HORATIO

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01/03/2012

Hamlet de Hugues Serge Limbvani

HAMLET d’après la pièce de Shakespeare


Adaptation et mise en scène de Hugues Serge Limbvani
Par la Boyokani Compagny
Filmée au festival international de théâtre du Bénin
SOPAT, mars 2007.

Dossier de presse de la pièce CLIQUEZ ICI

Ecouter Hugues-Serge Limbvani sur Radio-Canada (9mn)

Lire le journal de bord de la dernière représentation, par Gaylord Lukanga Feza

Cette pièce est intéressante à plus d’un titre. Elle est la transposition d’une œuvre élisabéthaine du 17iéme siècle dans la culture africaine (congolaise je présume). Cette adaptation est, je l’espère, en partie réussie – hors mis les personnages de Rosencrantz et Guildenstern qui devraient être dans la culture africaine des guerriers et non les « clowns » grotesques joués par deux des acteurs.

Je ne suis pas spécialiste de la culture élisabéthaine et de la culture africaine, mais cette adaptation qui se veut tragi-comique présente plusieurs intérêts d’un point de vue critique.

A propos du spectre :

Dans l’acte 1, les apparitions du spectre se font en présence des soldats de garde ce jour-là. Ils sont comme fascinés par le spectre et du coup ils ne l’entendent pas. A moins que ce ne soit une volonté délibérée du metteur en scène, inspirée par une traduction ou une critique qui mettrait l’accent sur ce point comme je l’ai écrit après ma lecture de Dover Wilson : il est possible que seul Hamlet entende le spectre, même lorsqu’il dit : « - Jurez ! » de dessous terre. Si cette idée n’est pas vraiment fondé, à la lumière des critiques de John Dover Wilson sur la nature du spectre, elle permet de prendre parti dans la perspective d’une nouvelle interprétation.

Hugues Serge Limbvani a carrément supprimé ce passage où le spectre ordonne de jurer.

Dans l’acte 3, la scène dans la chambre de la reine, après la représentation, où Gertrude se fait tancer par son fils, Gertrude n’entend pas et ne voit pas le spectre. Par contre, dans la scène de la repentance de Claudius juste avant que Hamlet se rende à la chambre de sa mère, Claudius entend le spectre ; il se dit hanté par le spectre et c’est même, à ce moment là, ce qui le précipite en prière.

Est-ce la culture africaine et son rapport aux morts qui a suggéré cet ajout, ou bien une référence à un Hamlet oublié ? La question mériterait d’être creusée. Je penche plutôt pour une question d’adaptation et de transposition à la culture africaine, car les révélations du spectre se font à la fin de l’acte 2. Le spectre intervient plusieurs fois dans la pièce pour venir hanter les vivants.

Le rapport au temps :

Les sous-titrages qui indiquent les notions d’espace-temps aident à la compréhension de la pièce – comme à pu le faire John Dover Wilson en son temps :

- Entre le moment où Hamlet et ses compagnons d’armes se séparent et le moment où il réapparaît débraillé dans la chambre d’Ophélie, John Dover Wilson avait déjà fait observer que deux mois s’étaient écoulés, et que pendant ces deux mois Hamlet s’était retiré pour méditer – chose qu’il annonce à Horatio mais qu’il ne prend pas au sérieux et qui fait l’objet d’une offense sérieuse auprès du jeune Prince.

- Entre le début de la pièce, moment des préparatifs de Laërte pour son départ vers la France (l’Europe) et son retour au château qui coïncidera avec la mort d’Ophélie, sa soeur, plusieurs semaines se sont écoulées. Il faut bien comprendre qu’à cette époque on ne prend pas les transports en communs, on se déplace à cheval, en bateau. Il faut plusieurs semaines pour contourner l’Europe.

Au passage on peut se demander ce qui fait revenir Laërte. L’envoie d’un messager pour lui annoncer la mort de son père et son propre déplacement prendrait plusieurs semaines. J’émets donc l’hypothèse (pour les besoins de la suite du Hamlet) que c’est Reynaldo qui informe que quelque chose ne tourne pas rond au Danemark et qu’il serait bien qu’il rentre : Hamlet est comme devenu fou, par exemple. Reynaldo qui rappelons-le est envoyé en France par Polonius pour « espionner » son fils.

C’est pendant son voyage de retour vers le Danemark qu’intervient la mort de Polonius. Laërte l’apprend à son arrivée. Il lève une armée pour s’emparer de la couronne…

La déchéance familiale pour Ophélie :

Cette question du rapport au temps, nous aide à mieux cerner la folie d’Ophélie. Le déclenchement de sa folie, n’est pas du au seul départ de l’être aimé pour l’Angleterre et à la mort de son père.

Ophélie tombe en pamoison avec la « déclaration d’amour » de Hamlet – déclaration qu’il faut situer après le décès de son propre père. Il faut se dire que dès cet instant, Hamlet passe à l’action : il secoue l’arbre fruitier pour mieux observer les fruits qui vont tomber.

Cette vision des choses est fondamentale pour comprendre la mécanique de cette pièce. Ophélie ne perd pas l’être aimé avec la mort de son père et le départ précipité de Hamlet pour l’Angleterre. Ophélie comprend qu’elle a été abusée dans la scène de la galerie.

Donc, lorsque le sous-titre du film indique à l’acte 4 : « quelques semaines plus tard », il faut comprendre que le délire d’Ophélie va beaucoup plus loin qu’un simple chagrin d’amour, ou le deuil de son père, c’est de la déchéance de toute une famille dont il est question. Polonius est quand même conseiller du roi, ce n’est pas n’importe quel rang.

Le sujet de la condition de la femme :

Cette pièce de Shakespeare, nous dit Hugues Serge Limbvani, offre des opportunités d’adaptation à la culture africaine. L’apport de cette « adaptation », c’est donc les deux monologues de Gertrudes qui dénoncent la condition de la femme (la soumission, les mariages forcés…). Ils ont la même force et la même valeur que ceux de Hamlet lui-même.

Mon propos n’est pas de les reproduire ici mais d’arriver aux mêmes fins en insistant sur le caractère non misogyne à vouloir faire passer au premier plan le matricide comme sujet principal de cette pièce. Car au fond les metteurs en scène, les critiques, se succèdent pour nous parler chaque fois d’une pièce différente qui nous mène toujours au même résumé et à la même conclusion : Hamlet procrastine à vouloir tuer son oncle, et personne ne nous dit jamais que la mort d’Ophélie fonctionne comme play-scène et annonce la mort de Gertrude ; ou que la procrastination est la conséquence d’un interdit posé par le spectre qui éveil chez le spectateur cette jouissance de voir cette mère indigne…

Le cynisme du couple royal :

Hugues Serge Limbvani résiste lui-même. Dans le film il nous parle du « cynisme » de Claudius. De mon point de vue, c’est un doux par rapport à Gertrude. Certes Claudius prend la décision d’envoyer Hamlet en Angleterre – si à cet instant il n’a pas scellé les ordonnances pour le faire éliminer, c’est alors plutôt bienveillant de sa part : il lui fait prendre le large parce qu’il voit bien que sa relation avec sa mère se dégrade.

Les rapports entre Hamlet et sa mère cause de sa folie meurtrière :

Dès le début Gertrude se montre ambivalente vis-à-vis de son fils : dans un premier temps, elle explique le trouble de Hamlet par la mort de son père (pas son mari) et son remariage précipité, dans un deuxième temps, lorsque Polonius expose au couple royal les raisons de la folie de Hamlet, il n’y va pas par quatre chemins, Hamlet est fou – il n’est pas fou amoureux, non, son amour pour Ophélie l’a rendu fou !

Cette prise de position de Gertrude – et de Polonius – pour la folie de son propre fils est d’une violence inouïe. Ce double-jeu de Polonius, pour des raisons obscures – aussi obscures que le secret de Rosencrantz et Guildenstern que Hamlet ne manque pas de leur renvoyer (et qui doit servir dans l’écriture de la suite au Hamlet) – sera fatale à Polonius. Alors que Claudius a pris la ferme résolution d’envoyer Hamlet en Angleterre, il insiste à vouloir provoquer une entrevue entre Hamlet et sa mère afin qu’elle le raisonne, qu’elle le sermonne fermement.

Au cours de cet entretien, Hamlet lui révèle qu’il est fou par ruse. Gertrude lui répond qu’elle ne soufflera mot de ce qu’il lui a dit. Sa propre mère le prend pour un fou et préfère le voir partir pour l’Angleterre. Il y a de quoi passer de l’autre côté du miroir. Hamlet sait déjà pour les ordonnances scellées et qu’il aura à faire sauter les deux artificiers avec leurs propres pétards.

Le suicide et le matricide maquillé en régicide :

Il faut avoir une sacrée paire de « corones » pour accepter un duel en présence de Claudius, celui-là même dont il sait qu’il avait signé son arrêt de mort et pour accepter un duel avec celui dont il a anéanti la famille.

L’originalité finale de la pièce de Hugues Serge Limbvani, c’est le combat de « pongo » où l’on voit Hamlet faire boire de force Gertrude avant que Laërte ne le blesse de ses gants empoisonnés.

Ce n’est pas pure hasard, si Hugues Serge Limbvani s’octroie la liberté de cette mise en scène. Déjà mon intuition était que Gertrude buvait la coupe jusqu’à la lie devant une cours médusée par l’injonction du roi de ne pas boire.

Conclusion :

L’originalité de la pièce de Hugues Serge Limbvani, c’est qu’elle met l’accent sur le non-savoir de l’entourage de Hamlet, sinon la rumeur. Avec les révélations du spectre, Hamlet est porteur d’un trop-de-savoir pour paraphraser Lacan – mais qui n’est pas la réalité du meurtre de son père. Nous n’en saurons peut-être jamais rien.

Malheureusement Hugues Serge Limbvani ne met pas l’accent sur les menaces de mort qui pèsent sur Horatio et Marcellus s’ils parlent de ce qu’ils ont vus. Cela ne donne pas tout son poids à la pièce dans la pièce qu’il faut voir comme un échec, mais Horatio ne dira rien de peur de contrarier le jeune Prince. Au contraire, dans l’interprétation de Hugues Serge Limbvani, Claudius joue un malaise en voyant la pantomime de son crime.

C’est un parti que Hugues Serge Limbvani prend dès le départ en faisant du roi et de la reine des complices dans l’assassinat du vieil Hamlet - la révolte de deux amants contre un système. Il ajoute même une première scène qui expose leur volonté d’en finir avec ce tyran.

C’est un parti pris tout à fait louable et qui ne nuit pas à la pièce originale. Que se passerait-il si nous faisions la même chose avec une pièce de Molière ? C’est ce sens originel qu’il nous faut retrouver dans le Hamlet de Shakespeare. Ecrire la suite du Hamlet par la voix de Horatio devrait engendrer plusieurs versions : l’histoire retiendra la plus tragique.