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19/05/2012

Jeux d'épées avec Michaël Müller-Hewer

Echanges avec Michaël Müller-Hewer (jeux d’épées)

Mail envoyé à Michaël Huber, Michaël Hewer, Régis Linquet, Phil Penguy : 17/04/2012

Bonjour,
Je viens vers vous suite à un échange avec Michaël Huber (arts d'armes).

J'ai en effet interpellé plusieurs spécialistes de l'escrime ancienne (fin 16e, début 17e) en rapport à des interrogations sur le Hamlet de Shakespeare. Dans le duel final aux épées,
- comment se fait-il que Hamlet ne s'aperçoit pas que l'épée de son adversaire est démouchetée?
- Pourquoi lui propose-t-on un duel d'honneur, quand Laërte devrait lui imposer un duel "judiciaire"?
- Comment se comptaient les points lors des assauts?

Ma critique de la pièce s'appuie sur la lecture de John Dover Wilson. Et mes échanges avec des épéistes m'ont permis de déduire que les analyses de Dover Wilson sont erronée:
- Les boutons qui servaient à moucheter les épées sont apparus fin 16ème contrairement à ce qu'il prétend (milieu 17e).
- La présence du deuxième courtisan qui interpelle Hamlet pour ce duel, apparemment inutile pour JDW, se justifie par la pratique du duel qui veut que deux témoins soient envoyés à l'offensé.
- L'interprétation comme quoi c'est Laërte qui fixe les enjeux (12 assauts au lieu de neuf) est fausse. Elle est due à une erreur de traduction en français du texte anglais de la pièce. La solution m'est apparue avec le visionnage du film de Kenneth Branagh: le roi Claudius parie que Laërte ne fera pas trois touches de plus quand Laërte parie qu'il en fera 9 de mieux - ce qui, cela dit en passant, semble rendre le handicap insurmontable pour l'offensé.

Ces conclusions sont le fruit d'échanges qui sont postés sur mon blog: http://horatio.hautetfort.com

Si la lecture de ce mail venait à piquer votre curiosité, vous pouvez si vous le souhaitez intervenir dans le débat pour attirer mon attention sur des points restés obscures.

Avec toute ma reconnaissance!
Sylvain

1ère réponse de Michael Müller-Hewer : 22 avril 2012

Bonjour Sylvain,
C'est un sujet très riche que vous me proposez là et je vous remercie. Néanmoins je vais répondre en compte-goutte, car je suis actuellement un peu surchargé.

Il y a ici un problème historique ET théâtrale, qui veut dire que vous ne pouvez pas traiter ce sujet que sur un point historique. Les scènes de duel chez Shakespeare sont toujours des scènes clé d'une pièce. Chez Roméo et Juliette, le duel est le début du drame, sans la mort de Tibald, pas de courbe dramatique, pas de double suicide.

Chez Hamlet, c'est le dénouement de l'intrigue, pas celle de Hamlet ou Claudius, mais celle de Shakespeare, qu'il a créé à notre insu. Bien qu'il faut mettre le spectacle dans le contexte élisabéthain, Shakespeare utilise et manipule les règles de la société pour qu'ils servent son histoire.

Ca répond déjà à votre question, pourquoi il n'y a pas duel judiciaire. Comme dans toute société "moderne" de l'époque, le duel judiciaire était interdit, Shakespeare utilise un subterfuge pour l'introduire dans la pièce, le duel "courtois", qui, selon les plans de Claudius, devrait faire passer, aux yeux de la population, le meurtre pour un accident. N'oublions pas que le royaume est au bord de la révolution.

Concernant les règles du duel, j'ai vu que le Maître Delannoy vous a déjà répondu en détail, je n'ai pas d'autres informations.

Vous avez certainement remarqué que dans le texte les expressions foil, sword et rapier sont utilisées de façon aléatoire sans que Shakespeare leur donne une spécification précise. Nous sommes en plein crise dans l'escrime anglaise, le conflit qui oppose les Maîtres Saviolo et Silver. L'un, un maître italien, enseigne la rapière et l'escrime d'estoc, l'autre le système classique anglais, qui est une escrime surtout de taille. Shakespeare avait indéniablement des connaissances de l'escrime, notamment de l'escrime italienne. Peut-être par le fait que son théâtre, le Globe, servait temporairement aussi comme salle d'armes.
L’assaut entre Hamlet et Laërtes se fait sans aucun doute à l'épée d'estoc. Les indications sur la dague et la rapière en acte V/ II concernent uniquement les capacités et le point fort de Laërtes.

Clarifions le terme "a sword unbated" : Le mot intéressant est "to bate - diminuer" et pas "to beat - battre". Comme ça nous trouvons "une épée non-diminuée, c'est à dire, non-mouchetée.

Maintenant partons de l'idée que les épées n'étaient pas mouchetées, mais seulement avec les pointes émoussées, comme souvent à cette époque où la fierté l’emportait sur la sécurité (D'ailleurs toujours un problème chez les AMHEs ;-) ). Après que les épées ont été distribuées et, probablement, comparées, Laërtes en réclame une autre (This is too heavy, let me see an other.) C'est à ce moment que l'échange se fait, et Hamlet ne verra pas la différence.

Pour terminer, je peux vous conseiller des articles wikipedia sur Hamlet et Vincentio Saviolo, et une version à moi de ce fameux duel (http://www.youtube.com/watch?v=-0o9lY2Tv00 ).

J'espère de vous avoir donné de la matière à réfléchir.
Cordialement
Michael Müller-Hewer (www.jeuxdepees.fr)

Mail du 1er mai 2012:

Bonjour,
Et merci pour cette première réponse qui me permet de parfaire mes connaissances sur l'escrime. Lorsqu'on s'intéresse à cette pièce, on ne soupçonne pas toutes les connaissances auxquelles il faut faire appel; et/ou les choix qu'il faut faire car les réponses ne sont pas évidentes à arrêter.

Je vous remercie pour le lien. Il se trouve que j'ai déjà vu cet extrait (sans savoir que vous en étiez le régleur/metteur en scène) en cherchant à voir de multiples interprétations du duel final. Celle-ci a le mérite d'être théâtrale. On y voit nettement la difficulté des acteurs à jouer un duel. Il n'y a pas trop de liberté pour le geste devant un adversaire armé d'une épée tranchante. On voit nettement que l'une des épées n'a pas de bouton. Et l'on voit également (détail important rarement représenté) que les témoins portent une épée prêts à en découdre... Les gros plans sur les interprètes sont intéressants, mais je ne comprends pas le jeu entre Laërte et Osric (je suppose)...

Contrairement à ce que vous avancez, ça ne peut pas échapper à Hamlet que l'épée de son adversaire est démouchetée. Alors bien sûr vous partez de l'idée que les épées avaient seulement les pointes émoussées - et l'idée que la fierté l'emportait sur la sécurité est importante. Mais, dernièrement une conversation avec Michel Olivier des Lames sur Seine m'apprenait que même émoussées les épées étaient mouchetées car toujours extrêmement dangereuses - on ne badinait pas avec la sécurité et l'entraînement se faisait en présence d'un maître d'armes. Je pense qu'il y avait une volonté de Shakespeare de montrer un duel truqué et de laisser son héros jouer le jeu de son adversaire, soit une attitude suicidaire.

Traiter le problème d'un point de vu historique et théâtral, c'est bien ce que j'essaie de faire:
- savoir quelle était la pratique du duel à l'époque de Shakespeare (les armes, les codes...)
- Maintenant que vous amenez le sujet, l'interdit des duels judiciaires à l'époque élisabéthaine. Vous dites que c'est la raison pour laquelle Laërte propose un duel "courtois". Sans votre apport historique, je l'aurais passé sur le compte des trucs gros comme une montagne qui sont là pour alerter Hamlet (Claudius l'a déjà envoyé en Angleterre), et qui ont un intérêt théâtral.

D'où mon questionnement, sur les règles dans le combat proposé à Hamlet. Il y a bien un code:
- deux témoins (dont Osric) sont envoyés par l'offensé. Chose étonnante ils n'arrivent pas ensemble.
- la question des armes n'est pas claire pour moi. Et vous ajoutez au doute en rétorquant: Osric présente la spécialité de Laërte mais ce n'est pas nécessairement l'arme qui va lui être proposée.
- le calcule des points, dans sa traduction française, est faut. Un retour au texte anglais montre un handicap quasiment grotesque pour Laërte et c'est lui même qui met la barre si haut. Du point de vue théâtral c'est intéressant: le public averti devait rire des enjeux mais devait également comprendre le sérieux de ce qui attendait Hamlet.

Je vous remercie pour les précisions que vous m'apportez sur la traduction de "sword unbatted" - je vous fais confiance. J'ai le sentiment que le jeu opéré par Laërte, à propos du poids de l'arme, n'est là que pour montrer qu'il y a choix d'une épée démouchetée et non pour montrer qu'il y a embrouille pour dissimuler "une épée tranchante". D'un point de vue théâtral, à l'époque de Shakespeare, j'ai le sentiment qu'il y avait une volonté affichée de montrer le piège (enjeux grotesques, pas de bouton à l'une des armes...) et mon interprétation de la pièce (suicide d'Hamlet, matricide, tous les deux occultés par le régicide et la vengeance) me conduit à cette conclusion: Hamlet ne peut que voir l'arme démouchetée.

Ce serait l'époque moderne qui aurait conduit à ces modifications dans le texte, dans le choix des armes, etc. pour arriver à l'illusion d'un Hamlet piégé malgré lui.

Je suis un petit peu long, une fois de plus. Pas forcément juste. Je patauge. et mes lectures allongent la liste des questions. Par exemple, je lis dernièrement le profil de l'oeuvre établi par Sylvie Herbinet (classique Hachette). A propos du duel elle site G.M. Trevelyan et fait référence à la "septième cause". Savez-vous de quoi il s'agit? la citation est la suivante:

"Les lois du duel, sanctionnées par le code de l'honneur, commençaient à remplacer les rixes sauvages, l'assassinat d'un ennemi par l'entremise de retainers et de serviteurs. La mode de l'escrime pratiquée comme divertissement ou plus sérieusement, était d'origine étrangère; les élégants se querellaient à la perfection, selon les règles, "sur la septième cause" et dégainaient rapière et dague aux cris de "Ah! l'immortel pasado! le punto reverso! touché!" (Trevelyan, Histoire sociale de l'Angleterre, éd. Longman, 1973)

Je vous dis à bientôt pour la suite de votre réponse en compte goutte.
Sylvain

2ème réponse de Michael Müller-Hewer : 1er mai 2012

Bonjour,
je suis actuellement très pris par des stages, du coup je vous envoie un liens vers un article où j'explique un peu mes réflexions par rapport au duel et mes intentions.

http://www.jeuxdepees.fr/Articles/NaissHamlet.html

Dès que je trouve un moment je vais faire des recherches pour la "7e raison ". J'ai dans l'idée de trouver qqchose dans le traité de Saviolo ... il a écrit aussi un code pour le duel.
Michael
Ps.: Contrairement a ce que le M.Olivier prétend, même dans les salles d'armes françaises la sécurité tenait plus aux règles de la société qu'un vrai souci. L'utilisation des masques d'escrime par ex., qui existe depuis le début du 17e, se généralise que au 19e (et encore ...)

Mail du 2 mai 2012 (1h30) :

Bonsoir,
J'ai lu votre article, instructif effectivement. Je vais y revenir avec quelques questions.

Mais avant toute chose dans la citation il est question de la "7ème cause".

M. Olivier m'a présenté les choses comme suit (je dois faire un compte-rendu de notre échange et lui faire parvenir pour correction - je vous en soumettrais la lecture dès que possible):

1- Les épées qui servaient à l’entraînement avaient des boutons, c’est-à-dire que la pointe était recourbée pour ne pas blesser son adversaire. Il était donc impossible de l’enlever. Plus tard l'habit blanc a servit à repérer les touches puisque la pointe était trempée dans la suie.
2- Dans Hamlet, les armes du duel sont « la dague et la rapière ». Nous n’avons d’ailleurs pas parlé des dagues. Etaient-elles mouchetées également ?
3- Là où le débat est important, c’est qu’à l’époque, même non tranchante une épée était mouchetée (par un bouton de cuir, du liège recouvert de fil pouassé) car ces épées sont extrêmement dangereuses! En salle d’arme, à cette époque, les leçons sont prises avec un maître d’armes et des protections (le masque n’existe pas encore ; dans le film de Franco Zeffirelli, ils ont des bonnets de cuir sur la tête). On ne plaisante pas avec la sécurité. Et dans le cas d’Hamlet ont est dans le cadre d’un duel d’honneur donc avec toutes les protections.

Je vous traduis ici le contenu de nos échanges. M. Olivier m'a bien précisé que le masque a été utilisé plus tard.

Pour en revenir à votre texte sur http://www.jeuxdepees.fr/Articles/NaissHamlet.html je me demande dans quel texte de Shakespeare vous prenez les extraits cités à la fin de votre article. Je vous cite: Shakespeare dit dans son texte : «Osric brings forward some four or five foils ; Laertes takes one and makes a pass or two» et plus tard : «He (Laertes) goes to the table and brings from it the poisoned and unbated rapier.» Ces deux indications précisent qu'il y aura un assaut avec des armes légères et sans bouclier.

Pour continuer John Dover Wilson, pour son analyse du duel, se réfère aux Paradoxes of defence de George Silver dont il a lui même fait l'introduction en 1933 (Shakespeare Association Facsimiles n°6) Il en déduit que les assauts sont de neuf ordinairement dans un duel d'honneur et que Laërte les porte à 12. Or comme je vous l'ai déjà dit ce n'est pas ce que dit le texte du Hamlet. J'ai bien l'impression au regard de ce que vous écrivez que l'on est plein conflit d'intérêt:
"Les anglais développent un véritable engouement pour cette nouvelle arme [dague et rapière]. Très agacé, le maître anglais Georges Silver publia en 1599 «The Paradoxe of Defence», délibérément inspiré du traité de Saviolo, où il loua les vertus de l'escrime anglaise et tenta de démonter point par point la technique italienne."

Je vous cite Dover Wilson dans sa note 22 du chapitre: Echec et triomphe (Vous avez dit Hamlet? éd. Amandiers, p310): "J'ai eu du mal a découvrir dans les anciens ouvrages d'escrime combien de reprises se livraient habituellement dans un tournoi. Mais à la page 3 de ses Paradoxe of defence, 1599, George Silver lance un défi imaginaire aux escrimeurs étrangers qu'il détestait, pour une série de duels de neuf reprises chacun, ce qu'il n'aurait sans doute pas fait si neuf n'avait été l'usage."

Pour ce qui est du nombre d'assauts, les indications de M. Fabrice Patin (société d'escrime de Metz) étaient les suivantes:
Pour la durée de la rencontre, le nombre d’assaut est très variable suivant les cours, les pays, les régions et accepter un nombre plus élevé d’assaut est un signe de courtoisie et une manière de bien se faire voir en cour. C’est offrir à son adversaire plus d’opportunité de marquer les touches nécessaires, c’est « fair play ».
Je crois que les interprétations de Dover Wilson sont fantaisistes et le retour au texte de la pièce (en anglais) le confirme. Mais je crois aussi qu'il y a des raisons valables à ces multiples manipulations.

Bien, il se fait tard. Et je travaille demain. A très bientôt, j'espère.
Sylvain

3ème réponse de Mickaël Müller-Hewer du 2 mai 2012 (13h17)

Hallo,
une réponse rapide pendant ma pause midi: effectivement "7e cause", je me suis trompé de mot.
Concernant les armes, si vous regardez le texte anglais, il est nullement mentionné que le duel se déroule à deux armes (dague et rapière), par contre tout indique (pour moi) un assaut dans les règles de l'escrime italienne, et pas anglaise. Silver prônait plus une escrime de taille et le bouclier était fortement conseillé.
à plus
Michael

Mail du 4 mai 2012 :

Bonsoir,
Je vous remercie de prendre sur votre pose déjeuner pour me faire réponse. J'imagine que ces questions vous passionnent bien plus que moi encore.

J'ai relu le passage où John Dover Wilson traite de la question des armes dans son livre. Il explique:
A l’époque où Shakespeare met en scène Hamlet, il existe trois jeux d’escrime (Vous avez dit Hamlet?, éd Amandiers, p247-248) :
- sabre-et-bouclier : combat démodé, le sabre court d’une main et un écu léger de l’autre ;
- rapière-seule : longue rapière dans la main droite et main gauche protégée par un crispin ou un gant de mailles pour parer les coups ou saisir la lame de l’adversaire ;
- dague-et-rapière (les armes de Laërte) : cette vogue était déjà dépassée lorsque le texte de la pièce fut imprimé en 1623. L’in-folio (5.2.222) ne mentionne pas de dagues parmi les armes pour le duel, alors que le second in-quarto précise dagues et fleurets. Burbadge et son partenaire devaient employer l’une et l’autre dans la mise en scène originale.

Mais avant John Dover Wilson dit ceci (p247): "Quelle est son arme? demande Hamlet; autrement dit, quel genre d'escrime veut-il pratiquer? A quoi Osric répond "La rapière et la dague"."

Or vous attirez mon attention sur le fait que cette réponse d'Osric veut dire que la spécialité de Laërte est la dague et la rapière, cela ne veut pas dire que c'est l'arme qui va lui être proposée pour le duel. Effectivement au moment de la distribution des armes, il n'est question que de fleurets.

John Dover Wilson dit aussi qu'à la fin du 16ème siècle (p248), les épéistes dans le vent avaient remplacé les vieilles méthodes anglaises par le jeu de la rapière importée de l'étranger - vous précisez vous-même "escrime italienne".

Bon appétit, si vous êtes en pause déjeuner.
Sylvain C.


Question à Me Müller-Hewer le 18 mai 2012 :

Bonjour,

Pardonnez-moi de vous interrompre à nouveau pendant la pause... Je plaisante!

Je reviens vers vous pour vous signaler ce texte très intéressant de
Nathalie Vienne-Guerrin, "la réécriture des codes de duel dans l'injure shakespearienne", In Réécritures, Colloques sous la direction de Jean-Pierre Maquerlot, Publication de l'université de Rouen, 2000.

Dont j'ai pu lire un extrait en suivant ce lien:

http://books.google.fr/books?id=zDWX2Zo0dbcC&pg=PA41&lpg=PA41&dq=vincentio+saviolo&source=bl&ots=uOLpiprW4z&sig=V9l1jLzu69GM8PYB0bqM5aSfasQ&hl=fr&sa=X&ei=gkS2T--ZGcfNhAeCiLjzCA&ved=0CGsQ6AEwCQ#v=onepage&q=vincentio%20saviolo&f=false

Ce texte répond en partie à ma question sur ce que ça peut bien être la "septième cause". Dans le traité de Saviolo, il y est question des "démentis" (certains, conditionnels, généraux, particuliers, stupides, courtois, directs) qui sont autant de manière d'éviter le duel, je suppose. L'art du duel étant avant tout un art d'éviter le duel.

Dans cet article, Nathalie Vienne-Guerrin, expose comment le "duel privé" - qu'elle distingue du duel "sportif" au sens élisabéthain, c'est-à-dire à prendre dans le sens d'un "amusement" - apparaît comme une réécriture du duel judiciaire sous la plume de Shakespeare. Il réécrit les textes théoriques des Maîtres d'armes de son temps (G. Silver, Di Grassi, Saviolo) pour les mettre en action, mais surtout pour les parodier - les codes du genre comique prévalant toujours sur les codes du duel. L'époque élisabéthaine voit apparaître ces ouvrages théoriques, ces modes d'emploi consacrés au duel, afin de dompter la violence en la ritualisant.

L'auteur s'appuie sur plusieurs pièces de Shakespeare, notamment Roméo et Juliette, pour montrer de quelle manière il met en action le duel, en faisant de cet art de la querelle, l'apanage des lâches, des couards. Le duelliste est très souvent l'anti-héros par excellence. Du coup on a l'impression de voir des codes de duel partout, alors que Shakespeare ne représente en fait que leur transgression.

Hamlet n'est pas cité dans l'article, pourtant il le mériterait. Parmi les codes tirés du traité de Saviolo, et évoqués par Nathalie Vienne-Guerrin, je retiendrais:
- la règle du un contre un
- les duellistes doivent avoir sensiblement le même niveau
- s'interposer ne doit nuire à aucun des deux épéistes.
- Il ne convient pas d'injurier son adversaire, mais il faut au contraire le respecter. On ne reconnaît le bon duelliste qu'à l'usage rigoureux qu'il fait de sa langue.

Ce dernier point mérite vraiment qu'on s'y attarde, car les excuses données par Hamlet à Laërte avant les assauts sont peut-être passés sur le compte de l'aspect "Baroque" de la pièce, alors que, par leur style "ampoulé" ou même baroque si l'on veut, ils sont une véritable offense faite à Laërte au regard des actes violents d'Hamlet qui ont conduits à la perte de Polonius et d'Ophélie.

Laërte reçoit les excuses amicalement. Il dit bien que sur le plan de l'honneur il n'y a pas réparation, mais s'il n'y avait pas anguille sous roche, je ne suis pas certain qu'il ne l'enverrait pas au diable. C'est autant de signes d'une communication inconsciente entre les deux hommes. Chacun donnant à l'autre les coordonnées du piège (folie contre félonie).

Ce qui veut dire que Shakespeare place Hamlet lui-même du côté des anti-héros contrairement à ce que l'on pense habituellement. Sur le plan de l'honneur, il ne respecte pas les règles du duel. Il va être agressif une seconde fois pour que puisse fonctionner le piège tendu par Claudius: dans un accès de colère, et par un coup bas, Laërte blesse mortellement Hamlet. Il faut dire que ses adversaires sont de cruels traîtres:
- personne ne s'interpose alors qu'une épée est démouchetée
- les duellistes ne sont pas de même niveau (avantage à Hamlet)

*******

A propos de l'épée démouchetée, j'ai revu Shakespeare in love hier soir: Dans le film, le comte d'Essex provoque Shakespeare en duel dans son théâtre. Au cours du duel Shakespeare s'empare d'une épée mouchetée - dans le feu de l'action il ne s'en aperçoit pas d'ailleurs. Il s'en aperçoit au moment où il se retrouve bêtement dans l'incapacité de transpercer son adversaire. Il casse la lame pour se trouver en posture de réellement tenir le comte en respect.

Cette scène montre-t-elle habileté des gens de théâtre à manier l'épée à cette époque, ou bien est-ce une illusion voulue par le metteur en scène? La question du bouton sur cette épée reste entière, s'agit-il d'un anachronisme (au même titre que Shakespeare se rendant chez son "psy" parce qu'il ne peut plus écrire)? Le duel a lieu alors que se joue Roméo et Juliette (1595).

J'ai également posé ma question sur les armes du duel au "guichet du savoir" sur le site de la bibliothèque de Lyon. J'ai eu cette réponse:

"Selon le Grand Robert de la Langue Française, le mot « fleuret » serait apparu en 1580, ainsi appelé à cause du bouton du fleuret comparé à celui d’une fleur. On en trouve une trace dans les Confessions de ROUSSEAU, par exemple. Rien d’étonnant donc, a priori, car nous ne sommes pas des spécialistes de l’estocade, qu’on le retrouve chez SHAKESPEARE."

********

J'ai enfin une dernière question d'importance à poser aux escrimeurs historiens. Dans la pièce, toujours, après la rencontre du spectre, Hamlet fait jurer trois fois sur son épée afin que Horatio et Marcellus ne disent rien. Quel sens ça a de jurer sur une épée (Hamlet lui-même juge sur son épée)? Est-ce que ça a un sens particulier de jurer trois fois?

Il y a peut-être également un sens religieux à ce chiffre 3:
- Le spectre passe trois fois devant Bernardo et Marcellus.
- Horatio et Marcellus jurent trois fois pour trois raisons différentes à chaque fois;
- Lorsque Hamlet se présente débraillé à Ophélie, hagard (scène rapportée par Ophélie à son père), il secoue le bras d'Ophélie par trois fois;
- Il y a trois souricières dans la pièce (scène de la galerie, la pièce, le duel)
- Il y a trois tragédies de la vengeance (Fortinbras, Laërte, Hamlet)...

Je ne suis pas croyant ni même superstitieux, je cherche à répondre à une autre question: Shakespeare a-t-il souhaité entretenir cet image d'un Hamlet conversant avec le diable au moment où Bernardo et Marcellus jurent sur l'épée? Seul Hamlet entend le spectre (rien n'indique dans la traduction de la pièce que Bernardo et Marcellus entendent l'injonction qui leur est faite de jurer - comment était-ce joué à l'époque?) Dans le film de Kenneth Branagh, Hamlet tire un livre de la bibliothèque qui traite de démonologie. Ceci dit on comprend qu'il se pose des questions sur l'apparition...

*******

J'ai remarqué une chose, plus il y a de questions, plus il y a de réponses...
Pitié, soyez indulgents!
Amicalement
Sylvain Couprie

Réponse Me M Müller-Hewer le 20 mai 2012

Bonjour,
... et plus il y a des réponse, plus il y a des questions. C’est un vieux problème.
j'ai constaté que vous vous adressez principalement à des interlocuteurs français avec vos questions. Or, il me semble que la discussion devrait se faire surtout avec les spécialistes anglophones, qui ont une grande expérience de travail avec Shakespeare. En plus qu'il me semble que vous avez le niveau nécessaire en maîtrise de langue anglaise.
Aussi je me permets de vous passer quelques adresses de mes connaissances certainement capable de vous éclairer sur vos questions d'escrime anglaise élisabéthaine.
Paul Macdonald est cofondateur de la BFHS (British Federation of Historical Swordplay http://thebfhs.org.uk/default.asp?iId=GDIJMH ) , http://www.macdonaldarms.com ,

Ian Stapelton travaille depuis presque 30 ans comme directeur de combat et maître d'armes dans le milieu de spectacle anglais. Il est spécialise escrime renaissance.
Tous les deux sont, comme moi, membres de la Independant Fight Directors Guild (IFDG).
Ramon Martinez, excellent chercheur et maître d'armes, spécialiste d'escrime italienne et espagnole de la renaissance. Je l'ai rencontré il y a qqs années. http://www.martinez-destreza.com/
J. Christoph Amberger est chercheur, historien et écrivain (The Secret History of the Sword) http://fencingclassics.wordpress.com ;
Concernant le no.3, je peux vous envoyer vers un article wikipédia, qui offre quelques pistes intéressants de recherches: http://fr.wikipedia.org/wiki/3_%28nombre%29#Dans_d.27autres_domaines
Vous avez déjà lu cet article? http://web.uvic.ca/~mbest1/ISShakespeare/Resources/Honour/Swordfight.html
Je reviens sur l'expression "bated sword", elle désigne une épée émoussée avec une pointe non-offensive (arrondie), pas forcement moucheté. Voici un exemple de la marque Del Tin http://www.deltin.net/2171.htm . Ce qui implique une certaine difficulté de faire la différence entre une épée "bated" ou "unbated", si vous ne le prenez pas dans la main.
Concernant les explications de M. Olivier:
- Point1 est une description très "moderne" des armes d’entraînement (à partir du 19e au plutôt) et concerne surtout les usages en France.
- Le point 2 s’appuie sur une erreur de traduction, c'est faut.
Et pour finir un petit cadeau, le pdf sur "Hamlet, le duel" du M. Georges Dubois de 1932 ...
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54777118
Bonne lecture
Michael Müller-Hewer