HORATIO

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Le viol d'Ophélie

Ce dont nous allons parler n’est pas un viol physique à proprement parler. Nous allons parler d’un viol psychique ou moral.

Revenons sur la mort accidentelle d’Ophélie

La discussion sur la mort d’Ophélie nous a amené à nous interroger sur la nature de sa folie peu avant sa noyade. Sa situation est critique, dans la mesure où elle est dans un état de démence avancé, mais sa situation n’est peut-être pas désespérée. Elle a cette parole lucide où elle dit : « Mon frère le saura ». Il est le seul à pouvoir venger la mort de son père et laver l’honneur de sa famille, le sien en particulier.

L’arrivée de Laërte semble tomber à pic. Est-ce la mort de son père qui le fait revenir de France ou est-ce plus compliqué que cela ? Claudius s’en afflige après la vue d’une Ophélie séparée d’elle-même, « son frère est rentré secrètement de France ». Est-ce l’espion de Polonius, Reynaldo – chargé d’espionner les bonnes mœurs de Laërte – qui lui rapporte les évènements qui se déroulent au château, qui lui conseille de rentrer ? Il faut se méfier des apparences dans cette pièce. Toujours est-il qu’il rentre, qu’il a levé une armée, qu’il est prêt à en découdre.

Mais voilà que le seul espoir pour Ophélie de voir le responsable de la mort de son père et de son état, puni par une main vengeresse, se laisse berner par Claudius. Hamlet qui ne répond pas de ses actes et maintenant Laërte qui abandonne ses projets de coup d’état. C’en est trop pour Ophélie. Elle se met en danger pour accrocher sa guirlande à un arbre. Une branche casse, elle tombe à l’eau. Qu’est-ce qui reste ? L’image d’une jeune fille qui s’est suicidée, sans qu’on sache vraiment pourquoi ?

Depuis le début il se passe des choses incompréhensibles dans cette pièce. Il y a, soi-disant, un Hamlet et une Ophélie qui s’aiment. Il y a l’« apparition » et les révélations du spectre. Puis on les retrouve dans la scène de la galerie : Ophélie a rompu comme le lui a demandé son père ; Hamlet devient odieux ; il lui demande d’aller faire la pute dans un couvent. Au début de la souricière, il est infecte avec elle. Après la représentation, il tue son père. Hamlet part pour l’Angleterre contraint et forcé. Polonius est enterré en catimini, sans les honneurs liés à son rang. On retrouve une Ophélie délirante, qui pleure son père et son amant. Elle meurt par accident. Pourtant la rumeur d’un suicide vient à salir sa mémoire…

Je crois qu’il est temps de réexaminer chacun des évènements à la loupe pour expliquer ce qui peut conduire à un tel désastre du côté des Polonides – pour reprendre l’expression d’André Green.

Réexaminons l’amour entre Hamlet et Ophélie

D’où tient-on cette idée, qu’il y avait de l’amour entre Hamlet et Ophélie ?
- Dans la scène du cimetière, Hamlet hurle enfin : « j’aimais Ophélie » ; mais trop tard, avant cela, il n’a fait que bafouer leur relation.
- Sur la tombe d’Ophélie, la reine dit avoir espéré joncher son lit nuptial de fleurs plutôt que sa tombe. Mais il y a fort à parier qu’il s’agit de larmes menteuses.
- Polonius, depuis le début, s’évertue à expliquer la mélancolie d’Hamlet par un amour rejeté par sa fille (ce qu’il le lui a demandé).

Polonius a plusieurs raisons d’agir ainsi auprès de la reine. En tant que Chambellan et conseiller du roi, c’est son travail et son intérêt de faire oublier le remariage de la Reine avec son beau-frère. C’est le côté calculateur du personnage – c’est pas le meilleur. Polonius c’est aussi un bon père qui veut le meilleur pour ses enfants : la formation en France pour son fils et, pour sa fille, du cadre…

Polonius remet sa fille à sa place : Ce jeune prince n’est pas de ton rang, ne te laisse pas conter fleurette. C’est plutôt bienveillant pour un père – ceci dit, princesse pour sa fille, ce serait un beau métier.

Polonius a deux raisons de mettre Ophélie en garde contre le jeune prince :
- La première, c’est que cet amour n’est pas aussi sérieux que cela et pas aussi lointain qu’on veut bien nous le faire croire ; et Polonius sera de ceux-là.
- La deuxième est motivée pour raison d’Etat comme je viens de l’énoncer : il s’agit de protéger le roi et la reine.

La stratégie de Polonius s’appuie sur deux faits :
- Hamlet ne le porte pas dans son cœur et c’est réciproque : il va donc vouloir faire passer l’entêtement impie d’Hamlet sur le compte de l’amour délaissé.
- Hamlet est un prince « dérangé » : il n’est pas aussi satisfait que cela de voir sa fille fricoter avec lui. S’il en n’était pas ainsi, Polonius ne prendrait pas le risque d’offenser le roi et la reine en affirmant que leur fils est fou. Il faut déjà qu’ils en soient un minimum persuadés.

Pour arriver à ses fins, c’est-à-dire démontrer qu’il a ordonné à sa fille de se garder de flirter avec Hamlet, il utilise les lettres d’Hamlet qu’elle lui a remises. Il lit un extrait d’une lettre qui se termine ainsi :
« Doute (…) Mais que je t’aime précieusement, Ô toi la plus précieuse, crois-le. Adieu.
A toi à jamais, très précieuse Dame, tant que ce corps sera sien. »

Polonius a tout l’air de nous faire passer une lettre de rupture (adieu) pour une lettre d’Amour. Quoi que fasse ou dise Polonius, il serait peut-être temps de s’interroger sur les liens qui existent entre eux.

Nature des liens entre Hamlet et Ophéie

Il faut revenir au début de la scène 3 de l’acte 1 (Marcellus et Horatio viennent de quitter Hamlet à qui ils viennent d’annoncer avoir vu le spectre. Hamlet sort) Entre Laërte et Ophélie. Laërte explique à sa sœur que ses bagages sont à bord. Il part pour la France ; qu’elle n’hésite pas à lui donner des nouvelles. Il en vient au sujet du jeune Hamlet. Il la met en garde contre ses badinages, etc. Il n’est pas certain que ce soit Laërte qui en vienne à parler de ce sujet. Il est tout à fait probable que ce soit la suite d’une conversation entamée par Ophélie pour demander l’avis de son frère.

Ce qui veut dire qu’Ophélie est la première surprise par ces déclarations d’amour. Cela ne veut pas dire qu’elle le reçoive mal. Au contraire, il est probable qu’elle tombe en pamoison. Mais elle reste une jeune fille équilibrée, qui garde la tête sur les épaules. Et les bons conseils prodigués par Laërte, elle ne manque pas de les lui renvoyer. Deux bonheurs semblent arriver en même temps : Laërte part pour la France, Ophélie est amoureuse d’un prince…

La conversation qui suit avec son père révèle une chose importante : Hamlet a fait à Ophélie, « ces derniers temps », beaucoup d’offres de son affection. « Ces derniers temps », pourrait bien vouloir dire « depuis que sa mère fricote avec son beau-frère ». En d’autres termes, son remariage précipité pourrait bien avoir donné des idées au jeune prince, bridé jusque là.

Les verrous ont sauté ; et les conséquences vont être dramatiques. Hamlet couve déjà quelque chose alors que sa rencontre avec le spectre n’ a pas encore eu lieu.

Avec la rencontre du spectre la vie d’Hamlet bascule. Il fait jurer à Horatio et Marcellus de ne rien révéler sous peine de les tuer. Il décide de se retirer en prière, à tel point que Horatio lui demande s’il est sérieux. Et il adresse peut-être cette lettre de rupture à Ophélie, qui ne comprend plus rien, et qui ne dira rien sur le sens à donner à cette lettre à son père, pour des raisons que nous allons explorer bientôt.

Hamlet se retire, deux mois durant (lors du Conseil on apprend que le vieil Hamlet est mort il y a deux mois ; lors de la souricière Ophélie rappelle à Hamlet que son père est mort il y a deux fois deux mois). Cette retraite ne sera pas du meilleur effet pour Hamlet puisqu’il reparaît à l’acte 2 pour se présenter à Ophélie complètement hagard. C’est ce qui conduit Ophélie à se confier à son père et à lui révéler la nature de leurs échanges. Polonius très soucieux de préserver son honneur et son rang fait ses révélations au roi et à la reine : Hamlet est fou, l’amour l’a rendu fou, l’ordre donné à Ophélie de rompre l’a rendu fou. Il est prêt à payer de sa personne s’il se trompe...

Pour attraper la conscience d’Hamlet, Polonius propose de l’observer dans la galerie, pendant qu’il déambule ; tandis qu’Ophélie ira au devant de lui.. Nos trois espions légitimes (Gertrude reste pendant cette scène) pourront observer à loisirs la nature de leur relation. Sauf que ça ne se passe pas comme prévu. Ophélie, très dignement, va à l’encontre de l’autorité paternelle : ayant été trompée par Hamlet, elle se sert de l’entrevue pour lui rendre ses lettres. Polonius très maladroitement a fait venir Hamlet qui comprend qu’elle n’est pas là par hasard. La scène ne dit rien sur la nature de ses sentiments. Mais l’ingérence du roi et de la reine dans sa vie privé et affective le met hors de lui.

Le roi comprend qu’il va avoir du fil à retordre avec Hamlet. Il prend la décision de l’envoyer en Angleterre. La reine est là, tapie dans l’ombre – ça explique qu’elle soit au courant pour son exile après le meurtre de Polonius.

L’épreuve dans la galerie a été rude pour Ophélie. Elle se rallie à son père pour faire passer le comportement d’Hamlet sur le compte de la folie. Elle est désespérée d’avoir à ce point été trompée par les déclarations d’amour du jeune Hamlet.

Mais ce n’est pas fini, une autre épreuve attend Ophélie, celle de la souricière. La reine propose à Hamlet de venir s’asseoir près d’elle pendant la représentation. Mais Hamlet préfère s’étendre « entre les jambes » de la jeune « vierge ». Il est odieux, il insinue des saloperies d’une extrême gravité pour la jeune femme. Ophélie pare les coups comme elle peut. Elle perd sa faconde à mesure qu’Hamlet réplique. Elle finit elle-même par un coup bas en arguant qu’il est ivre.

Hamlet se calme le temps de la représentation. Mais avec son dénouement il reprend ses commentaires déplacés et ses insinuations. Ce que ne s’aperçoit pas Hamlet, c’est qu’en jouant le rôle du cœur, il perturbe la représentation et les acteurs (il ne peut pas être à la fois observé et observateur). En annonçant qu’un certain Lucianus est le neveu du roi, il prépare l’échec de la souricière. Car c’est au moment où il annonce que le meurtrier veut gagner les faveurs de la femme de Gonzague, que le roi se lève. Hamlet ne réalise pas qu’il est trop tard, le mal est fait : il vient de proclamer le sujet de la pièce, un véritable inceste. C’’est comme projeter un film porno à une heure de grande écoute.

Hamlet s’est fait prendre à son propre piège. Il ne supportera pas de se faire « gronder » par sa mère. Aux infantilisations qui l’humilient depuis si longtemps, il répond en affirmant sa virilité. Mais ce n’est qu’illusion. La tenture voile la nature de ses actes.

Ce qui va anéantir Ophélie, c’est la mort de son père, pas parce que le deuil est impossible, douloureux, ou parce qu’il n’a pas pu expier ses pêchés, ou encore parce qu’il n’a pas été inhumé avec les honneurs. C’est surtout parce qu’il était le seul à pouvoir protéger Ophélie. Ophélie a peut-être fait une bêtise. Si elle ne l’a pas faite, Hamlet a mis le doute maintenant dans les esprits. Ecoutons le délire d’Ophélie (acte 4 scène 5) :

En vérité, je finirai sans blasphème.
Par Jésus ! par sainte Charité !
Helas ! Honte, que diable !
Les gars le font sans hésiter.
Par queue, ils son blâmables !
« - Avant de me trousser, dit-elle,
Tu promis d’être mon mari.
- C'est ce que j'aurais fait, ma belle,
Si tu n'étais pas venue dans mon lit. »

Écrit par horatio in love Lien permanent | Commentaires (0)

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