HORATIO

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18/03/2014

(Super) Hamlet de la Cordonnerie

(Super) Hamlet du 13 novembre 2013 à Combs-la-Ville (77)

Site de la compagnie La cordonnerie

Avec « mon petit pote », nous arrivons sur les coups de 13h30 à la coupole de Combs-la-ville (77) pour une représentation du (Super)Hamlet de la compagnie La Cordonnerie. A l’accueil, une charmante hôtesse nous invite à rester après le spectacle à un goûthéâtre. J’en profite pour placer mes flyers dédiés à mon blog sur Hamlet. Elle m’invite à le faire plutôt après le spectacle. Quand j’agis ainsi, je me demande si je ne cherche pas à voler la vedette aux acteurs. Finalement je ne déposerai pas mes flyers.

Dans la salle, nous prenons les places. Paul me fait remarquer qu’il a 8 ans et la place 8. Hasard ! Ce spectacle est recommandé pour les plus de 8 ans ; ça par contre ce n’est plus du hasard. J’ai voulu y emmener « mon petit bonhomme » parce que je lui parle souvent de mon travail sur Hamlet. Je lui ai déjà montré des extraits du duel aux épées dans différentes versions pour lui faire observer les armes du 16ème siècle et ce petit bouton présent (visible) à la pointe d’une des épées dans le film de Laurence Olivier.

Devant l’écran géant, un amoncellement d’instruments de musique impressionnant. Dans la salle quelques personnes (20, 30 tout au plus). Un groupe d’enfant arrive, une école ou un centre de loisirs (il y a école pour les enfants de Combs bien que nous soyons mercredi). Notre hôtesse nous invite à patienter, car un autre groupe doit venir. Cela me fait chaud au cœur de nous savoir si nombreux, car déplacer autant de matériel pour si peu de monde m’aurait chagriné.

Il y a un truc qui m’intrigue sur la scène. Un petit rectangle noir sur pied ! Il y a aussi un Magnéto qui tourne depuis que nous sommes installés. Il semble enregistrer les sons de la salle. Je n’ai pas lu le programme. Je m’abstiens. Je veux me laisser surprendre. Je m’attendais à du théâtre. Il n’en est rien. Les acteurs entrent en scène. L’un d’eux verse des coquillettes dans un grand parapluie et tout à coup le bruit de la mer colle avec les images qui défilent. Bon sang, mais c’est bien sûr ! le petit rectangle noir sur pied, c’est un miroir pour la synchronisation du son et de l’image.

Le film (l’adaptation) est remarquable, simple, efficace, subtile, humoristique. Les images, style années 50, me font penser au film de Aki Kaurismaki. Timothée Jolly est un magicien au piano. Les timbales de Florie Perroud nous transportent dans un univers Weyergansien… Horatio en photographe de la Cour est une idée géniale. On voit défiler les évènements qui ont endeuillés le Danemark au fur et à mesure du développement. On sent l’influence de la Cordonnerie. Métilde ressemelle les chaussures du spectre et je réalise à son apparition qu’il y a deux spectacles en un, les faiseurs de bruits qui manipulent notre esprit en versant leurs sons dans nos oreilles, et les faiseurs d’images qui projettent leurs fantasmes sur grand écran. Je réalise que je ne suis pas attentif au second tellement je suis à l’écoute des faiseurs de sons.

Et là j’ai une révélation ! Je sors de ma torpeur lorsque le spectre dit dans une langue simplifiée :

LE SPECTRE. - Je suis l'esprit de ton père, condamné pour un certain temps à errer la nuit, et, le jour, à jeûner dans une prison de flammes, jusqu'à ce que le feu m'ait purgé des crimes noirs commis aux jours de ma vie mortelle.

Venge-le d'un meurtre horrible et monstrueux. Maintenant, Hamlet, écoute ! On a fait croire que, tandis que je dormais dans mon jardin, un serpent m'avait piqué. Mais sache-le, toi, noble jeune homme ! le serpent qui a mordu ton père mortellement porte aujourd'hui sa couronne. Oui, ce monstre incestueux, adultère, par la magie de son esprit, par ses dons perfides (oh ! maudits soient l'esprit et les dons qui ont le pouvoir de séduire à ce point !), a fait céder à sa passion honteuse la volonté de ma reine, la plus vertueuse des femmes en apparence...

Mais, doucement ! Il me semble que je respire la brise du matin. Abrégeons. Je dormais dans mon jardin, selon ma constante habitude, dans l'après-midi. A cette heure de pleine sécurité, ton oncle se glissa près de moi avec une fiole pleine du jus maudit de la jusquiame, et me versa dans le creux de l'oreille la liqueur lépreuse. C'est ce que j'éprouvai ; et tout à coup je sentis, pareil à Lazare, la lèpre couvrir partout d'une croûte infecte et hideuse la surface lisse de mon corps. Voilà comment dans mon sommeil la main d'un frère me ravit à la fois existence, couronne et reine. Oh ! horrible ! horrible ! Oh ! horrible ! Si tu n'es pas dénaturé, ne supporte pas cela : que le lit royal de Danemark ne soit pas la couche de la luxure et de l'inceste damné ! Mais, quelle que soit la manière dont tu poursuives cette action, que ton esprit reste pur, que ton âme s'abstienne de tout projet hostile à ta mère !


Que ton âme s’abstienne de tout projet hostile à ta mère ! A ta mère ! A ta mère !... Là je décroche. Pourquoi j’emmène « mon petit bonhomme » à ce spectacle ? Il n’est pas responsable du différent qui m’oppose à sa mère. Qu’est-ce que je fais là ? Je me tourne vers lui, et je le vois tête baissée. Il ne regarde plus. Est-ce qu’il a eu peur du spectre ? Est-ce sa question récurrente - « pourquoi vous êtes séparés » - qui se projette à l’écran ? Je lui touche l’épaule pour l’interpeller. Il me fait un sourire. On regarde, mais l’esprit est ailleurs.

Pourquoi je l’emmène voir ce spectacle ? Non, je l’emmène aux spectacles, tous les spectacles (cirques, concerts, contes). Et puis sa question, c’est aussi la mienne. J’ai des réponses, mais je n’ai pas LA réponse. Finalement, les adultes ont autant de soucis que les enfants. Et les enfants ne sont pas les seuls soucis des adultes. Et vice et versa.

Heureusement le spectacle reprend –bien qu’il n’ai jamais quitté la salle lui. Il se passe des choses dans la chambre. Hamlet coud à la machine à coudre. Il filme image par image les mouvements de deux poupées en porcelaine et il se fait son film (comme dans le film de Mickaël Almeyreda). La reine est informée régulièrement de ce climat d’inquiétante étrangeté. Le roi se fait tirer le portrait par le peintre officiel de la Cour. Polonius se cache dans la chambre de la reine – je vous le donne en mille – derrière le portrait. Et Hamlet n’a plus qu’à nous faire comparer le portrait et le spectre.

Les trouvailles sont dignes d’un Tom Stoppard. D’ailleurs lorsque Samuel Hercule imite le bruit des épées avec ses cuillères, ce n’est pas sans rappeler la fameuse scène où l’on voit la troupe de comédiens simuler le duel dans son film « Rosencrantz et Guildenstern arent dead ».

Les enfants ont rit par deux fois : lorsque Gertrude reçoit le maquereau en guise de missive et à la fin, lorsque Claudius titube sur la plage avant de tomber raide mort. Mais voilà, il y a un hic ! Hamlet est toujours vivant, et Hamlet est un meurtrier – comme son oncle…

Après le spectacle, je déambule dans le hall. La coupole (Scène nationale de Sénart) nous offre un verre et des bombons. Mon « petit pote » veut partir et profiter de l’après-midi au parc. Je lui demande de patienter ; nous allons essayer de parler avec les acteurs.

Je m’incruste avec une chaise. Mais « Ils » ne sont pas disponibles pour parler de ce spectacle ou d’Hamlet. Comme tous les acteurs, je les imagine « vidés » de leur stress. Ils ont du tout donner sur scène. Maintenant, ils sont passés à autre chose. Ils parlent de leur prochaine production « Hansel et Gretel ». Le sujet est sérieux : un train a été commandé/loué pour une journée de tournage – les heures sont comptées, des sommes d’argent avancées. Deux jeunes prennent des notes : journalistes ? étudiants en cinéma ? Je suis au cœur de la tambouille institutionnelle mais je n’y comprends rien.

Finalement la timidité aura eu raison de moi ! De toute manière, le pure moment de bonheur partagé, il était dans la salle et sur scène. Quoique, pendant le gouthéâtre, il y a eu cette gamine – l’effrontée – qui est venue interpeller l’actrice pendant la tambouille : « C’était vous la reine dans le film ! Je suis venue hier aussi, ça fait la deuxième fois que je viens. » Et elle est repartie grappiller des bombons.


Lire l'interview de Samuel Hercule (comédien et réalisateur) sur infoChalon.com