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15/04/2012

1. Maîtres d'armes Guidoux et Patin

Mail envoyé à plusieurs spécialistes (épées, escrime, Shakespeare…) : avril 2012

Bonjour,
Je suis en train d’étudier le Hamlet de Shakespeare très en profondeur. Cette pièce de théâtre date au plus tard de 1602. Elle se finit par un duel aux épées meurtrier (fleurets et rapières). J’ai besoin des lumières d’une personne compétente sur la pratique de l’escrime à cette époque.

Pour vous situer l’action :
- Le roi Claudius veut éliminer Hamlet. Il propose un duel avec Laërte, qu’Hamlet ne pourra pas refuser pour plusieurs raisons : Hamlet a tué Polonius, le père de Laërte et d’Ophélie - ce qui a rendu Ophélie folle et provoqué sa mort par noyade.
- Claudius et Laërte élaborent un plan pour éliminer Hamlet :
- Laërte a démoucheté son épée et l’a enduite d’un poison mortel.
- Claudius prépare un coupe empoisonnée pour Hamlet.

Est-ce pour l’obliger à boire ? Le roi parie six chevaux qu’en douze assauts (et non neuf), Laërte ne marquerait pas trois touches de plus qu’Hamlet. Laërte parie de son côté six rapières et six épées françaises.

Mon but est de montrer que l’intention de Shakespeare était d’éliminer la reine Gertrude (la mère d’Hamlet), et que ce matricide est déguisé en régicide (la mort du roi Claudius, l’oncle d’Hamlet). C’est effectivement ce qui se passe :
- La reine boit accidentellement la coupe empoisonnée ;
- Tuer Claudius est la volonté d’Hamlet depuis le début : le spectre de son père mort vient lui révéler que Claudius l’a empoisonné pour lui ravir sa couronne et sa femme.
- La mort est donnée dans un premier temps par Laërte qui blesse lâchement Hamlet puis par Hamlet qui s’empare de l’épée empoisonnée pour blesser à son tours Laërte puis Claudius.

Pour que cela ressemble à un régicide, Hamlet se précipite dans un duel suicidaire. Plusieurs raisons me donnent à penser que c’est du suicide :
- Les assauts sont portés à douze au lieu de neufs
- Les escrimeurs s’apercevraient si une épée était démouchetée
- Au moment de choisir les fleurets Laërte change pour une plus légère (celle empoisonnée) ce qui met la puce à l’oreille d’Hamlet

Là où vos connaissances peuvent m’aider, c’est :
- sur la façon dont les épées étaient mouchetées – est-ce qu’un escrimeur s’apercevrait de quelque chose ?
- Y avait-il des codes précis dans les duels : 9 assauts par exemple ? Changement de règles de dernière minute qui aurait rendu le duel douteux.

J’espère que vous pourrez répondre à certaines de ces questions. Vous pouvez suivre l’avancée de mes travaux sur http://horatio.hautetfort.com/le-suicide-d-hamlet.html

Cordialement à vous
Sylvain

Réponse d’ARMAE.COM : 3 avril 2012
Merci de penser à nous, mais malheureusement nous ne sommes pas les plus compétents pour participer à votre discussion. Toutefois, pour vous donner un avis de non escrimeur, nous pensons quand même qu'une mouche se verrait. Mais c'est de la littérature, et l'auteur est libre de ses effets.
très cordialement
ARMAE

Echange avec Alexandre Guidoux des Gentilshommes de la Brette : 4 avril 2012

Bien le bonjour,
pour répondre à vos questions :
- La mouche est généralement une petite boule de liège mise sur la pointe, entouré par un petit carré de lin au naturel attaché à la base. (avec parfois une petite plume pour décorer)
- Elles étaient donc parfaitement visible par un escrimeur.
- Pour les duels, en tout cas en France (j'ai une total méconnaissance des pratique en Angleterre de la fin du XVIème); ils n'avaient pas de règles définis, les modalités étaient fixées par les deux duellistes ou/et les témoins avant le combat.
- Cependant petite note concernant les fleurets : tel que connu à l'heure actuelle (y compris les fleuret dit "ancien") il s'agit d'arme d'entraînement utilisé après 1650. Le terme fleuret désignerait plus ici une arme de duel à lame fine , justement dangereuse, justement moucheté.

Je reste à votre disproportion pour d'autre question.
Alexandre GUIDOUX (Les gentilshommes de la brette)

7 avril 2012 :

Bonjour,
J'ai obtenu une réponse d'armae.com qui attire mon attention sur le fait que l'auteur est libre de ses effets, certes à ne pas négliger au final.

Pour la question des codes dans un duel, La présidente de SFS me conseille de lire Dover Wilson. Je vais relire le passage qui traite de la question et vous ferais part de mes observations. Est-ce qu'une question technique d'escrime à l'époque élisabéthaine transposée dans une histoire qui se déroule au Danemark (en Europe donc) ne complexifie pas la recherche d'une réponse? Dans le document joint, je vous rapporte la réponse qui m'a été faite par Fabrice Patin (maître d'arme à Metz).
Toujours dans la perspective d'affiner votre réponse si vous le pouviez.

A très bientôt
Sylvain Couprie

Question sur la traduction de « foil »

Je vous remercie pour votre réponse, c'est très intéressant. J'espère que la traduction de "foil" en "fleuret" ne nous aura pas égarés.
Je vais également interpeller des spécialistes de Shakespeare.

Puis-je utiliser votre réponse pour créer une page blog spécialement dédiée à l'analyse de ce duel? (toujours sur http://horatio.hautetfort.com)

Amicalement
Sylvain

réponse d’Alexandre Guidoux le 5 avril 2012

Je vous en prie, ce serait un plaisir de servir pour un de vos post.

Pour le fleuret, sa création s'est fait petit à petit depuis la fin du XVI ème siècle comme arme d'école notamment pour les armes de duel d'estoc tel que la rapière. Mais c'est vers 1650 qu'il commence réellement à être utilisé.

D'aprés mes recherches "Foil" proviendrait du Français "fouler" ou "refouler" assimiler à l'époque à "parer un coup". Soit littéralement "arme de parade". De là à extrapoler pour parler d'arme de duel, il n'y a qu'un pas.

Je pense que dans le contexte de l'époque Shakespeare pouvait désigner par :
- Sword : arme de guerre ou arme de taille et d'estoc à lame large ( " Cut and Trust")
- Foil : arme de duel, plus fine, uniquement destiné à l'estoc.

Mais il ne s'agit que d’hypothèse bien entendue.
Au plaisir,
Alexandre

7 avril 2012 : question de traductions

Re-Bonjour,

D'après votre réponse, il est possible que Shakespeare ait pu parler de fleuret dans ce duel, puisque sa création date de la fin du 16ème siècle. Je me demandais si le terme n'avait pas été introduit plus tard par des traducteurs.

Lorsque dans la pièce (acte 5 scène 2), le courtisan Osric vient annoncer le duel à Hamlet, ce dernier lui demande qu'elle est l'arme de Laërte, il lui répond la rapière et la dague - la traduction ne semble pas poser de problèmes: "rapiere and dagger".

Lorsque Claudius expose le plan à Laërte (acte 4 scène 5), il lui conseille de prendre une épée démouchetée soit en anglais "a sword unbated". Et en gros - c'est moi qui traduit -il lui dit:il est tellement bête qu'il ne pensera pas à examiner les fleurets, soit en anglais "will not peruse the foils". Pourriez-vous me préciser ce que vous appelez une arme d'estoc.

Ce n'est pas par hasard si je m'autorise à dire que Claudius le prend pour un niais; mais c'est une autre question que je vais traiter bientôt. Au début du duel, Hamlet s'adresse ainsi à Laërte: "I'll be your foil, Laërte", ce qui a été traduit par Jean-Michel Déprats: "je serai votre fleuret-valoir" soit un jeu de mot fondé sur la polysémie de "foil" (faire-valoir et fleuret). J-M Déprats rapporte dans une note de bas de page la traduction de Michel Vittoz pour Daniel Mesguish: "je ne suis que le pâle reflet de ton fleuret" - choix que Mesguich justifie par un effet de miroir entre Laërte et Hamlet dans le duel qui les oppose. Au passage, je peux ajouter ce que traduit Jacques Lacan: "je serai ton fourreau".

L'idée de l'effet miroir est intéressante, parce qu'elle permet d'interpréter, si je puis me permettre: "je serais ta parade" et de faire coller le texte avec ce qui va se passer, c'est-à-dire on va voir qui de nous deux est le plus niais. Est-ce que cette effet miroir aurait à voir avec la façon de se saluer chez les escrimeurs: porter la lame devant soi (le brillant de la lame faisant office de miroir)? Divagation peut-être? Idée reçue?

Le matériaux commence à se faire dense. Je vous laisse cogiter.
A très bientôt
Sylvain Couprie

Echange avec Dominique Goy-Blanquet Présidente de SFS : 5 avril 2012

Bonjour,
je vous conseille de lire le livre de John Dover Wilson, Pour comprendre Hamlet: Enquête à Elseneur (Seuil, 1992), qui a tout un chapitre sur le duel
Cordialement,
Dominique Goy-Blanquet (Société Française Shakespeare)

7 avril 2012 : Vous avez dit Dover Wilson ?

Bonjour,

Je vous remercie pour votre conseil de lecture. J'ai cependant besoin d'éclaircissements. J'ai lu: Vous avez dit Hamlet? de Dover Wilson. J'en ai fait une critique sur mon blog http://horatio.hautetfort.com que vous avez peut-être déjà consulté. J'ai bien lu un chapitre sur le duel dont je n'ai su que faire - ne comprenant rien aux explications.

Je me suis donc précipité à la bibliothèque pour l'emprunter de nouveau. Et je m'aperçois que vous en êtes la traductrice. Peut-être saurez vous me dire si le propos de Dover Wilson est le même dans les deux livres. Et si sa pensée a évolué d'un livre à l'autre. Personnellement je l'espère, car l'analyse de Dover Wilson présente quelques défauts. Pour moi,
- Horatio est muselé par Hamlet dès le début: il fait jurer de se taire! Et il ne bronche pas pendant la souricière.
- La souricière est un échec; c'est Hamlet qui arrête la représentation par son obscénité à propos de Lucianus.
- Le duel final est un suicide du héros; il est lui-même une pièce dans la pièce; c'est-à-dire que personne ne vient en arrêter la représentation: ni Hamlet, ni Claudius, ni Gertrude, ni Horatio, ni le spectateur, qui ne peuvent que s'apercevoir qu'une des épées est démouchetée.

C'est la raison pour laquelle, je suis en train d'interpeller des spécialistes de l'escrime, de Shakespeare... C'est après avoir assisté aux 4ème Masters de fleurets à Melun que je me suis posé ces questions sur le duel final.

Mon analyse critique du livre de Dover Wilson me pousse déjà à m'interroger sur le suicide d'Ophélie, la folie d'Hamlet, le savoir sur la mort du vieil Hamlet, le rôle à jouer de Fortinbras, etc.

Je vous joins les premières réponses qui m'ont été apportées par des maîtres d'armes.

Si vous connaissez quelqu'un qui pourrait prêter une oreille attentive à mes écrits sur Hamlet, n'hésitez pas à lui transmettre ce mail et mes coordonnées. J'ai vraiment besoin d'être poussé dans mes retranchements. Il y a des choses à mon avis qui ne pourront être démontrées qu'en écrivant la suite du Hamlet de Shakespeare.

Et je ne sais pas encore tout ce que les hommes et les femmes ont à y gagner...
Commençons par le respect. Cordialement à vous
Sylvain Couprie

Réponse de Dominique Goy-Blanquet, 7 avril 2012 :

Pour comprendre Hamlet est une réédition de Vous avez dit Hamlet. Le mieux serait de vous faire expliquer le chapitre sur le duel par vos spécialistes de l'escrime.
Cordialement, DGBl


Echange avec Fabrice Patin (Société d’escrime de Metz) : 5 avril 2012 - 00h00

Bonjour,
Je vous réponds demain avec force de détails. (j’ai des impératif aujourd’hui)
Ce qui est amusant, c’est que j’ai réglé le combat Hamlet – Laertes récemment (Février 2012) pour la compagnie Pardes Rimonim dans Hamlet ou la fête pendant la peste.
A bientôt,
Fabrice

5 avril 2012 – 8h00

Bonjour Voici quelques éléments de réponses :

- sur la façon dont les épées étaient mouchetées – est-ce qu’un escrimeur s’apercevrait de quelque chose ?
- Y avait-il des codes précis dans les duels : 9 assauts par exemple ? Changement de règles de dernière minute qui aurait rendu le duel douteux.

Premièrement, les armes :
Le fleuret a été inventé en 1635 sous l’impulsion du Maître d’armes Charles Bernard, donc pas de fleuret contemporain à Shakespeare.

De même la rapière faisait des ravages en Angleterre.
Elisabeth, reine d’Angleterre, pour mettre un frein au carnage provoqué par ces lames qui pouvaient dépasser (1,30 m = Taza espagnol) avait en 1571 fait un Edit qui proclamait que ses épées sont une offense à la vue et un danger pour ses sujets. Elle décida de faire surveiller les porteurs de rapières et en punition ses gardes devaient couper les fraises et briser les lames de tel façon qu’elles ne fassent pas plus d’un yard ( 91,4 cm ).

Donc à mon humble avis, le duel « Elisabéthain » aurait du se dérouler avec de « forte épée » ou des rapières à lame large mais plus courte qu’une rapière utilisée sur le continent européen.

Comment on neutralisait les épées à l’époque :
1°) on émoussait le fil c.à.d. le tranchant et le faux-tranchant à la pierre (escrime de taille)

2°) pour les épées ayant une pointe très fine comme une rapière italienne, on fixait une petite bourse de cuir, bourrée de lin.

Si l’épée était mouchetée par une bourse de cuir impossible de ne pas s’en rendre compte, c’est comme le nez rouge d’un clown !

Par contre le rembourrage peut être moins ferme et donc la pointe peut à force de touches vigoureuses percer au fur et à mesure le cuir de protection, pour finir par complètement traverser la protection et la rendre caduque.

Le Poison me parait un problème plus épineux. Car même les poisons les plus persistants ont besoin d’un vecteur (boisson, aliment) pour les véhiculer et surtout les protéger de l’air.
Tremper la pointe dans du poison avec une épée mouchetée diminue son efficacité car le rembourrage va absorber le poison en grande partie.
On peut enduire le tranchant et le faux-tranchant de la lame mais l’air va oxyder les principes actifs et au fur et à mesure le poison va sécher – moins efficace, sur une touche très superficielle.

Ce qui se faisant souvent, dès l’empire romain, c’est de tremper sa lame juste avant la touche ou d’avoir une lame dont le fourreau était enduit d’un mélange de ciguë et de frapper au dernier moment, en sortant sa lame. Car le but c’est que la mort soit rapide…

En effet, il y avait des codes pour les duels judiciaires, mais la on est dans le duel honneur (arme mouchetée) qui ressemble au démonstration d’escrime comme on les verra durant le siècle des lumières – où le but est de toucher tout autant que de démontrer à la cour qu’il ne pouvait en être autrement.

Durant le duel d’Hamlet, Laërte demande d’ailleurs le jugement de la touche, on est bien dans un cadre « sportif » « amical ».

Pour la durée de la rencontre, le nombre d’assaut est très variable suivant les cours, les pays, les régions et accepter un nombre plus élevé d’assaut est un signe de courtoisie et une manière de bien se faire voir en cour. C’est offrir à son adversaire plus d’opportunité de marquer les touches nécessaires, c’est « fair play ».

Voilà déjà quelques pistes,
Je fouilles un peu plus pour vous donner des informations, des sources.
Cordialement,
Fabrice (http://quinteseptime.over-blog.com)

7 avril 2012 : duel d’honneur ?

Bonjour,
Je reviens vers vous avec de nouvelles questions. J'ai eu une réponse d'Alexandre Guidoux des Gentilshommes de la Brette qui me dit:
"Pour le fleuret, sa création s'est fait petit à petit depuis la fin du XVI ème siècle comme arme d'école notamment pour les armes de duel d'estoc tel que la rapière. Mais c'est vers 1650 qu'il commence réellement à être utilisé." Je vous joins d'ailleurs l'ensemble des réponses obtenues à ce jour pour parfaire votre réponse à mes questions premières.

N'étant pas spécialiste de ces questions d'escrime, je vous serais reconnaissant de me préciser ce qu'est la fraise sur une épée. Est-ce que ça à voir avec les photos que vous m'avez envoyées?

Vous faites bien de m'apporter ces précisions sur le poison, car je ne soupçonnais pas le problème. Shakespeare précise bien par la voix de Claudius (acte 4 scène 7) que l'épée de Laërte sera démouchetée. La question du poison absorbé par la mouche ne semble pas se poser. Par contre, je revois la scène du duel dans le film de Franco Zeffirelli (avec Mel Gibson et Glenn Close), où Laërte enduit son épée du poison, juste avant l'assaut. Je pensais que le metteur en scène voulait attirer l'attention, rappeler l'empoisonnement - ça va plus loin, c'est l'efficacité du poison qui est en cause si je comprends bien, question de réalisme. Comme m'a répondu armae.com, l'auteur est libre de ses effets.

Si vous pouviez m'apporter des précisions sur les duels judiciaires, je pourrais peut-être faire un rapprochement avec les questions qui me préoccupent: pourquoi Shakespeare porte le nombre d'assauts à 12 au lieu de 9. La présidente de SFS m'a conseillé de relire Dover Wilson. Je vais résumer le propos et vous en ferais part. Peut-être verrez-vous quelque chose qui m'échappe!

C'est vrai que cela semble être un duel "sportif", "amical" comme vous le dites. Mais la question me paraît plus complexe. Laërte est prêt à égorger Hamlet à l'église. Il a perdu une soeur et un père...

Mais je ne voudrais pas abuser de votre temps.
Cordialement à vous
Sylvain Couprie