HORATIO

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11/12/2011

Le fardeau tragique de JDW

JDW a le mérite de nous alerter sur le fait que le critique d’aujourd’hui (traditionnel) ne doit pas ignorer que la tragédie a été écrite par un élisabéthain pour les élisabéthains. Et il nous faut resituer le Hamlet politique dans son contexte. JDW insiste donc sur la deuxième scène (p43), une réunion du conseil privé. Les affaires traitées (politique étrangère, ordre de mission, succession) indiquent le caractère de cette assemblée.

La façon dont Claudius prend les affaires de l’état en main montre quelque chose qui n’est pas relevé par le critique exceptionnel, c’est que Claudius est loin d’être le roi minable que nous dépeint JDW (et pourquoi pas Shakespeare) et il ne tient qu’à nous de suivre Hamlet lorsqu’il nous décrit un coup bourse de l’empire et de l’y voir dans les deux tableaux qui sont dans la chambre de Gertrude (scène de la deuxième apparition du spectre). En d’autres termes, les spectateurs ont le choix de suivre Hamlet - pour ne pas dire JDW - ou Shakespeare.

Les perspectives historiques permettent à JDW d’écrire que Hamlet n’a pas de griefs légales contre Claudiaus, parce que :
- le Danemark était une monarchie élective à l’époque de Shakespeare (p48) ;
- les propos de Fortinbras et de Hamlet à la fin illustrent la théorie constitutionnelle qui avait cours en Angleterre ;
- Claudius parle de Gertrude comme d’une « impératrice douairière », non pas une co-souveraine mais une veuve qui conserve l’usufruit de la couronne – ce qui a permis de supplanter Hamlet.

Malgré ça, JDW persiste à dire que ces objections sont des exemples de dangers de la méthode historique qui consistent à expliquer les situations créées par Shakespeare en faisant référence à ces sources hypothétiques.

Hamlet considère l’acte de son oncle comme une usurpation. Il a également sur le cœur, écrit JDW (p51), une peine qui éclipse son exhérédation, l’inceste de sa mère qui provoque autant de répulsion que celui d’Œdipe.

Pour JDW « la donnée de cette tragédie n’est pas une tâche noble imposée à une âme incapable de l’exécuter, mais bien plutôt un grand et noble esprit soumis à un choc moral si écrasant qu’il détruit toute sa confiance et son désir de vivre. » (p54) Le spectre vient lui révéler que :
- Claudius n’est pas seulement un satyre, mais également un être implacable (révélation de l’assassinat) ;
- Gertrude n’est pas seulement coupable du pêché d’inceste (remariage) mais également infidèle de son vivant.

Les critiques de T.S. Eliot et de Goethe, minimisées par JDW, l’amènent à s’interdire une autre hypothèse : Hamlet est considéré par sa mère comme immature ; un point de vue aussi déroutant que celui qui affecte Œdipe qui, rappelons-le, est un enfant handicapé (pied enflé en grecque et cause de son abandon par ses parents). On est loin de l’image sublimée du jeune prince mais peut-être plus proche de la réalité ou du réel que Hamlet va devoir affronter avec le spectre.

Replacer la pièce dans son contexte est une démarche louable et respectable, celle de JDW. Mais il ne faut pas oublier que les critiques ont érigés la pièce au rang du complexe oedipien et que la figure tragique de Hamlet, comme nous le dit si bien JDW, traverse les époques pour que « les hommes oublient leurs maux médiocres dans la contemplation d’une souffrance qui leur serait intolérable. »

Lorsque Hamlet va au devant du spectre, il emmène avec lui le spectateur. Ensemble nous allons au devant d’une révélation qui va précipiter le pauvre Hamlet vers un noir dessein et qui n’est pas la révélation dont on nous rebats les oreilles :
- la révélation du meurtre du vieil Hamlet ;
- la révélation de l’infidélité de Gertrude ;
- ni même l’injonction de la vengeance paternelle.

Hamlet va au devant du réel qui se matérialise, se cristallise autour de la seule injonction que Hamlet ne va pas respecter : épargner sa mère. L’horreur ne vient pas de ce que Claudius est ceci ou cela et de la lourde tâche que Hamlet a à accomplir : venger son père. L’horreur vient de cette révélation en négatif sur ce qu’il représente pour sa mère et qu’il n’aura de cesse de vérifier.

Tous les traits psychologiques du personnage de Hamlet (mélancolie, humeur bouffonne, dépression, hystérie…) sont à rattacher à ce non-dit des révélations du spectre.
- Pour ce qui est du caractère de Claudius rien qui ne se sache déjà. Lorsque Hamlet compare son savoir avec celui de Haratio et de ses compagnons d’armes après la rencontre avec le spectre, Horatio sait déjà qui est le fieffé coquin.
- Le fait que Hamlet procrastine est passé sur le compte de la maladie, de la folie. C’est-à-dire que le retard de l’action est attribué au personnage fictif et non plus à une intentionnalité de Shakespeare pour mettre en place le passage-à-l’acte.

Les critiques en viennent à se demander pourquoi Hamlet ne tue pas Claudius et rien sur la mort de Gertrude. Hamlet a-t-il réussi face à l’injonction paternelle ? La réponse est non ! Sauf a ne donner aucun sens à la mort de Gertrude. Les interprétations, voire les manipulations de JDW méritent que l’on s’y arrête en détail.

JDW écrit (p58) que Hamlet soupçonne sa mère de complicité, « au point qu’il envisage un moment de se venger d’elle en même temps que de son conjoint. » Jusque là c’est vrai, le texte dit : « je la poignarderai de mots, je n’userai pas d’autre arme ». A cet instant JDW renvoie aux pages 218-219 de son manuscrit ou il écrit que Hamlet va agir. Sa promesse d’aller voir sa mère « tout à l’heure » signifie qu’il a l’intention entre temps d’aller tuer Claudius. Cette lecture des faits est tout à fait discutable. Il répond à Polonius : « j’irai tout à l’heure » parce que sa mère l’a fait mander « sur le champ ».

JDW va jusqu’à certifier, pour ne pas dire prouver, que Gertrude est innocente dans l’assassinat du vieil Hamlet parce que le spectre veut protéger Gertrude en la tenant dans l’ignorance du meurtre, et JDW «soutiens que l’apparition dans la chambre de la Reine a pour but essentiel d’empêcher Hamlet de l’accuser du crime et du même coup de l’en instruire. » (p58)

Au terme de cette histoire nous ne saurons rien de la culpabilité de Gertrude. C’est donc que l’intentionnalité de Shakespeare est ailleurs. Nous connaissons celle de JDW, lorsqu’il veut démontrer l’innocence de Gertrude. Il opère un découpage entre les pages 58 et les pages 224-225 de son livre, auxquelles il renvoie :
- Le spectre apparaît pour la seconde fois dans la chambre pour maintenir Gertrude dans l’ignorance. C’est donner une fonction au spectre qui ne colle plus avec les croyances de l’époque (fonction cathartique). La seule ignorance dont on peut parler c’est celle du spectateur.
- Hamlet ne dénonce pas publiquement Claudius pour épargner la reine (injonction du spectre) et pour préserver la couronne d’un scandale, notamment la complicité de Gertrude. Si JDW s’autorisait à prêter cette intentionnalité à Shakespeare, il s’attirerait les foudres de la critique. L’intentionnalité vient donc de Hamlet.
- Dans la chambre de la reine, l’étonnement de Gertrude lorsque Hamlet parle de « tuer un roi » vaut preuve de son innocence. De la même manière, sa non réaction devant la pantomime témoigne de son ignorance. Il ne vient pas à l’idée de JDW qu’elle est pire que l’implacable Claudius; elle est impitoyable.
- Avant la play-scène, JDW est persuadé qu’elle aurait formulé autrement ses hypothèses auprès du Roi sur l’origine de la mélancolie si elle avait eu le moindre soupçon sur les faits réels. Pourtant c’est possible : Hamlet obtient le silence absolu de Horatio en le faisant jurer sur son épée après la première rencontre avec le spectre.

Il faut ajouter à ces « preuves » les dits de la page 226 :
- Dans la scène de la chambre, Gertrude n’est pas consciente de la présence du fantôme car son regard est empêché par l’adultère qu’elle a commis ;
- Le spectre retourne vers son purgatoire séparé pour l’éternité de Gertrude sa bien aimée (elle ne l’a pas vu).

Et JDW de dire que Hamlet est affecté au même titre que son père par la mort d’Ophélie. Dire cela va à l’encontre de ce que nous montre la pièce :
- En déclarant sa flamme à Ophélie, Hamlet précipite la rupture, il met un coup d’arrêt à leurs jeux amoureux de séduction. Cette rupture n’est donc pas à attribuer à Ophélie au moment ou elle lui rend ses lettres. Hamlet peut avoir anticipé et provoqué ce moment-là avant sa rencontre avec le Ghost.
- Ophélie n’est pas de son rang. Est-elle la prétendante que l’on veut bien nous faire croire ? Polonius et Laerte ne s’y trompent pas et le disent. Ophélie, elle, lui rend ses lettres.
- A son enterrement, Hamlet piétine le corps d’Ophélie. La mort d’Ophélie fonctionne comme play-scène et annonce la mort d’une autre "innocente", Gertrude.

JDW dépense beaucoup d’énergie pour faire passer Gertrude pour une gourde. Il n’est pas concevable pour lui qu’elle soit une femme plus cruelle encore que Claudius. Nous ne savons rien de la culpabilité ou de l’innocence de Gertrude. Se prononcer pour l’une ou l’autre, c’est s’éloigner du texte et des intentions conscientes ou non de Shakespeare. C’est risquer de le rendre injouable.