HORATIO

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04/12/2014

4ème version de Daniel Mesguish

HAMLET de Daniel MESGUISH
27 novembre 2014

AU DELA D'UNE PORTE

Après un petit passage à la librairie Hamlet and Company dans l’après midi et la visite du musée de l’immigration, c’est sur les coups de 19 heures que je me retrouve à la Cartoucherie – une pierre/trois coups dans une même journée sur Paris. Que voulez-vous, c’est ainsi quand on est chômeur !

Je découvre les lieux. Les théâtres - tel celui de l’épée de bois - semblent chargés d’histoires pas tant du côté des spectateurs que des compagnies qui les animent. Je suis dans un autre monde. C’est magique. Quoique l’aspirateur, le personnel, et les tapis rouges me rappellent l’hôtellerie. Je commande une bière pour accompagner le sandwich que je trimbale depuis le début de l’après-midi. Que voulez-vous, c’est ainsi quand on est chômeur !

Le lieu s’anime, commence à se remplir. Des personnes lisent l’article de Télérama affiché sur un panneau. Je m’abstiens – sûrement très consensuel ; je le lirai plus tard. Daniel Mesguish fait une apparition. Et je crève d’envie de lui remettre mon « Chez Yaughan ». Mais je suis tellement timide que je ne sais pas comment m’y prendre. Je crains même de rentrer avec. Y inscrire une dédicace à l’attention de MM Mesghish m’obligerait à le leur donner. Mais le méritent-ils ? Patience.

La première scène s’ouvre sur la remarque d’une chargée de communication : un incident technique nous contraint à commencer avec du retard (En fait d’incident technique, je soupçonne une queue de 10mn de trop à la cafète). Alors là, si ça commence comme ça, ça va pas le faire. Je suis venu exprès en transport en communs de Melun, pour ne pas asphyxier les parisiens avec mon vieux diésel. Mais si je loupe le RER de 00h35, c’est la galère assurée. Pourquoi j’ouvre cette parenthèse ? Parce que je vais peut-être devoir partir à l’entracte. Vous allez comprendre.

Je suis impliqué dans une association : La Rochette Environnement. LRE s’est battue pour la protection de la forêt de La Rochette suite aux projets immobiliers des promoteurs. Des choses inquiétantes se profilent à l’horizon. Je vous explique : lorsque qu’une Zone Boisée classée « Naturelle » est déclassée pour être rendue « Urbanisable », le schéma directeur d’Ile de France (SDRIF) prévoit qu’une zone égale soit classée Zone Naturelle et de préférence attenante aux massifs forestiers (Fontainebleau en l’occurrence). Sauf que la loi n’oblige pas à ce que cette zone de compensation soit reboisée et personne ne contrôle que des zones de compensation sont effectivement reclassées en zones naturelles (c’est d’autant plus difficile que les autres communes ne lâchent pas leurs zones agraires comme ça). Du coup les promoteurs grignotent petit à petit la forêt d’Ile de France. C’est ce qui s’est passé dans l’agglomération melunaise. Les promoteurs n’ont pas attendu la modification du Plan Local d’Urbanisation (PLU). Ils ont abattus les arbres centenaires sur une Zone protégée. LRE est montée aux créneaux pour protéger les bois de la commune. Sauf que les promoteurs devraient pouvoir contourner les problèmes liés aux actions communales, car les PLUs ne seront bientôt plus du ressort des communes…
Pourquoi je ferme cette parenthèse catastrophiste sur le suicide d’une nation (ce discours n’est pas plus con que celui sur le réchauffement climatique) ? Parce que les questions d’environnement me tiennent à cœur, tout comme la question du suicide est au cœur du Hamlet. Vous allez comprendre.
Revenons-en à la pièce. J’ai lu dans une critique que le décor était un peu léger mais influencé par Antoine Vitez. Je ne sais pas si je colporte des « ragots », je suis trop inculte pour me prononcer, mais il est sobre et va se montrer terriblement efficace. Dans le fond, une nuit étoilée, au centre une porte/sasse qui ouvre sur les univers les plus sombres, un tapis rouge sang qui traverse la scène et en dessine la perspective, enfin le noir. Le noir de la nuit, le noir des desseins particuliers, le noir de l’au-delà, l’habit noir de la mélancolie, le noir de Shakespeare dans toute sa splendeur…

La pièce s’ouvre sur des visages mis en lumière, ceux des soldats qui assistent à l’apparition. Les soldats préviennent alors le Prince qui décide de monter la garde avec eux. Jusqu’à « l’apparition », le tour de force de Daniel Mesguish ne tient pas à la terreur que pourrait nous suggérer un spectre, mais à la force du verbe.

Il va pourtant se produire un deuxième tour de force (coup de théâtre) ; car Daniel Mesguish joue avec le texte comme il joue avec la langue. Mais je suis aux aguets, car à force de couper le texte, d’en déplacer les virgules, ou d’ajouter des didascalies, quand ce n’est pas des scènes entières qui disparaissent, on finit par lui faire dire tout et n’importe quoi à ce texte de Shakespeare. (C’est la raison pour laquelle Gisèle Venet me suggérait tout récemment la lecture de What Appens in Hamlet ? de Andrew Murphy, malheureusement je ne lis pas l’anglais.) C’est ainsi que Daniel Mesguish, en guise d’apparition, nous sert les mets du banquet. L’idée est géniale et comme la vengeance est un plat qui se mange froid, il nous en ressert à l’acte 2, lorsqu’il fait dire aux tragédiens de la cité, non pas le meurtre de Priam, mais le plus célèbre des monologues : « to be or not to be… » - qui plus est dans la langue de Shakespeare, sublimée par l’interprétation ! Alors là, chapeau bas.

Si l’acte 1 se termine par un monologue de William se demandant « Comment traduire : Le temps est disloqué », l’acte 2 se termine par une répétition des acteurs qui suggère au spectateur cette éternelle question : « comment interpréter ? » Là, il faut bien le dire : la mise en scène de Daniel Mesguish dépasse les bornes.

Il passe à l’acte lorsqu’il met un ballon dans les pieds d’Hamlet - la mafia footbalistique s’immisce dans toutes les formes de culture ! Ceci dit ça lui va bien à Kiki (clin d’œil à Kiki Elsen le personnage de Viard et Zacharias dans l’embrumé) de jouer à la baballe. Ca va tout à fait avec l’insolence du personnage. L’insolent passe à l’acte lorsqu’il met Ophélie dans un lit d’enfant – ceci dit, je ne suis pas certain qu’elle soit si naïve dans le texte. Il passe à l’acte lorsqu’il fait de Polonius un bouffon surmonté d’une choucroute. Il passe à l’acte lorsqu’il fait passer Hamlet de l’autre côté du miroir, ou lorsqu’il fait intervenir les doubles de certains personnages – pas tous justement. Il passe à l’acte lorsqu’il fait assassiner Claudius par le double d’Hamlet ; Hamlet se ravise dans cette scène de la repentance, il redonne vie à sa marionnette à plusieurs reprises, trois exactement. Comme Shakespeare fait jurer par trois fois les compagnons d’arme d’Hamlet, comme il y a trois souricières dans la pièce, comme il y a trois tragédies de la vengeance (Hamlet, Laërte, Fortinbras).

Trois souricières dans la pièce de Daniel Mesguish qui a, malheureusement, les défauts des interprétations contemporaines. Ces trois souricières je les ai, personnellement, identifiées comme étant les suivantes :
- La scène de la galerie : une rencontre orchestrée par Polonius pour convaincre, non pas le roi et la reine, mais la cour, que c’est par amour pour Ophélie qu’Hamlet est devenu fou.
- La souricière que je vois plus comme « le piège de sa souris » que comme « le piège à rat ».
- Le duel final : dont Hamlet a toutes les coordonnées et dont il déclenche le mécanisme.

1 - L’interprétation dépend de la mise en scène – et non l’inverse ! Il n’est pas possible de faire jouer à Ophélie l’étonnement quant à l’attitude d’Hamlet à son égard – ce que me suggère le texte et l’entrée en scène à l’acte 1 scène 3 : c’est comme si Ophélie interpellait son frère sur la façon dont Hamlet l’a importunée par ses lettres enflammées. Le choix de la mise en scène (une Ophélie qui dissimule ses lettres d’amour) interdit toute ambiguïté.
- Par contre, on retrouve bien l’assignation a une place de fou lorsque le roi et la reine sont mort de rire à la lecture des lettres découvertes par Polonius.
- Par contre, l’interprétation de la folie qui s’empare des deux personnages, Hamlet et Ophélie, par la mise en scène de leur doublure provoquant ainsi la représentation de leur état schizoïde, est une remarquable trouvaille.

2- Pour nous montrer un roi Claudius pris au piège de la souricière ou convaincu des intentions d’Hamlet il n’est plus besoin de la représenter, seule la pantomime suffit. Et c’est le parti pris de Daniel Mesguish qui nous montre de magnifiques masques mais ne nous montre pas la souricière dans son intégralité parce qu’incomprise des « spécialistes » (comme John Dover Wilson par exemple).
- Celle où l’on est censé voir une pantomime qui révèle à Hamlet que le couple royal est inébranlable.
- Celle où l’on est censé voir un acteur se précipiter dans un prologue pour détourner l’attention du couple royal de l’attitude odieuse d’Hamlet envers les femmes.
- Celle où l’on est censé voir Hamlet harceler sa mère à chaque tirade insérée dans la pièce.
- Celle où l’on est censé voir Hamlet faire passer Lucianus pour le neveu du roi Gonzague –obligeant Claudius à s’interposer entre Hamlet et sa mère outragée.
- Celle où l’on est censé voir Horatio ne donner à Hamlet qu’une demi-part dans une meute de comédiens parce qu’il a bien compris que le piège d’Hamlet avait échoué.

Par contre la scène de la chambre (Acte 3, scène 4) fourmille de trouvailles aussi géniales les unes que les autres. L’une appelant l’autre malheureusement.
- En guise de miroir présenté à sa mère, Hamlet ne compare pas Hypérion au coupe-bourse de l’empire. Non. Il lui montre alternativement la tête cadavérique de Polonius et la sienne d’être bien vivant, comme Daniel Mesguish montre au spectateur – avec Polonius qui cherche désespérément une ouverture du rideau pour retourner sur scène du côté des vivants – Daniel Mesguish retourne la salle, disais-je, en nous montrant que nous sommes du côté des morts et que de l’autre côté du rideau le théâtre est bien vivant.
- Daniel Mesguish nous montre également pourquoi Gertrude ne voit pas le spectre de son défunt mari dans cette scène de la chambre. Gertrude passe du côté des voix qui harcèlent Hamlet, comme Hamlet devra passer de l’autre côté du miroir pour entendre les révélations de son père (à la scène 5 de l’acte 1).
- Mais loin de moi l’idée de faire de la psychanalyse à deux balles. Une trouvaille de mise en scène en appelle une autre. Alors Hamlet prend le corps à bras le corps et le fait marcher jusqu’à Gertrude qui, pour se libérer du poids du cadavre du grand Chambellan, simule une scène de fornication. Du grand art ! Je ne sais pas si c’est d’inspiration Lacanienne parce qu’un jour le grand psychanalyste a écrit que la scène devait être torride. Daniel Mesguish nous donne à voir se trémousser les marionnettes, mais pas la scène incestueuse entre Hamlet et sa mère, mais la pauvre Gertrude croulant sous le poids du cadavre de Polonius. Ce qui n’est pas sans évoquer la fascination du fiston pour les crânes de ses amis.

Dans cette mise en scène, il y a donc des manques pour ne pas dire des manquements :
- La repentance de Claudius a lieu dans la chambre, remarquable trouvaille que ce double d’Hamlet qui assassine Claudius à trois reprises et se ravise finalement. Mais qui nous dit que cette scène se passe dans la chambre ? Le metteur en scène ! qui s’arrange avec la dure réalité, celle d’un texte qui peut tout aussi bien laisser entendre que la rencontre avec Claudius est là pour attester qu’Hamlet ne peut pas avoir pris Polonius pour le roi lorsqu’il le poignarde à travers la tenture.
- Hamlet est là, lui, pour torturer sa mère et la faire parler. Et elle parle ; elle sait pour l’exil et pour le piège qui attend Hamlet en Angleterre. Pour être Prince, Hamlet n’aura d’autres choix que suivre les percepts princiers de Machiavel : être cruel pour être juste!

3 - Hamlet va être cruel, mais pas autant que le metteur en scène qui fait assassiner Ophélie par son double. Ophélie ne gardera pas « remembrance » de tous leurs péchés. L’opinion doit être retournée, comme la terre au cimetière – à l’instar de l’opinion des fossoyeurs qui sont persuadés qu’elle s’est suicidée alors que la reine a décrit un accident à l’acte précédent. Nous ne verrons pas les larmes menteuses de la reine au cimetière. Nous ne verrons d’ailleurs pas grand-chose jusqu’au dénouement final. Nous assistons à une succession de scènes plus écourtées les unes que les autres et qui s’enchaînent grâce à des fondus enchaînés musicaux qui accentuent la gravité du dénouement mais pas le dénouement. Nous ne verrons pas Osric venir annoncer le grotesque du pari et trahir la félonie du duel. Nous ne verrons pas Laërte abandonner ses plans en choisissant la bonne épée après les réconciliations, et se raviser après la provocation. Comme s’il suffisait de nous montrer une rose à la pointe d’une épée pour expliquer la tension, l’inéluctable d’une situation appelée des vœux même de la Cour qui crie à la trahison – chez Shakespeare, non pas quand le piège est dévoilé mais quand Hamlet transperce le roi de son épée.

Si ! Il suffit d’une rose bien entendu. Et l’on peut dire que c’est bien imaginé de la part du metteur en scène. Car une rose à chaque pointe des épées n’aurait pas attirée l’attention, alors qu’une seule alimente la suspicion d’un duel truqué ; ce à quoi Hamlet a toutes les raisons de s’attendre puisque Claudius a déjà attenté à sa vie. La rose cache bien sur, la pointe de l’épée démouchetée. Mais dans le texte de Shakespeare, il ne peut échapper à Hamlet cette absence de bouton à la pointe de l’épée de son adversaire (Revoir à cet effet le gros plan sur les fers croisés dans le film de Laurence Olivier). Quoique… vous dirons les spécialistes de l’escrime ; mais comment expliquer la mort de Gertrude dans cette affaire ? Comment expliquer l’absence de scrupules chez Hamlet quand sa mère boit la coupe empoisonnée alors que l’assistance vient de se figer au cri du roi : - Ne buvez pas Gertrude ! » ?

La reine préfèrerai-t-elle boire plutôt que de laisser entendre sa complicité, voire sa posture de commanditaire dans l’assassinat de son premier mari ? Cette mère qui n’hésite pas à faire passer son fils pour fou ; cette mère qui est au courant pour l’exil et les projets d’assassinat ; cette mère qui entend Claudius parler de son plan à la scène du cimetière ; cette mère qui peut tout faire basculer lorsque Laërte tient le roi en respect au bout de son épée…

Si j’étais parti à l’entracte, je n’aurais pas vue la fin bâclée de cette mise en scène dont le remarquable tient aux interprètes, à l’adaptation. Mais je n’aurais pas pu vous en parler non plus. Il aura manquée une heure à Daniel Mesguish pour peaufiner sa mise en scène - mais à quoi bon si c’est pour une énième répétition des bêtises dites par nos pères. Je ne vois qu’une solution, reprendre tout depuis le début, et remonter Hamlet une cinquième fois. Mais la prochaine fois, il faudra me soigner tout ça ! Insensé.



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