HORATIO

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Savoir vs révélations

Révélations du spectre: le non-savoir d'Hamlet

Ce texte a pour but de remettre en cause les révélations du spectre du père d’Hamlet comme savoir sur les conditions de sa mort. Le fantôme révèle à Hamlet que Claudius l’a assassiné. Mais Hamlet n’est pas certain que le spectre ait dit vrai. Il est peut-être le diable en personne venu lui parler pour causer sa perte.

Hamlet fait jouer devant le couple royal et sa cour, le meurtre de Gonzague, la pièce dans la pièce (acte 3 scène 2), pour confondre le roi Claudius. Il espère le déstabiliser et obtenir la preuve en représentant le meurtre qu’il a commis.

Nous savons que le roi est coupable parce que nous avons accès à sa conscience dans la scène de la repentance (acte 3 scène 3). Mais avec la souricière, Hamlet croit avoir obtenu la preuve qu’il cherchait. C’est un leurre. Il le sait également et c’est ce qui le retient d’agir.

Il se laissera embarquer pour l’Angleterre après le meurtre de Polonius, en sachant que c’est un piège. Mais il aura découvert une chose qu’il se refusera d’admettre. Sa mère cherche à l’éliminer également : dans un premier temps elle le fait passer pour fou (voir Argument sur sa folie), maintenant elle l’élimine physiquement.

Hamlet s’extirpe de ce premier piège de manière obscure, suite à un abordage par des pirates. John Dover Wilson dira – et à sa suite Lacan (avec ce qu’il appelle le « trop de savoir » d’Hamlet) et bien d’autres critiques : il revient transformé. Il est « Hamlet le Danois ». Ce n’est pas vrai du tout. Hamlet revient tout aussi narquois : il écrit dans sa lettre destiné au roi : Je reviens seul et « nu ».

Jusqu’à la fin, il continu à faire le niais. Il est un niais qui se laisse prendre au piège du duel aux épées. Il en débloque même le mécanisme en provoquant Laërte, juste après que sa mère ait bu la coupe empoisonnée. L’art de Shakespeare est d’entretenir le suspens jusqu’à la fin. Hamlet lui n’est pas plus avancé quant à la culpabilité de son Oncle dans le régicide. Il est un traître, c’est certain. Il a magouillé dans ce duel pour que Laërte puisse venger son père, et lui garder sa couronne…

Comment en est-on arrivé à ce massacre ? Qu’est-ce qui m’autorise à divulguer de telles inepties sur la mort du roi Hamlet ? Je veux que la terre se dérobe sous les pieds de tous ceux qui depuis 400 ans ont pris la place de Horatio pour raconter la légende du Prince du Danemark,
- en faisant passer l’amour pour Ophélie pour sincère ;
- en faisant passer la souricière pour une réussite ;
- en faisant passer Horatio pour un ami du jeune prince ;
- etc.

Il faut revenir au texte et à ses interprétations plus fausses les unes que les autres. Plantons le décor : Le spectre vient de faire ses révélations. Seul Hamlet les a entendues ! Ses compagnons d’armes reviennent vers lui dans la lande ; ils veulent savoir ce qui s’est passé (acte 1 scène 5) :

HORATIO, derrière la scène. - Monseigneur ! Monseigneur !
MARCELLUS, derrière la scène. - Seigneur Hamlet !
HORATIO, derrière la scène. - Le ciel le préserve !
MARCELLUS, derrière la scène. - Le ciel le préserve !
MARCELLUS, derrière la scène. - Ainsi soit-il !
HORATIO. - Hillo ! hô ! ho ! monseigneur !
HAMLET. - Hillo ! ho ! ho ! page ! Viens, mon faucon, viens !
Entrent Horatio et Marcellus.
MARCELLUS. - Que s'est-il passé, mon noble seigneur ?
HORATIO. - Quelle nouvelle, monseigneur ?
HAMLET. - Oh ! prodigieuse !
HORATIO. - Mon bon seigneur, dites-nous-la.
HAMLET. - Non : vous la révéleriez.
HORATIO. - Pas moi, monseigneur : j'en jure par le ciel.
MARCELLUS. - Ni moi, monseigneur.
HAMLET. - Qu'en dites-vous donc ? Quel coeur d'homme l'eût jamais pensé ?... Mais vous serez discrets ?
HORATIO et MARCELLUS - Oui, par le ciel, Monseigneur !
HAMLET. - S'il y a dans tout le Danemark un scélérat... c'est un coquin fieffé.
HORATIO. - il n'était pas besoin, monseigneur, qu'un fantôme sortît de la tombe pour nous apprendre cela.
HAMLET. - Oui, c'est vrai ; vous êtes dans le vrai. Ainsi donc, sans plus de circonlocutions, je trouve à propos que nous nous serrions la main et que nous nous quittions, vous pour aller où vos affaires et vos besoins vous appelleront (car chacun a ses affaires et ses besoins, quels qu'ils soient), et moi, pauvre garçon, pour aller prier, voyez vous !

Hamlet ne leur dit rien sur les révélations du spectre, l’assassinat de son père. Il laisse entendre que les révélations portent sur la seule usurpation du pouvoir, ce que tout le Danemark semble savoir, sans que l’on sache si le coquin fieffé a lésé Hamlet lui-même le prétendant au trône. Car après tout la réponse des soldats ne nous dit pas s’ils soupçonnent un Régicide.

Il s’ensuit une double offense d’Horatio à l’égard d’Hamlet : il met en doute le spectre et Hamlet lui-même en laissant entendre qu’il déraisonne en arguant qu’il va se retirer en prière. La colère d’Hamlet n’a rien d’amicale, il menace de les trucider s’ils ne jurent pas sur son épée de ne rien révéler de ce qu’ils ont vus.

HORATIO. - Ce sont là des paroles égarées et vertigineuses, monseigneur.
HAMLET. - Je suis fâché qu'elles vous offensent, fâché du fond du coeur ; oui, vrai ! du fond du coeur.
HORATIO. - Il n'y a pas d'offense, monseigneur.
HAMLET. - Si, par saint Patrick ! il y en a une, Horatio, une offense bien grave encore. En ce qui touche cette vision, c'est un honnête fantôme, permettez-moi de vous le dire ; quant à votre désir de connaître ce qu'il y a entre nous, maîtrisez-le de votre mieux. Et maintenant, mes bons amis, si vous êtes vraiment des amis, des condisciples, des compagnons d'armes, accordez-moi une pauvre faveur.
HORATIO. - Qu'est-ce, monseigneur ? Volontiers.
HAMLET. - Ne faites jamais connaître ce que vous avez vu cette nuit.
HORATIO et MARCELLUS. - Jamais, monseigneur.
HAMLET. - Bien ! mais jurez-le.
HORATIO. - Sur ma foi ! monseigneur, je n'en dirai rien.
MARCELLUS. - Ni moi, monseigneur, sur ma foi !
HAMLET. - Jurez sur mon épée.
MARCELLUS. - Nous avons déjà juré, monseigneur.
HAMLET. - Jurez sur mon épée, jurez !
LE SPECTRE, de dessous terre. - Jurez !

(Heureusement pour nous et pour la suite de l’histoire (à écrire) Bernardo n’a pas juré !)

Mais revenons à la pièce de Shakespeare. Hamlet est loin d’avoir été amical avec Horatio. Il vient de sceller son silence et pour longtemps. Ainsi juste avant la représentation du meurtre de Gonzague, il prend bien le temps de rappeler à Horatio qu’il lui doit allégeance, en le flattant justement.

HAMLET. - Holà ! Horatio ! Entre Horatio.
HORATIO. - Me voici, mon doux seigneur, à vos ordres.
HAMLET. - De tous ceux avec qui j'ai jamais été en rapport, Horatio, tu es par excellence l'homme juste.
HORATIO. - Oh ! mon cher seigneur !
HAMLET. - Non, ne crois pas que je te flatte. Car quel avantage puis-je espérer de toi qui n'as d'autre revenu que ta bonne humeur pour te nourrir et t'habiller ?. A quoi bon flatter le pauvre ?. Non. Qu'une langue mielleuse lèche la pompe stupide ; que les charnières fécondes du genou se ploient là où il peut y avoir profit à flagorner ! Entends-tu ?
Depuis que mon âme tendre a été maîtresse de son choix et a pu distinguer entre les hommes, sa prédilection t'a marqué de son sceau ; car tu as toujours été un homme qui sait tout souffrir comme s'il ne souffrait pas ; un homme que les rebuffades et les faveurs de la fortune ont trouvé également reconnaissant. Bienheureux ceux chez qui le tempérament et le jugement sont si bien d'accord !
Ils ne sont pas sous les doigts de la fortune une flûte qui sonne par le trou qu'elle veut. Donnez-moi l'homme qui n'est pas l'esclave de la passion, et je le porterai dans le fond de mon coeur, oui, dans le coeur de mon coeur, comme toi... Assez sur ce point ! On joue ce soir devant le roi une pièce dont une scène rappelle beaucoup les détails que je t'ai dits sur la mort de mon père. Je t'en prie ! quand tu verras cet acte-là en train, observe mon oncle avec toute la concentration de ton âme. Si son crime occulte ne s'échappe pas en un seul cri de sa tanière, ce que nous avons vu n'est qu'un spectre infernal, et mes imaginations sont aussi noires que l'enclume de Vulcain. Suis-le avec une attention profonde. Quant à moi, je riverai mes yeux à son visage. Et, après, nous joindrons nos deux jugements pour prononcer sur ce qu'il aura laissé voir.
HORATIO. - C'est bien, monseigneur. Si, pendant la représentation, il me dérobe un seul mouvement, et s'il échappe à mes recherches, que je sois responsable du vol !
HAMLET. - Les voici qui viennent voir la pièce. Il faut que j'aie l'air de flâner. (A Horatio.) Allez prendre place. (Marche danoise. Fanfares.) ...

Après avoir ravivé et rappelé à Horatio son serment, Hamlet lui demande de bien observer le roi pendant qu’on jouera la pièce qui rappelle les détails qu’il lui a donné sur la mort de son père. Il semble ne faire aucun doute que Horatio sait que le père de Hamlet a été assassiné par Claudius – même si l’on ne sait rien du contenu de ces révélations rapportées à Horatio.

Ce qui est important, c’est que la représentation a lieu. Une pantomime résume la pièce et le roi ne bouge pas. John Dover Wilson en déduit que le roi est distrait par Polonius et qu’il ne la regarde pas. Suit un prologue qui n’a également aucun effet sur le roi. John Dover Wilson en déduit qu’il est mauvais – ce que Hamlet aurait souhaité prévenir en prodiguant ses conseils à la troupe de théâtre.

Enfin, lorsque la représentation a lieu et que Lucianus verse le poison dans l’oreille de Gonzague. Le roi se lève comme indisposé par le savoir sur son crime qui vient de lui être révélé.

Sauf que Hamlet n’a pas réussi avec la souricière. Avec la pantomime et le prologue le roi et la reine n’ont pas réagi. Hamlet n’arrive pas à allumer la mèche. Il devient odieux avec Ophélie, outrancier ; il laisse entendre qu’elle a perdue sa vertu. Les accusations sont graves mais Ophélie parvient à rester calme. Le pire c’est que pendant la représentation, Hamlet s’aperçoit que son pétard est mouillé ; il entre en scène, fait passer Lucianus pour le neveu du Roi Gonzague. Le roi se lève lorsque Lucianus veut prendre la reine pour épouse – ou plutôt lorsque Hamlet verbalise les intentions. Il y a offense au couple royal.

Malheureusement pour Hamlet l’indisposition de Claudius est double : elle est peut-être due à son crime, mais elle est occultée par l’offense que vient de provoquer Hamlet. La duplicité de Horatio va conforter Hamlet dans le déni qui va suivre :

POLONIUS. - Arrêtez la pièce !
LE ROI. - Qu'on apporte de la lumière ! Sortons.
TOUS. - Des lumières ! des lumières ! des lumières ! (Tous sortent, excepté Hamlet et Horatio.)
HAMLET. - Oui, que le daim blessé fuie et pleure, le cerf épargné folâtre ! Car les uns doivent rire et les autres pleurer. Ainsi va le monde. Au cas où la fortune me ferait faux bond, ne me suffirait-il pas, mon cher, d'une scène comme celle-là, avec l'addition d'une forêt de plumes et de deux roses de Provins sur des souliers à crevés, pour être reçu compagnon dans une meute de comédiens ?
HORATIO. - Oui, à demi-part.
HAMLET. - Oh ! à part entière. Car tu le sais, à Damon chéri, Ce royaume démantelé était à Jupiter lui-même ; et maintenant celui qui y règne Est un vrai, un vrai... Baïoque.
HORATIO. - Vous auriez pu rimer.
HAMLET. - ô mon bon Horatio, je tiendrais mille livres sur la parole du fantôme. As-tu remarqué ?
HORATIO. - Parfaitement, monseigneur.
HAMLET. - Quand il a été question d'empoisonnement ?
HORATIO. - Je l'ai parfaitement observé.
HAMLET. - Ah ! Ah !... Allons ! un peu de musique ! Allons ! les flageolets. Car si le roi n'aime pas la comédie, C'est sans doute qu'il ne l'aime pas, pardi !

Jean-Michel Déprats traduit : Ne croyez-vous pas que cette tirade pourrait me valoir une part de sociétaire dans une meute de comédien ? demande Hamlet à Horatio.

Mais Horatio ne sait pas comment contredire Hamlet. Il suggère : « une demi-part » mais Hamlet ne veut rien entendre. Il est inutile de discuter pour Horatio, il n’a vu que ce que Hamlet a bien voulu lui laisser entrevoir.

Cela donne une toute autre coloration à la repentance de Claudius – juste avant qu’Hamlet ne se rende chez sa mère pour se faire sermonner (acte 3 scène 3) :

LE ROI. - Merci, mon cher seigneur ! (Sort Polonius.) Oh ! ma faute fermente ; elle infecte le ciel même ; elle porte avec elle la première, la plus ancienne malédiction, celle du fratricide !... Je ne puis pas prier, bien que le désir m'y pousse aussi vivement que la volonté ; mon crime est plus fort que ma forte intention ; comme un homme obligé à deux devoirs, je m'arrête ne sachant par lequel commencer, et je les néglige tous deux. Quoi ! quand sur cette main maudite le sang fraternel ferait une couche plus épaisse qu'elle-même, est-ce qu'il n'y a pas assez de pluie dans les cieux cléments pour la rendre blanche comme neige ? A quoi sert la pitié, si ce n'est à affronter le visage du crime ?
Et qu'y a-t-il dans la prière, si ce n'est cette double vertu de nous retenir avant la chute, ou de nous faire pardonner après ? Levons donc les yeux ; ma faute est passée. Oh ! mais quelle forme de prière peut convenir à ma situation ?... Pardonnez-moi mon meurtre hideux !... Cela est impossible, puisque je suis encore en possession des objets pour lesquels j'ai commis le meurtre : ma couronne, ma puissance, ma femme. Peut-on être pardonné sans réparer l'offense ? Dans les voies corrompues de ce monde, la main dorée du crime peut faire dévier la justice ; et l'on a vu souvent le gain criminel lui-même servir à acheter la loi.
Mais il n'en est pas ainsi là-haut : là, pas de chicane ; là, l'action se poursuit dans toute sa sincérité ; et nous sommes obligés nous-mêmes, dussent nos fautes démasquées montrer les dents, de faire notre déposition. Quoi donc ! qu'ai-je encore à faire ? Essayer ce que peut le repentir ?
Que ne peut-il pas ? Mais aussi, que peut-il pour celui qui ne peut pas se repentir ? ô situation misérable ! ô conscience noire comme la mort ! ô pauvre âme engluée, qui, en te débattant pour être libre, t'engages de plus en plus !
Au secours, anges, faites un effort ! Pliez, genoux inflexibles ! Et toi, coeur, que tes fibres d'acier soient tendres comme les nerfs d'un enfant nouveau-né ! Puisse tout bien finir ! ( Il se met à genoux à l'écart.)

Entre Hamlet.
HAMLET. - Je puis agir à présent ! Justement il est en prière ! Oui, je vais agir à présent. Mais alors il va droit au ciel ; et est-ce ainsi que je suis vengé ? Voilà qui mérite réflexion. (…)

Dans la traduction de Jean-Michel Déprats, le roi ne se met pas à genou. Il ne peut pas prier. Il ne fait aucun doute que Claudius est le meurtrier de son frère. On peut trouver toutes les légitimités du monde à cet acte :
- Les insuffisances du roi Hamlet face à l’imminence de la guerre ;
- L’amour de Claudius pour Gertrude, l’infidélité, l’adultère…

Il n’en est pas moins vrai qu’Hamlet est dans l’incapacité d’approcher la vérité. Elle résiste. Elle lui résiste. Hamlet évolue dans une bulle, avec une camisole-de-maille, celle de la folie, qui lui a été confectionnée par Shakespeare : Hamlet est le personnage d’une tragédie de la vengeance, mais dont les sources du savoir sont occultes et inavouables. Personne ne dira qu’Hamlet voit des fantômes. Personne n’aura la preuve du fratricide de Claudius.

Tous savent que Claudius est un puissant personnage près à tout pour sauver le royaume :
- Exil vers l’Angleterre : Rosencrantz et Guidenstern sont porteurs des lettres cachetées ;
- Hamlet n’est pas revenu que les deux rustres qui creusent la tombe d’Ophélie savent déjà qu’il est parti là-bas parce qu’il a perdu la raison ;
- Obsèques tronquées : opprobre sur la lignée des Polonides ;
- Et j’en passe…

Dans le duel final, Claudius s’avère être un traître aux yeux d’Hamlet. Mais pour quelle cause ? Le régicide, la vengeance de Laërte, la folie d’Hamlet ? Pourquoi la complicité d’Osric, des Maîtres d’armes, des courtisans, du spectateur… ?


Écrit par horatio in love Lien permanent | Commentaires (0)

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