HORATIO

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20/03/2012

HAMLET de Franco Zeffirelli

HAMLET de Franco Zeffirelli (Film, 1990)


Un film tout public :

C’est le plus mauvais film que j’ai vu à ce jour, sur le sujet. J’ai eu du mal a détacher la prestation de l’acteur principal, du personnage de l’arme fatal. Heureusement celle des femmes relève le niveau, et le nom d’Helana Bonham-Carter devrait passer devant celui de Mel Gibson pour son interprétation de la folie.

Le choix du metteur en scène est explicite dans les bonus (de l’édition Atlas), il s’agit d’attacher au nom d’Hamlet le nom d’un acteur grand public pour donner au plus grand nombre l’accès à une légende.

Comme je suis aussi bon public, il me faudra un peu de temps pour oublier que la voix de Claudius est la voix du chef de la bande de l’agence tous risques (c’est comme ça, la télé a bousillée mon adolescence).

Recherche d’authenticité :

Une fois ces désagréments dépassés, la première interrogation qui vient à l’esprit, c’est le climat et l’époque créée par les lieux de tournage (les châteaux de Dunnottar et de Blackness au nord de l’écosse). Sans pouvoir me prononcer sur l’authenticité de la vie de château en ce début de 17è siècle, on voit bien que ce n’est pas la même ambiance que dans le film de Kennet Branagh (1996). De ce point de vue y aurait-il eu recherche d’une certaine véracité ?

Pour ce qui est du scénario, on ne peut pas dire que ce soit le cas. Fortinbras est un personnage qui n’existe pas. Il n’y a donc pas de climat guerrier et de gardes renforcées. Il n’y a pas de prise de pouvoir à la fin. Il n’y a pas de rébellion contre la monarchie élective. Economies, économies… C’est plutôt la belle vie au château. On se roule des patins comme au 20ème siècle. Laërte part pour la France avec un sourire niais et une sacoche de cuir rouge provenant certainement d’un grand couturier des Champs Elysée de l’époque. On sent que ça baignerait dans l’amour la joie et la bonne humeur s’il n’y avait la présence d’Hamlet sur le haut des remparts.

Un film d’espionnage :

Et des remparts, c’est très pratique pour espionner. C’est ainsi qu’Hamlet entend les conseils de Polonius à Ophélie où il lui dit, rappelons-le : qu’Hamlet est hors de sa sphère et qu’elle vaut plus que cela. Est-ce que Shakespeare a voulu nous dire par là qu’Hamlet est débile ? Franco Zeffirelli aurait pu creuser la question, lui qui tient à nous enseigner dans les bonus que Saxo Gramaticus a emprunté cette vieille légende d’Amlodi à l’islandais Snorri Sturfuson et que Amlodi, en islandais, ça veut dire « simple d’esprit ».

Mais non, ce n’est pas le parti pris. F. Zeffirelli a conservé la référence à Œdipe Roi pour nous montrer que c’est ce qui donne à Hamlet l’idée de feindre la folie. Dans la pièce de Shakespeare, c’est après sa première rencontre avec le spectre qu’il décide de prendre une « antic disposition » - traduisez une « humeur bouffonne ».

C’est un raccourci, également, qui permet au metteur en scène de supprimer le passage où Hamlet test Polonius en présence des acteurs. C’est à leur arrivée que F. Zeffirelli rattache le moment où Hamlet prend la décision d’attraper la conscience du roi en faisant jouer le meurtre de Gonzague. Economie, économies…

Franco Zeffirelli a une deuxième occasion de faire de son film un film d’espionnage lorsque Hamlet se présente débraillé à Ophélie. Polonius tombe sur cette scène. Il court chez le roi et la reine leur annoncer que leur fils est fou. Cela permet au metteur en scène de faire quelques coupes franches : Ophélie n’a pas à rapporter la scène à son père ; Ophélie n’est pas présente lorsque Polonius rapporte les évènements au couple royal.

Après le lâché de sa fille sur Hamlet (scène de la galerie), c’est au tour d’Hamlet d’espionner la conversation entre Polonius et Claudius. Il apprend qu’il partira pour l’Angleterre. Cela a au moins le mérite d’expliquer pourquoi il est au courant après la représentation du meurtre de Gonzague –mais cette scène d’espionnage n’est pas dans la pièce de Shakespeare.

Par contre, ce qui devrait figurer dans le film n’y est pas : Claudius invite Gertrude à quitter les lieux pour qu’ait lieue la rencontre avec Ophélie, mais dans la pièce de Shakespeare (suivant la traduction de Jean-Michel Déprats) Gertrude ne sort pas. Cela explique qu’elle soit au courant après la représentation et ça montre :
- l’ambivalence des sentiments de Gertrude pour son propre fils ;
- la considération, en terme de « simple d’esprit », d’Hamlet au château d’Elseneur ;
- la préparation de la scène macabre finale.

Pour ce qui est de « l’espionnage » de Polonius dans la chambre de Gertrude, il se fait malgré lui. Il demande à la reine de tancer Hamlet vertement, s’apprête à sortir mais doit se cacher parce qu’Hamlet va entrer dans la chambre. Cela donne l’impression qu’il se trouve là par hasard et qu’il est tué par accident – ce n’est toujours pas du Shakespeare.

L’objet d’amour :

On est en droit maintenant de se demander comment F. Zeffirelli va expliquer le carnage final et le rôle que va jouer la femme, que ce soit Ophélie ou Gertrude.

Dans ce film, Ophélie c’est l’objet aimé. Dès le début Laërte lui exprime son amour et l’espionnage d’Hamlet du haut des remparts nous révèle que Polonius vient contrarier sa relation avec Ophélie.

Lors de sa rencontre avec Ophélie – provoquée par Polonius pour prouver au roi que cet amour l’a rendu fou – Hamlet rejette Ophélie. Mais dans le film, c’est lors de la représentation du meurtre de Gonzague qu’il lui demande, à deux reprises, d’aller dans un cloître, pour la protéger j’imagine. Rappelons que dans la pièce de Shakespeare, les deux fois où il le lui demande, c’est dans la galerie et la deuxième fois, le propos est équivoque puisqu’il veut dire va faire la pute et que cette colère se déchaîne à la suite de sa question : « où est votre père ? » – avec qui il est censé avoir une entrevue secrète. La réponse d’Ophélie : « Chez lui ! » révèle à Hamlet qu’elle est manipulée.

La maladresse de ce vieux fou, va lui coûter la vie. Dans la chambre de Gertrude, il est permis de douter sur sa mort accidentelle. Hamlet vient de croiser Claudius en prière et un Polonius appelant au secours derrière la tenture doit bien avoir une voix reconnaissable. Mais ça arrange Hamlet de faire passer sa mort pour accidentelle et ça arrange Gertrude de faire passer son fils pour fou. C’est bien comme tel qu’elle le présente au sortir de la chambre et c’est bien comme tel qu’elle reçoit les hypothèses de Polonius. Et ma foi, elle ne s’oppose pas au départ pour l’Angleterre.

Mais bon, pour nous prouver à quel point Gertrude aime son fils, après qu’Hamlet lui ait présenté la part la plus horrible d’elle même dans la chambre, elle lui donne un baiser torride – à moins que ce ne soit pour le faire taire. Toujours est-il qu’on se demande où ça finirait s’il n’y avait l’intervention du spectre pour les arrêter.

Bref, nous voilà au cœur du sujet : que représente la femme pour un Franco Zaffirelli ? Car Shakespeare ne nous montre pas une femme jouant de ses sentiments incestueux avec son fils. L’inceste se situe au niveau de la relation frère belle-sœur dans le contexte du théâtre élisabéthain. Même si Shakespeare n’est pas tendre avec les femmes notre regard devrait se porter sur des effets désastreux qui ne sont pas à attribuer aux femmes.

On comprend mieux les propos d’Hamlet en partance pour l’Angleterre, disant au revoir à Claudius, sa chère mère, père et mère sont une même chair. Hamlet ne faisant aucune différence : si père prend la décision et que mère ne s’y oppose pas, cela revient à dire que mère prend la décision.

Le rôle du spectre dans cette folie générale:

La deuxième intervention du spectre dans la chambre de la reine, reste une grande question : pourquoi Gertrude ne voit rien ? Elle a fait couler beaucoup d’encre, paraît-il. F. Zeffirelli fait une proposition : la scène, à l’initiative de la mère, est tellement torride qu’il vaut mieux l’interrompre. Je ne vous raconte pas les dégâts sur un enfant que feraient de tels désirs chez une mère… Cela manque de crédibilité. Pourtant le désastre est bien là, au final.

Dans la pièce de Shakespeare, le spectre semble intervenir pour rappeler l’interdit à Hamlet de faire du mal à sa mère. Cette deuxième injonction est souvent oubliée au profit de la première : venger son père. Elle est souvent oubliée pour la simple raison qu’Hamlet ne va pas la respecter.

Et la première des femmes à trinquer dans cette histoire, c’est Ophélie. F. Zeffirelli a au moins l’amabilité de ne pas la faire passer pour plus suicidée qu’elle n’est dans le propos des deux fossoyeurs qui préparent sa tombe. Mais avant cela, il aura pris soin de l’égratignée et de la montrer dans une posture pornographique suggestive. Fantasme quand tu nous tiens.



DEUXIEME PROJECTION

Un jeux d’acteur réduit à un simple boulot :

Un deuxième visionnage s’imposait à moi parce que j’avais le sentiment d’avoir la dent trop dure et, à force de chercher le mal, je craignais de ne voir que cela.

Chaque acteur s’en sort pas si mal finalement. Glenn Close est remarquable dans la scène de la chambre et son visage se défait au fil des actions comme son personnage s’enfonce dans la détresse au même rythme qu’Hamlet avance vers son destin.

Mel Gibson le dit dans les bonus, il a travaillé son personnage, lu des critiques ennuyeuses sur la pièce plus contradictoires les unes que les autres. Il a finalement préféré monter à cheval et apprendre l’escrime. Il ne nous dit pas qu’il a lu la pièce mais il a du le faire et des choses ont dû lui paraître bien embarrassantes.

Comme ce moment où Hamlet retrouve sa mère, avant de partir pour l’Angleterre et où il lui demande de ne pas s’inquiéter parce qu’il va envoyer ses deux condisciples Rosencrantz et Guildenstern dans la lune. Elle le laisse partir confiante – bonne mère ! Dans la pièce de Shakespeare les choses ne sont pas aussi claires : il annonce à sa mère qu’il doit partir pour l’Angleterre alors qu’il est encore dans ses appartements et qu’il sait pour les lettres scellées – Claudius ne sait pas encore qu’il vient de tuer Polonius. Gertrude feint d’avoir oublié.

Les acteurs semblent avoir fait leur boulot dans la limite du possible pour ne pas se mettre en porte-à-faux avec les choix du metteur en scène. Certains choix simplifient les choses. Dans le bateau pour l’Angleterre, Hamlet remplace les lettres cachetées par les siennes et ordonne au roi d’Angleterre la mise à mort des deux condisciples. On les voit à la séquence suivante la tête sur le billot. C’est efficace et rapide comme un coup de hache. Cela évite d’avoir à se poser certaines questions sur les oreilles abusées du Danemark… Economies, économies.

De quelques arrangements supplémentaires :

F. Zeffirelli s’est permis de composer avec les éléments qui dérangent. John Dover Wilson est un représentant de cette école critique qui consiste à tout remettre en question.

La question sur les beuveries du Danemark n’est pas posée par Horatio mais par un jeune garde qui les accompagne. Horatio est présenté comme un proche du pouvoir, il doit bien savoir de quoi il en retourne. Pourtant la fréquentation de l’université de Wittenberg expliquait largement le fait qu’il soit « déconnecté ».

A la représentation, une partie de la conversation qui se tient normalement entre Hamlet et Ophélie fait l’objet d’échanges entre Hamlet et sa mère.
- Qu’est-ce que ce prologue ? questionne Hamlet
- Et sa mère de lui répondre « c’est bref. »
- Hamlet : « comme l’amour d’une femme ! »

Cet échange entre Ophélie et Hamlet avait permis à Dover Wilson de dire qu’il n’était pas certain que le roi et la reine entendent ce qui se dit – distraits qu’ils étaient par Polonius. C’est par ce jeu de metteur en scène que Dover Wilson répondait au Dr Greg sur l’absence d’effet de la pantomime.

Le traitement de la souricière :

Franco Zaffirelli fait sauter la pantomime qui posait problème au critique : comment se fait-il que Claudius ne réagissait pas à cet instant ? Les mises en abîme dans les Hamlet de Mickaël Almereyda ou de Laurence Olivier pourraient bien répondre à cette question, eux qui font le choix d’une représentation muette. Le silence n’a pas pour effet de provoquer (faire parler au sens premier du terme) ; même si le choix est de montrer une souricière qui réussit dans les deux cas.

Dans cette souricière mise au point par F. Zaffirelli, Claudius prend le temps de montrer son malaise devant la représentation ; et l’acteur, Lucianus, verse son poison dans l’oreille après qu’Hamlet l’ait présenté comme le neveu du roi. Il n’y a aucune indication dans la pièce qui dit que Lucianus a le temps d’agir. Vouloir le jouer ainsi c’est vouloir à tout prix attester de la réussite de la souricière.

Au sortir de cette scène Hamlet est euphorique. Il rechigne pourtant à tuer Claudius en prière. Si comme il le souhaite – parce qu’il doute du spectre et de ses révélations – la pièce devait être le piège pour attraper la conscience du roi, il agirait.

Cela ne lui suffit pas. C’est donc que ce piège est illusoire et qu’il vise autre chose. Ce n’est pas la mise en scène de F. Zaffirelli qui nous le dit mais ce qui n’est pas interprété qui nous l’apprend.

Le « être ou ne pas être » d’Hamlet dans la crypte du château réduit le monologue à un discours sur la mort. La mort « accidentelle » de Gertrude annihile la volonté d’Hamlet de se suicider et d’entraîner avec lui les proches qui ont fait de sa vie, ce qu’elle est au final un désastre.

L’espace-temps :

Je disais plus haut que la première question qui venait en regardant ce film, était peut être l’authenticité créée par les lieux de tournage. Si c’est une réussite, ce n’est pas le cas en ce qui concerne le temps. Les scénaristes de ce film ont travaillé la scène des obsèques du vieux Hamlet. Il s’en suit la scène du Conseil où Claudius revient sur les évènements…

Si Shakespeare veut « gaieté aux funérailles et chant funèbres au mariage » pour son personnage, il ne faut pas oublier que le remariage de Gertrude a lieu deux mois après les funérailles ; c’est-à-dire deux fois le deuil légal de l’époque.

C’est-à-dire que dans l’intervalle, les verrous ont sauté :
- Hamlet fait une fausse déclaration d’amour à Ophélie ;
- La lettre que lit Polonius semble une lettre de rupture où il est écrit « adieu » ;


Tout ça pour dire qu’une petite indication de temps entre les deux premières scènes n’était pas du luxe pour nous qui devons intégrer en 2 heures 30 ce qui se jouait à l’époque en une journée. De là, à revendiquer son œuvre de Shakespeare, il serait peut-être plus honnête de se revendiquer d’une critique littéraire.

Shakespeare nous avait prévenu : « le temps est disloqué ».