HORATIO

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Piège de sa souris

Echec de la souricière ? Oui, mais pas pour tout le monde !

Le jeu improvisé comme prologue :

Reprenons les éléments. Une troupe de théâtre arrive à Elseneur pour les festivités de « Ttwelf Night » (le 5 janvier 1602, d’après les calculs de Steve Roth et Steve Sohmer). Qui a fait venir la troupe ? Hamlet ou Rosencrantz et Guildenstern ? Le couple royal ? ou la troupe sur une initiative personnelle ?

Toujours est-il que Rosencrantz et Guildenstern saisissent l’occasion pour se dépêtrer des conséquences de leurs intentions qu’Hamlet vient de percer à jour. Et Hamlet saisit l’occasion de se dépêtrer de ses aveux de désillusion du monde, voir de déréalisation, pour faire jouer devant Polonius le meurtre de Priam (épisode de la chute de Troie).

Et qu’est-ce qui plaît à Hamlet dans cet épisode ? « La reine capuchonnée ? » dit-il. Hécube en guenilles, affolée par la mort de son mari, assassiné par Pyrrhus. C’est Polonius qui nous le fait remarquer : « le terme est excellent ».

Le comédien qui joue le passage est affecté par les mots qui décrivent la déchéance d’Hécube. Et pourtant que lui est Hécube ? dira Hamlet dans son monologue de la scène 2, la dernière de cet acte 2.

Là-dessus, Hamlet charge le comédien d’insérer dans le meurtre de Gonzague - une pièce qui ressemble au meurtre de son père - afin d’attraper la conscience du roi, une quinzaine de vers. Or à y regarder d’un peu plus près, si l’histoire ne dit pas quels sont ces vers, chaque fois qu’Hamlet interrompe la pièce qui sera jouée le soir même, c’est pour interpeller sa mère. Et si l’on regroupe les passages qu’interrompt Hamlet, ils concernent tous le discours de la reine de comédie que Hamlet veut nous pointer comme mensonger chez sa propre mère :

Maudit soit ce malheur !
Un tel amour serait trahison dans mon cœur.
Dans un second mari, oh ! Que je soit damnée ;
Qui en prend un second a tué le premier.
Les motifs qui nous poussent à un second mariage
Sont chose d’intérêt, et nullement d’amour.
Une seconde fois je tue mon feu mari,
Quand un second mari m’embrasse dans mon lit.
Terre, garde tes fruits, ciel, reprends ta clarté,
Que jour et nuit liesse et repos soient écartés,
Tournez en désespoir la foi et l’espérance,
Que la vie d’un ermite en prison soit ma chance,
Et que tous les revers sur quoi la joie se brise
Affronte mes plus chers désirs et les détruisent,
Qu’ici-bas et là-haut une éternelle épreuve
Me traque si j’épouse encore, une fois veuve.

On observera également, qu’Hamlet prend à part le comédien pour lui exposer son plan ; mais que Shakespeare a bien pris soin de faire sortir Polonius et la troupe de comédiens après les explications. On peut donc penser que Polonius est mis au courant du piège. Et qu’il ne tardera pas à prévenir le couple royal. Ainsi donc toute l’analyse de Dover Wilson s’écroule, sauf à ne pas tenir compte de ce détail de mise en scène (Dover Wilson fait l’hypothèse que le roi ne regarde pas la pantomime, ce qui expliquerait sa non réaction – nous y reviendrons).

Scène de la galerie : jeu de marionnettes comme pantomime

Chose remarquable, l’acte 3 s’ouvre sur la scène de la galerie : le piège prévu et organisé par Polonius pour attraper la conscience d’Hamlet. Le roi demande à Gertrude de sortir pendant qu’ils espionneront la scène et les didascalies de la traduction de Jean-Michel Déprats pour la Pléiade ne précisent pas que la reine sort. Shakespeare a laissé cette latitude au metteur en scène de laisser à Gertrude la possibilité d’espionner. Ca devait jaser sur sa culpabilité dans le public après une représentation au théâtre du Globe. D’autant plus qu’après la scène dans la chambre, Gertrude sait pour l’exil, et à la fin de la scène au cimetière Claudius rappelle à Laërte, devant la reine, leur plan de la veille (le duel truqué).

Les représentations modernes et contemporaines ont pour habitude de nous montrer une scène de la galerie où Hamlet découvre qu’il est espionné, pour nous expliquer son revirement et sa colère, alors que le texte se suffit à lui-même pour nous faire comprendre que l’exposé de la souricière devant Polonius, à la fin de l’acte 2, a provoqué les réactions suivantes :
- On fait venir Hamlet en secret
- Il tombe par hasard sur Ophélie qui par hasard a ses lettres sur elle.
- Le déni d’Ophélie à la question : « où est votre père ? » - qui est peut-être celui qui l’a fait venir finalement – suffit à déclencher sa colère.
S’il découvre que Polonius est derrière une tenture à espionner, alors c’est une raison de plus pour expliquer le meurtre de Polonius dans la chambre de Gertrude, après la représentation. Hamlet en a marre de cet espionnage.

Après cette grande colère, où Hamlet présente un miroir à Ophélie :
- Il demande à ce qu’on ferme les portes sur son père pour qu’il n’aille pas faire le niais en dehors de sa propre maison.
- Il demande à Ophélie d’aller faire la pute dans une maison malfamée.
On peut s’étonner de la persévérance de Polonius à vouloir une entrevue avec la reine après le spectacle, plutôt que l’éloignement en Angleterre.

La souricière ou le piège du spectateur

Arrive donc la scène 2 (acte 3) où Hamlet prodigue ses conseils aux comédiens. Il n’a aucune raison d’être aimable avec Ophélie, encore moins avec sa mère.

Dans un premier temps, conseils aux comédiens. Hamlet les déstabilise en leur reprochant d’en faire trop ou pas assez. Ce qui va permettre à Hamlet de perturber leur représentation du théâtre. Ainsi Hamlet va se permettre de perturber la représentation sans être inquiété par les acteurs.

Dans un deuxième temps, Hamlet convoque Horatio. Il le séduit, il le flatte au point de troubler son regard – et surtout, malgré le déni de son propos. Il n’oublie pas de lui rappeler son serment. Ce qui fait qu’après la représentation Horatio ne le contredira pas, tout juste une bémol dans son discours : « une demi-part dans une troupe de théâtre ». Hamlet lui-même se (nous) berce d’illusions quant à la réussite de son plan d’avoir pris la conscience du roi – par contre une réussite totale si l’on pense que la souricière s’adresse à sa souris.

A chacun des spectateurs de la souricière, Hamlet réserve des propos différents :
Au roi, propos d’un fou : « Je n’ai que faire de cette réponse », lui rétorque le roi.
A Polonius, la mort l’attend au Capitole
A la reine, il réserve une place vide et une humiliation publique.
Avec Ophélie, Hamlet passe à l’acte : il s’attaque à sa vertu et ruine sa notoriété publique. Puis il se sert d’elle pour s’attaquer à celle de sa mère. « Ô Ciel, mort depuis deux mois et pas encore oublié ! »

Qu’est-ce qui motive Polonius pour que perdure la dégradation du climat au sein du royaume du Danemark ? Cette insistance à vouloir faire passer les troubles du comportements du Prince sur le compte de l’amour déçu :
- Les intérêt pour sa fille ;
- Une rancoeur identifiable à celle d’Hamlet à l’égard du pouvoir
- Un secret (acte 4, scène 2) celui dont il sera question après la mort de Polonius, avec Rosencrantz et Guildenstern…

Le double effacement de la preuve :

C’est ici qu’intervient la mise en scène de Dover Wilson pour maquiller le meurtre, comme dirait Miss Marple.

La réponse lui vient au départ d’un article de Wilson Greg paru dans une revue anglaise en 1917. Article qui conduit à la conclusion :
- Claudius n’a pas tué son frère en lui versant du poison dans l’oreille ;
- L’histoire du spectre n’est pas une révélation, mais l’imagination d’Hamlet

Et pour arriver à cette conclusion, W. Greg part de deux prémices fausses :
1 - Comment se fait-il que Claudius soit resté impassible devant la pantomime alors qu’il bondit dès qu’il est question de poison ?
2 - Comment se fait-il que les comédiens aient dans leur répertoire une représentation minutieuse des affaires de la Cour danoise ? N’est-ce pas abuser de la crédulité des spectateurs ?

Fausses, tout simplement parce que :
1 - Le roi ne réagit pas au moment où Lucianus verse le poison, mais après que Hamlet soit intervenu pour rappeler que Lucianus réclame d’épouser sa tante.
2 – Nous sommes au théâtre, le meurtre de Gonzague est un artifice qui comme beaucoup joue sur la crédulité.

Les réponses apportées par W. Greg sont fausses (1 et 2 c’est l’histoire du chaudron de Freud, 4 c’est carrément du délire) :
1 – Le roi ne réagit ni à la pantomime, ni à la pièce parce qu’il ne reconnaît pas son crime.
2 – L’information donnée par le spectre est donc incorrecte.
3 – Le discours du spectre doit s’interpréter comme le produit de l’imagination d’Hamlet.
4 – L’empoisonnement par l’oreille prend racine dans l’esprit d’Hamlet par un souvenir subconscient de la pièce jouée lors de la souricière.

Dover Wilson traduit se délire du Dr Greg par un syllogisme « inattaquable » :
- Puisque le roi n’a pas réagit à la pantomime, c’est qu’il ne l’a pas reconnue comme une représentation de son crime,
- Et si la pantomime n’est pas une représentation de son crime,
- C’est que l’histoire du spectre est fausse !

En réponse à ces soi-disant incohérences,
1 - Dover Wilson propose une mise en scène, et l’inscrit dans sa traduction, nous précise C. Jon Delogu (dans son article « Comment le vieux Hamlet a-t-il trouvé la mort ? », In Hamlet ou le texte en question, Ed. Messene, 1996, pp 128-129.) : Claudius ne voit pas son crime lors de la pantomime parce qu’il regarde ailleurs.
2 – Le Dr Pollard proposera la théorie de la « seconde dent » : Claudius a les nerfs suffisamment solide pour résister à la première épreuve mais il craque à la deuxième.
3 – C. Jon Delogu évoque une troisième solution, celle des sceptiques Eliot, Goethe, Coleridge : ça doit rester énigmatique. Lacan s’inscrit dans cette mouvance et se pose des questions qui n’ont pas lieu d’être, puisqu’elles remettent en cause le dispositif scénique, dont fait partie le spectre : Comment se fait-il que le spectre du vieux Hamlet en sache autant sur les circonstances de sa mort ?
4 – Delogu lui-même propose sa version en s’appuyant sur trois faits importants :

- Abraham qui est l’auteur d’un sixième acte relève que le poison est versé dans les deux oreilles si l’on se réfère au pluriel des quarto et folio, et qu’il faut entendre poison comme une métaphore, des « mots injurieux ». (Abraham et Torok, L’écorce et le noyau, éd. Flammarion, 1987.)
- Delogu imagine une situation dans le verger où repose le roi Hamlet : Claudius révèle à son frère qu’Hamlet est son fils et il lui ordonne de boire le poison sinon il parle (il le pousse au suicide).
- Delogu en déduit que le spectre est une hallucination qui donne à Hamlet un récit plausible tout en le protégeant de la bâtardise puisque les révélations des fossoyeurs le suggèrent.

Pour cette dernière proposition C. Jon Delogu prend le parti d’une hallucination, alors que Shakespeare nous parle bien d’un spectre. Il fait aussi l’erreur de confondre deux personnages, dans le récit qui est fait au début : Fortinbras père et le roi Norvège. « On devrait se souvenir du témoignage du premier clown qui rappelle que le jeune Hamlet est né le jour même où le roi Hamlet a battu le vieux Fortinbras. (…) Naturellement, si la campagne militaire avait duré plus de neuf mois, on aurait un argument irréfutable pour annuler la revendication du vieux Hamlet, mais nous ne possédons pas de telles précisions. » (« Comment le vieux Hamlet a-t-il trouvé la mort », p135). Michel Rémy, dans son article « Hamlet : perte du corps et crise d’origine » (pp100-101) fait la même erreur : « Scène complexe du cimetière où (…) nous apprenons qu’il est né le jour même ou son père a vaincu le vieux roi Fortinbras, revêtu, ajouterons nous, de l’armure avec laquelle il apparaît à son fils au début de la pièce. » Henri Suhamy et Gisèle Guillo n’y échappent pas non plus dans leur résumé (p14-15), Hamlet, profil d’une œuvre n°170, éd. Hatier1994.

Si pour l’instant, nous ne savons pas qui est le père d’Hamlet, depuis les travaux de Steve Roth et Steve Sohmer, nous savons que Hamlet est né 51 jours avant le mariage de Gertrude et du roi Hamlet, raison suffisante pour parler d’illégitimité selon les auteurs.

L’erreur de C. Jon Delogu, c’est de confondre deux personnages.
1 – Au début de l’histoire (Acte 1, scène 1) deux choses se produisent :
- Le spectre apparaît dans l’armure qu’il portait lorsqu’il combattit le roi Norvège de Norvège.
- Horatio explique ce que l’on chuchote sur la mort de Fortinbras père. Un duel de chevalerie l’a opposé au roi Hamlet. Il a perdu la vie et ses terres.
2 – Au milieu, le roi et le reine de comédie (dans la souricière) informent le spectateur sur la temporalité écoulée entre le mariage et l’assassinat.
3 – A la scène du cimetière, les fossoyeurs informent le spectateur, tout comme Hamlet, qu’il est né 30 ans auparavant, le jour de la mort de Fortinbras père.
4 – A la fin, Shakespeare rétablit l’ordre politique et généalogique en faisant accéder au trône Fortinbras.

Ce que ne dit pas l’histoire, c’est l’objet de ce différent qui conduit au duel de chevalerie. Je fais l’hypothèse qu’ils se sont battus en duel à cause d’une femme, en l’occurrence Gertrude. La « certitude » de l’illégitimité d’Hamlet (un calcul opéré par Sohmer et Roth, car ce n’est pas dit dans le texte), plus la volonté matricide de Gertrude et inversement la volonté de tuer la mère par accident, me donnent à penser que le Prince pourrait bien être le fils illégitime de Fortinbras père.

Cette hypothèse est accrédité, si je puis dire, par l’analyse erronée qui est faite de la souricière et des théories fumeuses qui accompagnent la pièce. Il est possible de proposer une autre analyse, et donc une autre interprétation (au séance théâtral) de la souricière :
- Le couple royal voit très bien où Hamlet veut en venir. Claudius reconnaît parfaitement son crime. Gertrude se reconnaît parfaitement en commanditaire de l’assassinat de son mari. Mais jusque là, ça ne constitue pas une preuve, d’autant plus que le Danemark sait pour leur liaison.
- Hamlet est insupportable pendant la représentation. L’attitude du comédien et de son prologue aussi bref que l’amour d’une femme, pourrait bien s’expliquer par une volonté de donner le change.
- Ce que donne à voir le meurtre de Gonzague, c’est le parjure de cette reine de comédie et ce que donne à voir Hamlet, c’est son intention de s’en prendre à sa mère. Claudius, par sa réaction, fait écran, il prend sur lui et détourne la violence et notre regard. Ce qui explique qu’il ne se lève pas exactement au moment où le poison est versé.

Horatio a bien compris le piège de la souricière. Il ne donnerait qu’une demi-part à Hamlet dans une meute de comédien. Mais par le serment, il ne veut rompre le silence pour enrayer cette machination. Il ne peut le faire également sans risquer pour sa vie : illusion ou réalité ? N’oublions pas que Hamlet va tuer Polonius, sacrifier Ophélie, déclencher le piège du duel final par ses provocations envers Laërte).

Polonius a compris également l’attitude de Claudius qui a consisté à détourner la haine envers la mère sur lui-même – pour la protéger. De quoi sinon de sa culpabilité ? Polonius le traduit parfaitement lorsqu’il demande à la reine de tancer Hamlet pour son comportement avant de le recevoir dans ses appartements : « Dites-lui que ses farces ont été trop débridées, qu’on ne les supporte plus, et que Votre Grâce a fait écran et s’est interposée entre un grand feu de colère et lui. » (Atce 3, scène 4)

Conclusion :

Le double effacement de la preuve de la culpabilité de Gertrude (son implication comme commanditaire du meurtre de son premier mari) tient à deux phénomènes :
- L’attitude de Claudius qui s’interpose entre Hamlet et sa mère. Il s’impose comme père auprès d’Hamlet. L’écriture de Shakespeare ne facilite pas la lecture analytique. C’est ce que Hamlet n’inscrit pas dans ses tablettes qui est déterminant, soit la deuxième injonction du spectre de rien faire contre sa mère par exemple.
- L’attitude de l’analyste (critique, metteur en scène, traducteur, etc.) qui ferme les yeux sur certains phénomènes. C’est pour le moins étonnant chez le psychanalyste censé suivre le discours à la lettre.

C. Jon Delogu le fait. Il attache de l’importance, comme Abraham à ce « S » marque du pluriel des oreilles qui reçoivent le poison. Il fait l’hypothèse de paroles propres à faire mal au roi sans pour autant le tuer : c’est l’hypothèse d’une filiation entre Claudius et Hamlet. Il commence donc par donner du crédit à l’interprétation d’Abraham dans son 6ème acte : « Abraham prête à Fortinbras des mots qui laissent entendre que le vieux Hamlet faisait parti d’un complot scandaleux avec Polonius pour s’emparer du territoire du vieux Fortinbras : mais Polonius vend son secret à Claudius qui, à son tour, le divulgue à son frère, et ce dernier en l’entendant, est frappé à mort. » (Delogu, p133)

Abraham confond lui-même les deux personnages, Fortinbras et Norvège. Nos deux critiques n’imaginent pas que Claudius ait pu verser le poison dans les deux oreilles, soit une interprétation où l’on verrait le bonhomme ceinturer le roi pour lui en mettre dans l’autre oreille :
- Ça expliquerait que le spectre sache qui lui a versé le poison dans les oreilles.
- Ça expliquerait pourquoi Shakespeare nous explique l’origine du poison Ebona.
- Ça expliquerait le retard de l’action du héros.
- Ça expliquerait l’énergie déployée par la psychanalyse pour noyer le Sujet…

Écrit par horatio in love Lien permanent | Commentaires (0)

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