HORATIO

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/09/2012

Pas d'autre de l'autre

IL N’Y A PAS D’AUTRE DE L’AUTRE


Qu’on me donne mon désir, serait le sens de la pièce, nous dit Lacan, que ce soit pour le critique, l’acteur ou le spectateur. La pièce, sous cette forme a une structure dont la clé est a chercher dans le graphe, une autre forme topologique.

Le drame d’Hamlet, c’est la rencontre inaugurale avec la mort sur la terrasse d’Elseneur. L’art de Shakespeare c’est d’être arrivé à nous faire croire au fantôme. Il a certainement approché de très près qui n’était pas le ghost, mais bien la rencontre avec la mort. Lacan ne manque pas de nous rappeler la cloche sonnant une heure, lorsque apparaît le fantôme, et le temps de dire un, lorsqu’il est prêt pour accomplir son destin. Nous pourrions ajouter que le temps, l’époque est détraquée, que je sois jamais né pour la remettre en ordre.

Entre temps, Hamlet a à s’acheminer vers son acte, et il ne prend pas le chemin le plus court, il musarde, comme Horatio il fait l’école buissonnière. Pourquoi l’action en cause, celle de porter la mort, si brève à exécuter, demande-t-elle temps de temps à Hamlet ? Cette action rencontre chez Hamlet l’obstacle du désir, continue Lacan. Ce désir, découvert par Freud, c’est le désir pour la mère, en tant qu’il suscite la rivalité avec celui qui la possède. C’est dans cette énigme irrésolue que se structure la fonction mythique d’Hamlet, celle qui en fait un thème égal à celui d’Œdipe.

Il ne fait aucun doute pour Hamlet que le meurtre est toute la loi, qu’il est a faire. Pour Lacan, il n’y a pas chez Hamlet de conflit de droit ou d’ordre, il n’y a pas d’ambiguïté entre l’ordre public et les tâches privées, mettant en cause les fondements de l’exécution de la justice. Cependant, il ne pourra le faire que lorsqu’il sera frappé à mort.

Pas tout à fait, il ne pourra le faire que lorsque la trahison aura été énoncée par sa mère puis par Laertes. C’est bien là toute la question, les révélations du ghost, l’accès aux pensées de Claudius dans la scène de la repentance, la conversation privée entre Laertes et Claudius préparant le piège final, ne fonctionnent pas comme preuve. Il aura fallu qu’il mette sa vie en jeu, que Laertes soit piégé par la mort, pour qu’on accède à un savoir, à des aveux.

Retour au graphe, pour essayer d’y articuler le sujet, en tant qu’il parle et en tant qu’il est structuré dans un rapport complexe avec le signifiant. L’entrecroisement de l’intention, de la demande, et de la chaîne signifiante se fait au point A, le grand Autre en temps que lieu de la vérité, lieu où la parole se situe en prenant place.

Cette référence à l’Autre se prolonge à partir de A pour constituer la question – Que veux-tu ? Au-delà de la demande aliénée dans le système du discours, le sujet s’interroge sur ce qu’il est comme sujet. Qu’est-ce qu’il a donc à rencontrer au-delà du lieu de la vérité ? L’heure de la vérité. La temporalité exige la structure du langage. Dans cet Autre où le sujet s’avance avec sa question, ce qu’il vise, c’est l’heure de la rencontre avec son vouloir. Dans le discours de l’Autre, se constitue la ligne brisée des signifiants de l’inconscient.

Donc Hamlet n’est pas un obsessionnel, il est une création poétique, rappelle Lacan, il nous démontre de la névrose, parce que le désir chez l’obsessionnel, c’est de maintenir à distance l’heure de la rencontre. Le jeu avec l’heure de la rencontre domine le rapport de l’obsessionnel avec l’objet.

Qu’est-ce qui distingue la position d’Hamlet de la trame fondamentale de l’Œdipe, se demande Lacan ? Nous ne pouvons pas nous contenter, nous psychanalystes précise-t-il, de la raison. Si Œdipe ne rechigne pas devant l’acte, c’est qu’il le fait avant même d’y penser, sans le savoir. Mais pourquoi Lacan n’applique pas à Œdipe la dépendance au signifiant qu’il réserve à Hamlet ? Ce qui reviendrait à dire que les coordonnées du destin d’Œdipe lui sont données par l’Oracle.

Dans Hamlet, le père savait. Rien ne nous dit qu’il est sorti de son sommeil pour constater les dégâts du poison Hebona qui lui a été versé dans l’oreille. Lacan se pose de drôles de questions : A-t-on dans le domaine de l’au-delà des informations très précises sur la façon dont on y est parvenu ? Lacan semble avoir des informations sur l’existence même de l’au-delà, ce qui est pour le moins troublant.

Mais admettons. S’il se pose ces questions, c’est pour souligner l’arbitraire de la révélation initiale qui distingue la pièce du mythe d’Œdipe : La révélation par le père de la vérité sur sa mort. Insistons ! Ce qui distingue la pièce de Shakespeare de la tragédie de Sophocle, c’est le savoir du vieil Hamlet sur sa propre mort. Pourquoi Lacan n’est-il pas plus étonné que cela du fait de la révélation et de l’ordre donné à Hamlet d’exécuter cet acte ? Peut-être pour une question de résistance de l’analyste. Mais avant de nous attarder sur ce qu’en dit Lacan revenons à notre sujet de l’inconscient.

Pour ma part, je situerais la grande différence au niveau de la révélation, de sa forme et non de son contenu : Si notre savoir, sur nos désirs inconscients, nous parvient par la voix de l’oracle qui précipite le destin d’Œdipe, les coordonnées de notre désir nous sont données dans Hamlet par la voix du fantôme. Ce qui distingue Hamlet, c’est que la forme de la révélation est comparable à celle de l’hallucination – mais ai-je compris ce qu’est une hallucination ? Je la définirais comme suit : les coordonnées du secret – le meurtre – sont données par l’entourage, au travers d’attitudes, de paroles, de réactions, anormales – autre façon de dire la dépendance au signifiant. L’esprit fabrique l’image et le discours manquant.

La révélation par le père de la vérité sur sa mort, lève le voile de l’articulation inconsciente. Pour Lacan se voile doit avoir quelque fonction de sécurité du sujet en tant qu’il parle. Rétablir la cohérence de la chaîne signifiante au niveau de l’inconscient est une difficulté majeur de l’analyste qui rencontre des résistances – dont on sait qu’elles n’émanent pas toutes de l’analysant.

Pour Lacan la question serait résolue : le père sait, donc le fils sait. Bien drôle de manière d’interpréter les choses quand la clinique semble nous dire tout le poids des difficultés transgénérationnelles (tabous, non-dits, secrets de familles…). Toujours est-il que pour Hamlet, il n’y a qu’une réponse possible, fatale, pas obligatoirement dicible en termes psychologiques. Cette réponse, c’est le message qui se constitue dans la ligne supérieure de l’inconscient.

Au niveau de la ligne inférieure, la réponse est toujours le signifié de l’Autre, s(A). La réponse est relative à la parole qui se déroule dans l’Autre, modelant le sens de ce que nous avons voulu dire. Dans l’au-delà du discours de l’Autre, au niveau de la question que le sujet se pose – Que Vuoi ? – la réponse, c’est le signifiant de l’Autre avec la barre, S(A barré).

La distance que le sujet peut maintenir entre les deux lignes, c’est là qu’il respire pendant le temps qu’il lui reste à vivre, et c’est cela que nous appelons le désir. Lacan nous rappelle la destruction que ce désir subit de sa rencontre avec ce qui, de l’Autre réel, de la Mère, est moins désir qu’engloutissement.

Ce qui fait la valeur d’Hamlet, c’est qu’il nous permet d’accéder au sens du signifiant de l’Autre avec la barre, S(A barré) : l’irrémédiable trahison de l’amour, l’absolue fausseté de ce qui était apparu à Hamlet, comme le témoignage de la beauté et de la vérité. La réponse : la vérité d’Hamlet est une vérité sans espoir. Et Lacan d’affirmer qu’il n’y a pas trace dans la pièce d’une élévation vers aucun au-delà, rachat, rédemption. C’est oublier le suicide ! S’il y a des morts que l’on pleure, c’est Ophélie et Hamlet. Pas certain qu’il y est des larmes côté spectateurs, pour Polonius, Rosencrantz, Guildenstern, Gertrude, Laertes et Claudius.

S(A barré) ne veut pas dire que tout ce qui se passe au niveau de A ne vaut rien, à savoir que toute vérité est fallacieuse. S(A/) veut dire ceci : « en A, qui n’est pas un être, mais le lieu de la parole, où repose l’ensemble du système des signifiants, c’est-à-dire d’un langage, il manque quelque chose qui peut n’être qu’un signifiant. Un signifiant fait défaut au niveau de l’Autre. C’est si je puis dire, le grand secret de la psychanalyse – il n’y a pas d’Autre de l’Autre. »

L’analyse nous apprend, nous dit Lacan, que je ne suis pas celui-là qui est en train de penser que je suis, pour la simple raison que du fait que je pense que je suis, je pense au lieu de l’Autre. Et je n’ai aucune garantie que cet Autre, le système de l’Autre, puisse me rendre ce que je lui ai donné – son être et son essence de vérité. Il n’y a dans l’Autre, aucun signifiant qui puisse répondre de ce que je suis. Mais si nous pouvons parler de ce signifiant dont l’Autre ne dispose pas, c’est bien qu’il doit être quelque part. Dans le graphe, le signifiant caché, cette part de nous même qui est là dedans sacrifiée symboliquement, est partout où il y a la barre. Cette part qui a pris fonction signifiante, c’est le phallus.

Qu’est-ce que le phallus ? C’est ce quelque chose d’universel, plus mâle que femelle – dont la femelle elle-même peut devenir le symbole – où la turgescence vitale est symbolisée, où dans l’inconscient la vie prend sens. La vie, le sujet la fait signifiante. Toute sacrifiée qu’elle soit à l’Autre, sa vie n’est pas, au sujet, rendue par l’Autre. C’est pourtant de là que part Hamlet, de la réponse du donné et la révélation radicale le mène au rendez-vous dernier.

A la fin de cette séance, Lacan introduit le personnage d’Ophélie, après avoir rappelé les créations précédentes, notamment le personnage féminin de Twelfth Night, créé deux ans plus tôt, qui, pour approcher le Duc, se déguise en homme. Elle est l’appât destiné à arracher à Hamlet le secret de son désir. Le personnage Ophélie dans Hamlet se présente sous des traits extrêmement ambigus. Si Hamlet se comporte avec elle avec une cruauté tout à fait exceptionnelle, qui la pose comme une victime, difficile de dire si Ophélie est l’innocence même ou « une gourgandine prête à tous les travaux ». C’est dit, et Lacan de se rattraper : ce n’est, en tout cas, pas une créature décharnalisée. Elle semble le sommet de la création du type de la femme dans l’œuvre de Shakespeare. Elle est assurément la Girl dans l’œuvre de Lacan.