Hamlet avant de discuter son caractère – sans oublier qu’il est un personnage scénique et non un homme réel :
- A la réunion du Conseil privé, il est sombre, sardonique, à cause de la perte de la couronne et du mariage de sa mère avec l’usurpateur.
- C’est seulement après ce terrible entretien ou il découvre l’iniquité de sa mère et l’assassinat que nous percevons pour la première fois un malaise profond.

La démence de Hamlet est signalée au début du troisième acte pour nous préparer à la violence de la scène finale. Elle est à sa place dans la bouche du roi, nous dit JDW, puisqu’elle souligne à l’intention de la reine, que son fils est un danger public. (p192) Ce que ne souligne pas JDW, c’est la vision d’horreur que suggère la non réaction de Gertrude.

- La description faite par Ophélie à son père, après l’intrusion de Hamlet dans sa chambre, nous informe de son désordre mental, qui n’est pas consécutif à sa rencontre avec le spectre (deux mois se sont écoulés) ;
- A chaque étape, chaque fois que Hamlet est sondé par les mignons du roi pour reprendre l’expression de JDW, nous avons une description de son état : transformation à l’extérieur comme à l’intérieur (Le roi à Rosencrantz et Guildenstern) ; les symptômes décrits par Polonius au roi : abattement, anorexie, insomnie, conduites incensées.

JDW repère sept crises périodiques d’agitation pendant la pièce :
- Au moment de la rencontre avec le spectre ;
- Lorsqu’il se présente débraillé à Ophélie ;
- Les reproches de faiblesse qu’il s’adresse à la fin de l’acte 2 scène 2 ;
- Dans la scène du cloître, l’humeur dépressive du monologue « Etre ou ne pas être », puis après le « où est votre père ? »
- L’explosion qui salue la sortie du roi dans la play-scene ;
- La conduite dans la chambre de sa mère ;
- La rage à l’enterrement d’Ophélie.

Mais c’est Hamlet le mieux placé pour dire s’il est fou, vous dira JDW (p196). Il est impensable que Hamlet mente ou simule lorsqu’il s’excuse auprès de Laërte, ce « moment entre tous où son créateur s’applique à lui assurer notre admiration et notre sympathie. Tout se discours est manifestement destiné à présenter un Hamlet fort généreux, et incapable de manigance, par opposition à son adversaire intrigant et perfide. »

JDW site intégralement le discours, avant le duel final, où Hamlet fait passer la mort de Polonius et la mort d’Ophélie sur le compte de sa folie. Pourtant :
- L’attitude de Hamlet est des plus odieuses envers son « frère ». Il sait que c’est un guet-apens. Son entourage l’a prévenu !
- Ses crimes sont impardonnables, il n’a aucune raison d’être excusé. Et c’est ce que fait Laërte. Par son revirement, il informe Hamlet d’un piège qui se trame.

JDW prend pour preuve un autre moment, celui ou Hamlet flatte Horatio. On sait qu’il le flatte parce que justement il dit ne pas le flatter (Acte 3 scène 2), lui l’homme dont le sang et la raison sont si bien mariés. JDW cite en prenant bien soin de couper les vers qui font allusion à Horatio – cet ami de toujours qu’il a pourtant du mal à reconnaître lorsqu’il vient à lui pour lui annoncer l’apparition du spectre. Car il le flatte Horatio, méthodiquement, pour lui rappeler qu’il est sous le coup d’une menace s’il vient à rompre son serment.

JDW prend également pour exemple (p195) afin, toujours, de décrire les crises de Hamlet et leurs séquelles, les dires de Gertrude qui sont « sans grande valeur » lorsqu’il saute dans la tombe d’Ophélie et qu’elle décrit ses assauts de vocifération comme « pure folie ». JDW retient le commentaire qu’elle donne, comme la volonté de Shakespeare de montrer ses alternances d’épuisement mélancoliques et de frénésie. Il y a je crois l’expression d’une violence de la Reine qui parle de Hamlet à la troisième personne, il est un autre, étranger, qui déclenche cet accès de violence à l’encontre de Laërte, au mépris de ce que Ophélie peut représenter.

Pur JDW, c’est doublement fallacieux de chercher à décrire l’état d’esprit de Hamlet à l’aide des concepts de la psychologie moderne :
- parce que Shakespeare ne pensait pas en ces termes ;
- parce que Hamlet est un personnage dramatique.

Pourtant Shakespeare peut avoir illustré la théorie de l’inconscient sans l’avoir voulu intentionnellement, mais avec Génie. Cela n’empêche pas JDW d’appliquer des concepts psychologiques au personnage tout au long de son livre (hystérie, mélancolie, dépression…). Il aurait pu le faire intelligemment. Il nous dit : Shakespeare a voulu créer un héro qui souffre d’une infirmité mentale. Hamlet lutte contre cette faiblesse. L’origine de ce trouble mental, (p197) c’est un fardeau que le destin place sur ses épaules. A Ecouter JDW ce n’est pas normal que Hamlet ne tue pas Claudius, mais c’est normal de rencontrer un spectre.

JDW a conscience qu’une « dépression comme celle de Hamlet prend souvent racine dans les troubles de la petite enfance », mais c’est doublement fallacieux de chercher à décrire l’état d’esprit de Hamlet d’un point de vue psychanalytique, car un tel personnage est un monstre d’incohérence. Shakespeare a composé « à dessein un personnage dramatique qui puisse échapper à l’analyse. »

Sur scène nous ne le voyons jamais en état d’aliénation manifeste (p200). JDW ne le voit pas. Il le nie. Il voit Hamlet comme « un homme capable de décrire ses propres symptômes mentaux de façon rationnelle ». Hamlet peut tracer la frontière entre lui-même et sa folie, chose impossible à Ophélie. Le lecteur a le droit d’écarquiller les yeux !

Malgré son cruel égarement, nous dit JDW, Hamlet conserve la responsabilité de ses actes. Toute la pièce nous montre le contraire puisque ça se finit dans un bain de sang. Cela ne gène pas JDW de se contredire : les crises émotionnelles ont toute un trait en commun : l’hystérie ou le manque d’équilibre (p202). Hamlet agit souvent mais jamais après mûres réflexions, et c’est trop souvent à l’instigation des autres.

Hamlet est une composition sur le thème de la mélancolie. C’est ainsi qu’il nomme son « cruel égarement ». Shakespeare a rendu Hamlet mystérieux, nous dit JDW, pour accentuer la ressemblance avec son ami le comte d’Essex (mort sur l’échafaud).

A la fin de ce chapitre, JDW étudie le personnage de Horatio, et il s’accorde avec un auteur, Bradby, pour faire passer les contradictions du personnage sur le compte de révisions. JDW rappelle que Horatio n’est ni une personne de la vie réelle, ni un personnage de roman, c’est un élément de structure dramatique :
- Orateur principal de la première scène, il informe le public sur la situation politique du Danemark.
- Confident du héro pendant le reste de la pièce, il reçoit les informations que les spectateurs ont besoin d’entendre.
Cette double fonction, soi-disant, entraîne quelques incohérences que Shakespeare gomme en soulignant l’humanité du personnage : dans la première scène avant le drame de Gonzague et pendant la scène finale. « En résumé, nous dit JDW, nous avons le sentiment de connaître si bien l’ami de Hamlet qu’il ne nous vient jamais à l’idée de poser des questions sur son compte. » (p210-211)

JDW cite intégralement la note de Mr Bradby pour montrer l’impasse à laquelle nous conduit la méthode historique. Horatio n’a pas une individualité très marquée, nous dit-il ; il opine du chef. La seule fois où il émet un avis, c’est lorsqu’il conseille à Hamlet de renoncer au duel avec Laërte. Horatio nous est présenté :
- à la fois comme un proche de l’état, proche de l’ancien roi, qui connaît les raisons des préparatifs militaires (acte 1 scène 2)
- à la fois comme étranger à la cours, qui ne connaît pas les coutumes danoises et le sens des salves d’artillerie qui annoncent que le roi fait bamboche, etc.

Nous serons d’accord avec JDW pour dire que Horatio est un élément de structure dramatique, mais il a tors de lui réserver « un rôle mineur, un détail de la composition, les libertés qui sont possibles dans son cas conviendraient mal à l’esquisse du personnage principal, sur qui convergent les feux de la scène. »

Pourquoi se le refuser avec ce personnage, alors que JDW se l’autorise avec Hamlet et les autres personnages. Horatio est un personnage clé, il est celui qui a la fin de la pièce doit témoigner de ce qui s’est passé. Nous découvrons avec JDW que c’est un personnage bourré de contradictions – comme tout un chacun finalement.

Il nous est présenté comme un familier du vieux Hamlet, mais qui se protège des mœurs et coutumes du Danemark (les beuveries notamment). Il nous est présenté comme un étranger à la cours, une personne lettrée, une personne intègre et respectée qui peut approcher le roi et la reine en toute confiance parce qu’il est un proche de Hamlet. Ils sont allés ensemble à l’université de Wittemberg.

Lorsque Horatio vient le voir pour lui annoncer la présence du spectre, Hamlet le salue, et met un temps d’arrêt avant de le reconnaître :
Horatio : - Salut à votre seigneurie !
Hamlet : -Je suis charmé de vous voir bien portant. Horatio, si j’ai bonne mémoire ?

C’est un ami, mais pas l’ami de toujours, pas l’ami d’enfance. C’est celui sur lequel Hamlet pose son dévolu pour le contraindre :
- à se taire : le serment scelle le discours de Horatio et Marcellus
- à fermer les yeux sur ce qu’il voit à la fin de la play-scène.

Hamlet – et avec lui le critique de théâtre – veut nous faire passer la réaction de Claudius pour une réaction à ce qui se joue sur la scène (le meurtre de Gonzague), alors que c’est une réaction à ce qui se joue dans le public (Hamlet se lève et empêche les acteurs de finir la représentation).