HORATIO

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23/12/2020

Ophélia de Claire McCarthy

OPHELIA
Film américain de Claire McCarthy (VVS, 2018),
adaptation d’un roman de Lisa Klein (2006),
lui-même adaptation d’une pièce de Shakespeare (1602),
elle-même adaptation…



Un ami me signal au début du confinement (mars 2020) qu’il a visionné Ophélia en Streaming et me conseille de voir le film. Je me lance dans cette aventure qui consiste à dépasser sa peur du net, et en cette journée mondiale de la santé comme dirait le Pr Salomon, je commence à regarder ce film –même si cela fait déjà bien longtemps que « ça me regarde ».

Je fais une rapide recherche sur Internet pour connaître le sujet du film.
- AlloCiné est peu disert : « L'amour interdit entre la suivante Ophélia, et le prince Hamlet. »
- Le synopsis du site l’Internaute est guerre plus parlant : « Ophelia meurt noyée, enfermée dans sa folie. Telle est l'histoire narrée par William Shakespeare. Mais qu'est-il arrivé à la pauvre Ophelia? Elle raconte sa propre histoire, celle d'une femme tyrannisée entre l'amour qu'elle porte à Hamlet, et celui qu'elle doit à son père Polonius, assassiné par son amant. »
Nous aurons du mal à comprendre en quoi leur amour est interdit, et nous allons découvrir que si Ophélie est tyrannisée, ce n’est certainement pas entre l’amour pour Hamlet et celui d’un père assassiné. Mais qu’a voulue faire la réalisatrice ? D’après CNEWS qui était à l’avant-première au festival de Deauville en 2018 : « Une relecture du classique de Shakespeare à travers les yeux d'une femme. »

Pour être honnête, ces recherches sur le film, je les ai faites après l’avoir visionné. Car j’ai été ahuri par le machiavélisme d’Ophélie, qui s’étalait devant mes yeux, au fur et à mesure de ma prise de note pendant le visionnage. A tel point que j’ai voulu m’assurer que je n’avais pas la « berlue ». Car si l’écriture du scénario est shakespearienne, l’histoire ressemble à la transposition d’une mièvrerie contemporaine à l’époque élisabéthaine.

La bande annonce du film (teaser) est d’ailleurs faite pour nous tromper :
- Ophélie se pose des questions philosophiques (sont-elles interdites pour une femme ?) : comment connaît-on l’intérieur d’une personne ? Où se trouve le siège de l’amour, de la vérité, de nos pensées, de la folie, du souvenir ?
- Laërte la met en garde contre ces choses étranges qui ont lieu au château et lui rappelle que la seule sauvegarde, c’est la crainte (sous-entendu de Dieu ?).
- Hamlet réalise que la couronne lui a été ravie par son oncle.
- Le Roi Claudius remet le Prince à sa place de Sujet.
- Le projet de la vengeance murit dans l’esprit d’Hamlet.
- Ophélie lui fait l’éloge de la fuite.
- La Reine remet Ophélie à sa place de rivale.
- Estimée dangereuse, le Roi fait le projet de marier Ophélie à un autre.
- Hamlet entre dans la danse avec la souricière.
- Ophélie résume le dénouement : la mort, la vengeance, la folie, la perte d’un Royaume… Et pourtant rien n’est comme il y paraît !

Résumé de cette histoire :

Le film commence fort, c’est-à-dire par un tableau final - pas la fin d’Hamlet ni celle d’Ophélie – mais à la manière de la noyade immortalisée en 1852 par le peintre anglais John Everett Millais. Pour comprendre comment on en est arrivé là, au mythe d’Ophélie, alors que Shakespeare a voulu nous raconter celui d’un Prince, il faut écouter cette histoire telle qu’elle nous est racontée par la dame de compagnie de la Reine Gertrude. Et si ça commence mal, c’est aussi parce qu’Ophélie raconte mal. Shakespeare ne raconte pas autre chose dans son Hamlet : le mensonge et le déni vont déclencher des actes violents en retour …

Claire McCarthy a décidé de nous montrer des épisodes de l’enfance d’Ophélie qui ne sont pas dans l’œuvre de Shakespeare ou qui ne collent pas avec l’œuvre de Shakespeare, pour expliquer ce déchainement de violence dans la pièce :
- Ophélie fut élevée comme une enfant des rues, naïve et joyeuse, jusqu’à ce que la Reine la rencontre et décide d’en faire une de « ses dames de compagnie ». Il est plus logique qu’elle accède à ce rang du fait de la position de son père à la cours. Mais la volonté est de nous conter fleurette…
- Hamlet est un adolescent de 15 ans qui revient de l’université de Wittenberg pour « les vacances ». Il est accompagné d’un fidèle ami prénommé Horatio, mais qui est loin d’être le personnage appelé au chevet d’Hamlet parce qu’il est un savant qui a étudié la « philosophie ». Le parti pris est celui de l’intelligentsia qui s’est focalisée sur cette parole du Roi, dans la pièce, demandant à Hamlet de ne pas se comporter en adolescent. La volonté est de nous raconter des sornettes depuis quelques décennies…
- Gertrude est une très belle jeune femme qui est devenue Reine après avoir passée son enfance dans un couvent français en compagnie de sa sœur. La volonté est de broder visiblement… D’ailleurs, l’extase de la cour devant une tapisserie de Diane la chasseresse est là pour nous montrer l’inculture de la compagnie face à l’initiation d’Ophélie ayant lu pour la Reine « métamorphose par extase » dans on ne sait quel classique. Mais Diane la romaine n’est pas là pour nous questionner sur la religion qui anime tous ces personnages, ou nous questionner sur l’âge qu’avait la Reine lorsqu’elle eut son doux Hamlet. Diane est le prétexte d’une douleur morale de la Reine qui va profiter au frère du Roi. Il va profiter de sa détresse pour entamer une relation « incestueuse » d’une toute autre nature…
- En effet on apprendra par la suite que Claudius est illégitime pour succéder au trône. Il est demi-frère du Roi par leur père. Shakespeare dit précisément l’inverse !

Vous l’aurez compris, ça doit ressembler à un compte de fée… Le changement de perspective est intéressant car il me pousse à m’interroger sur les raisons de l’adultère dans la pièce de Shakespeare. Claudius aurait-il les moyens de faire pression sur la Reine en connaissance de cause, soit l’illégitimité du prince Hamlet ?

Dans ce film nous n’assistons pas à un changement de perspective : l’histoire racontée d’un autre point de vue, celui d’Ophélie ; l’auteur nous raconte une autre histoire, son point de vue, d’après une théorie fumeuse sur l’illégitimité de Claudius sortie de je ne sais quelle auteur critique, car ça ne ressemble ni à Freud, ni à André Green, ni à Jules Laforgue, ni même à Pierre Bayard…

Toujours est-il que c’est à Ophélie de tenir le beau rôle – comme pour « compenser » celui tenu par les femmes dans la pièce de Shakespeare :
- Ophélie en intrigante qui va chercher l’élixir de jouvence de la reine chez la sorcière Mechtild ;
- C’est Ophélie qui rencontre le spectre du défunt roi non pas annonciateur/révélateur du déclenchement de la folie meurtrière passée et à venir.
- Cette rencontre devient motif du questionnement à Laërte et Polonius – quand c’est cette déclaration d’amour déplacée du Prince dans la pièce qui provoque les réactions en chaîne.
- D’ailleurs Polonius voit cette union avec sa fille d’un très bon œil, et c’est lui-même qui écrit à Hamlet pour qu’il revienne de Wittenberg afin d’assister - sans transition - au remariage de sa mère.
- Alors la scène de la chambre, celle du retour d’Hamlet au début de l’acte 2, n’a plus du tout même valeur, celle où Hamlet est censé dire à Ophélie les horreurs révélées par le spectre qui vont précipiter la chute du royaume : la scène a lieu en présence des dames de compagnie pour de banales « étranges paroles » sur l’oubli.

Ophélie est jugée vilaine d’être vertueuse et ce n’est pas pour déplaire à Hamlet qui demande à son ami Horatio de lui arranger une entrevue sur les remparts. La rencontre entre Ophélie et Horatio a lieu dans un lieu interdit aux femmes. La bibliothèque et les rumeurs de vols de cadavres dans les cimetières sont là pour attester qu’Horatio est un puits de science qui aspire à devenir docteur. Il y a une part de vérité dans cette posture, mais Shakespeare n’a pas fait de Horatio un rabelaisien, mais un authentique romain, donc un catholique, qui a étudié la philosophie dans une université protestante et c’est essentiel pour comprendre la responsabilité du personnage dans la mort d’Ophélie à la fin du 16ème siècle : le couple royal fait venir Horatio pour soigner la mélancolie du Prince. Cela change complètement la… Dona !

La rencontre sur les remparts a donc lieu entre Hamlet et… Ophélie pour des révélations qui ne justifient pas encore que tout le monde s’entretue : Comme Ophélie était proche de la Reine, Hamlet veut savoir si sa mère était fidèle au Roi son père. On apprend d’Ophélie qu’elle ne sait pas garder un secret, car si elle ne peut le dire, ses yeux ne savent pas mentir. Alors certes elle a trahi la Reine, mais elle sait aussi que c’est plus une inconstance de la famille royale que du sexe féminin. Elle en aura la preuve en allant chercher l’élixir de la reine – qui prend cette potion comme on prend de la cocaïne aujourd’hui. Ce ne sera pas faute d’être prévenue par ce présage de Mechtild : Ils te mettront à nue et tu réclameras la mort !

Ophélie aura donc cette preuve en croisant un sombre personnage encapuchonné sur le chemin de la tanière de la sorcière. Ce même personnage qu’elle a entrevu le jour de la mort du Roi après sa morsure de serpent. Ce même odieux personnage qu’elle croise dans la chambre de la Reine et qui entretient son addiction. C’est en lui faisant les poches qu’elle obtiendra une preuve supplémentaire, le fameux poison.

Mais ce qui leur empoisonne la vie à tous, c’est cette médecine profane qu’exerce la sorcière. Mechtild s’en est servi personnellement pour échapper au Roi et à la mort – et, désormais, elle lui permet de se venger d’avoir été engrossée par un Claudius incapable de supporter qu’elle ait pu mettre au monde son enfant mort-né. (Ca ne tient pas vraiment debout cette histoire : c’est le même qui lance ses soldats à la poursuite de la sorcière chez qui il se procure ses potions magiques ?) Maintenant qu’Ophélie a été mise dans la confidence par Mechtild, elle va représenter un danger pour la couronne. Elle va devenir la femme à écarter du pouvoir, comme Hamlet a pu le représenter en son temps.

De gens qui s’habillent en gens du commun pour déjouer la surveillance, Hamlet et Ophélie vont devenir les amants qui devront se marier en secret et feront le projet de s’enfuir du château pour échapper au tyran Claudius. Mais Claudius en fin stratège comprend qu’Ophélie sera la cause et la cure du tourment d’Hamlet. Il découvre au cou d’Ophélie l’anneau du mariage secret. Il a assez d’élément pour démontrer le manque de loyauté envers la Reine et devrait l’écarter du cercle restreint des dames de compagnie.

Au lieu de cela Claudius organise une rencontre où la nymphe hors d’eau servira d’appât pour un poisson qui, jusque là ne brigue aucune couronne. C’est bien là le drame du machiavélisme royal, ils ne trouvent aucune opposition, aucune résistance, aucun prétexte à protéger la couronne. Hamlet a bien été un peu hostile à l’idée du remariage ; il a hésité à se mettre à genou devant son Roi. Mais rien de bien inquiétant. C’est Ophélie qui servira de ressort à l’action, car le Hamlet musarde.

Lors de l’embuscade organisée par Claudius, Hamlet rappelle à Ophélie leur sacrement du mariage quand elle lui révèle à voix basse ses certitudes sur l’empoisonnement du Roi Hamlet ; alors l’idée de vengeance germe dans l’esprit du Prince. Il conseille à Ophélie de partir au couvent en France en région Saint-Emilion. En bon observateur, Claudius a bien vu pour les messes basses, mais il a surtout acquis la certitude du mariage en secret, et se met en tête tout bonnement de marier Ophélie. La voilà coincée et promise à un garde. La seule façon de sortir de ce guêpier, c’est qu’elle lui martèle en tête que la couronne lui a été ravie. Voilà notre Hamlet deux fois marri.

Coup de théâtre dans le film – le « bonhomme » a de la ressource : Hamlet fait jouer en ombre chinoises l’assassinat d’un Roi par empoisonnement. Claudius sait que la pièce est vraie. Il fait interrompre la provocation. Hamlet le sanguin sort son épée. Ophélie, en grande manipulatrice, lui retient le bras comme pour nier son implication de futur commanditaire. Mais c’est trop tard pour Hamlet, c’est une trahison que de menacer son Roi… Hamlet partira donc pour l’Angleterre.

Avant cela, pour sceller le sort d’Ophélie, il lui faudra une rivale digne d’un mythe, l’égale d’une Reine . Les réprimandes de la Reine, après la souricière, ne sont plus dirigées contre Hamlet mais contre Ophélie. Car la Reine s’étonne qu’Hamlet vise la couronne. Ophélie lui rétorque qu’une mère devrait le comprendre plus que toute autre personne. Pour Gertrude, Ophélie fait trop de protestations ; la Reine en déduit qu’elle a monté son fils contre elle. Contrairement à la Reine, si Ophélie n’a pas encore eu d’enfant, elle sait ce qu’est d’aimer le fils d’une Reine. C’est trop de jalousie pour la Reine qui renvoie sa demoiselle d’honneur.

Pour sauver les meubles et pour que sa fille paraisse moins menaçante, Polonius n’a d’autre perspective que d’accepter le mariage pour sa fille. Dans quelles conditions, nous n’en saurons rien, Hamlet tue Polonius accidentellement. En découvrant son père mort, Ophélie se rend responsable de la mort de son père. Mais il en faudra plus pour vriller l’esprit d’une Ophélie manipulatrice depuis le début.

Un poison mortel s’avèrerait plus doux que :
- Cette la loi du talion qui s’affirme par la voix de Laërte décidé à venger son père ;
- Ou encore, cette autre dame de compagnie qui cherche à être l’égale de la manipulatrice Ophélie : elle lui annonce que son Rosencrantz doit balancer son Hamlet par-dessus bord.
Alors, Ophélie ayant perdu l’objet de son tourment, nous la retrouvons sur les remparts, prête à se jeter dans le vide. La mise en scène, encore une fois, prévoit des rebondissements par le biais de d’Horatio qui la retient de mettre fin à ses projets d’ascension sociale : Hamlet est toujours vivant car le bateau n’est pas parti.

A ce stade, pour que le spectateur ne se demande pas si c’est cette fille ou la situation qui est folle, il faut bien l’intervention de Claudius pour jeter Ophélie en prison. Et comme l’histoire est aussi bien foutue que l’héroïne, c’est la présence du garde promis en mariage qui va permettre à Ophélie de s’échapper. Les charmes du sexe féminin ne servent pas qu’à sauver la situation par l’évasion mais aussi à justifier l’apparition au banquet où :
- la Reine implorera le Roi de la laisser partir parce qu’elle a perdu la raison.
- Ophélie demandera à Horatio de la déterrer pour ses autopsies.
Comme chez Shakespeare, on peut s’attendre à ce qu’Horatio ne lève pas le petit doigt pour secourir la malheureuse. Effectivement, il ne sort pas de table. C’est la Reine et sa suite qui courent après Ophélie. Elle a juste le temps d’avaler trois gouttent de poison et de tomber à l’eau… pour nous replonger au début de l’intrigue.

Horatio intervient pour exhumer la malheureuse et exhausser son désir. Quel est-il ? Un retour au cimetière, où ils rencontrent l’armée Norvégienne et où Horatio explique à Ophélie leur intention d’envahir le château. L’idée de les prévenir viendra d’Ophélie. Et pendant qu’Horatio fera le messager, elle ira retrouver la sorcière.

Revoir Mechtild, pas seulement pour obtenir l’antidote qui la remettra sur pied, mais pour distiller un autre poison dans les oreilles de cette sorcière à qui elle affirme avoir gardé son secret. De quel secret parle-t-elle ? Car :
- A Hamlet elle a révélé que son père a été assassiné.
- Et au Roi, c’est juste si elle ne lui a pas présenté ses condoléances pour son fils mort-né.
- Pour couronner le tout, Ophélie révèle à Mechtild que c’est le Roi lui-même qui a crié à la sorcière lorsqu’elle a perdu son enfant.
Malgré toute la puissance de sa pharmacopée, Mechtild se sent obligée de rejoindre l’armée Norvégienne pour que Claudius aille brûler en enfer.

Du coup, Gertrude est obligée d’aller chercher elle-même son élixir. A la grotte, elle tombe sur Ophélie qu’elle croyait morte et enterrée avec ses secrets. S’engage une conversation digne de notre télé-réalité :
- Et non je ne suis pas morte ! Et même que je sais que vous avez le sang du Roi sur les mains, dit-elle.
- Et non ! la Gertrude ne savait pas que le Claudius voulait tuer le Roi.
- Eh bien moi, Ophélie, dit-elle, je sais que Claudius a détruit la vie de ta sœur Mechtild – qu’il aimait en plus de ça. Alors jalouse ?
- Oh là ! Moi la Reine, je sais qu’Hamlet a quitté le bateau en apprenant la mort d’Ophélie. Et même qu’il ne savait pas pourquoi la venger. Alors c’est Laërte qui l’a provoqué en duel pour venger la mort votre père, Polonius.
- Mais il a du parler de moi, Ophélie ?
- Ah non ! moi, la Reine, je peux vous affirmer qu’il n’a parlé que de son père.

Finalement pour ceux qui veulent de la vengeance, Ophélie apparaît à la cour pour provoquer Hamlet en duel : c’est lui ou moi ! Connaissant la femme, Claudius parie sur Laërte sans que l’on sache combien. Pour Ophélie ils n’en valent pas la peine. Elle les laisse s’entretuer. Elle part en barque pour le couvent où elle élèvera seule son enfant…