HORATIO

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12/07/2012

Plus que feinte, moins que folie:


Dans le chapitre suivant, Yannick Butel reprend sur cette « figure du commandeur » qui prive Hamlet de sa liberté et lui révèle son désir refoulé pour sa mère. « La vengeance énigmatique conduit à hésiter sur la signification d’Hamlet » (p57)

Le « spectre » du père est dans le « sceptre » de Claudius. Il serait cet ange, ce démon et ce père castrateur. Yannick Butel prend des raccourcis pour l’analyse – comme il en prend à propos du texte de Shakespeare : « rien n’interdit, au regard du mode de symbolisation effectif pour chacune des pratiques de lecture, de voir en la chair de Claudius le corps qui manque au spectre. » (57)

« Que de confusions dans l’esprit d’Hamlet qui mêle le mort et le vivant, le père et son jumeau, le deuil et l’absence de deuil, une mère veuve et une reine encore mariée, un père qui l’appelle et un père qui l’entend, un (Claudius) qui l’étreint quand l’autre se dérobe à sa main ! » Hamlet aurait toutes les raisons d’être fou. Yannick Butel nous invite à ne négliger aucunes des interprétations de cette « fragilité » qui se manifeste à la suite de la rencontre avec le spectre.

Sauf que la mélancolie est annoncée par le roi et la reine dès la scène 2 de l’acte 1 – Hamlet n’a pas encore rencontré le spectre. Et Hamlet se met lui-même en garde contre le spectre qui pourrait user de ses faiblesses due à sa mélancolie. Hamlet se sait fragile et vulnérable en raison de sa maladie.

Yannick Butel ne prend pas de risque à propos de la folie du prince. « Approchons la folie et étudions l’effet de cette parole en cherchant du côté de la nécessité de jouer le fou (p64) », comme d’une arme d’attaque et de défense. Il convient d’observer si la folie est liée au principe de dédoublement et de dissimulation ; il faut dans son prolongement, interroger la pièce dans la pièce dont on dit qu’elle est le second stratagème équilibrant le premier en toute logique. » (p64)

Yannick Butel place la souricière au rang de second stratagème. Il ne donne pas sa juste valeur à la lettre à Ophélie et encore moins avec le sens qu’il va lui prêter au chapitre articuler le désarticulé (p141) de la deuxième partie. Mon analyse est la suivante :
- Cette lettre à la couleur d’une lettre de rupture exploitée tout autrement par Polonius.
- Ces lettres d’amour ont surpris Ophélie. Il est probable qu’elles soient une provocation d’Hamlet pour sonder son entourage – les réactions ne se font d’ailleurs pas attendre.

Les remarques de C. Toronto, cité par Yannick Butel sur le découpage de la pièce correspondant aux étapes du travail de deuil exposé par Freud dans Deuil et mélancolie, sont ici peut-être intéressantes :
- dépression profondément douloureuse ;
- perte de la capacité d’aimer ;
- inhibition ;
- trouble de l’estime de soi : auto-reproche qui peut aller jusqu’à l’attente délirante du châtiment.

Après il faut voir à quel découpage cela correspond :
- la dépression semble apparaître avant le spectre ;
- la capacité d’aimer est-elle identifiée aux réactions d’Hamlet envers Ophélie (sa violence envers elle, sa façon d’être odieux) ou bien est-elle antérieure et liée à sa haine pour sa mère auquel cas ces étapes ne respectent pas le découpage de la pièce.

Je suis d’avis de dire, avec Yannick Butel, que « l’analyse privilégie le détail d’un sens caché au texte », à tel point que « tout cela nous renseigne davantage sur Freud, que sur Hamlet. » (p59) Que penser alors du propos de Daniel Sibony, cité par l’auteur p61 : « le meurtre qu’il doit venger, il a rêvé de l’accomplir ; pour lui, tuer ce roi c’est un peu se tuer ». Le suicide ne trouverait-il pas meilleure explication dans les raisons du matricide ?

Yannick Butel a fait le choix de se dérober à la difficulté en arguant qu’Hamlet est un personnage de fiction. Il est vain de vouloir analyser son esprit. « L’inconscient d’Hamlet nous est donc interdit » (p62). S’il y a folie, ce n’est que dans ce que manifeste le discours d’Hamlet ; la folie comme symptôme douloureux d’un prince qui cherche à savoir si Claudius est le meurtrier.

Eh bien ce n’est pas vrai ! L’inconscient du personnage de la composition dramatique parle. Pour l’entendre encore faut-il retourner au texte et lire ce que l’auteur appelle (p61) « les mots d’esprits du prince » (cela pourrait être d’ailleurs un excellent sujet de recherche), ou encore les lapsus :
« Suis ma mère » dit Hamlet avant d’envoyer Claudius en enfer.