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15/07/2013

A propos de Fratricide puni: échange avec Me Müller-Hewer

Message du 14 juin 2013 : le fratricide puni

Chers amis escrimeurs...

Qui avaient eu l'amabilité de répondre à mes questions sur le Hamlet de Shakespeare, il y a quelques temps de cela, je reviens vers vous par ce que je viens de lire et de résumer sur mon blog (http://horatio.hautetfort.com) Hamlet ou le fratricide puni, une pièce de théâtre qui pourrait bien être une version arrangée du Hamlet de Kyd et qui aurait inspirait Shakespeare.

Cette pièce (de 1586 environ) est beaucoup plus courte parce que destinée à des comédiens qui parcouraient l'Allemagne en chariot. Elle ressemble étrangement à celle de Shakespeare:
- les noms des personnages sont ceux de Q1 (1603)
- elle se finit dans un bain de sang lors d'un duel qui devrait faire l'objet de votre intérêt.
- il y a bien une souricière, interrompue juste après la pantomime par le roi
- un spectre qui vient annoncer le fratricide...

Ce qui est intéressant, c'est que Shakespeare ne donne pas d'indications sur le déroulement du duel. Cela a conduit Me Dubois (1918) a proposer pour la comédie française l'hypothèse d'un arrachement mutuel des épées en se référant au Traité de St Didier. Je vous invite à lire ou relire ma lecture critique de l'assaut du 5ème acte, si cela vous dire: http://horatio.hautetfort.com/me-dubois/
Vous m'aviez vous-même suggéré la lecture de James Hallam
http://web.uvic.ca/~mbest1/ISShakespeare/Resources/Honour/Swordfight.html
pour un duel avec dague et rapière.

Dans les deux cas, il s ressortaient de nos échanges qu'il n'est pas évident que les duellistes s'échanges les épées. J'aimerai donc votre avis sur les indications qui sont données pour le duel du Fratricide puni (Acte 5).

A la scène 5, de l'Acte 4, le roi expose à Leonhardus (Laërte chez Shakespeare) un plan infaillible pour tuer Hamlet : il va arranger un duel à la rapière ; celui qui touchera l’autre trois fois gagnera un cheval barbe blanc. Au cours du duel Leonhardus devra laisser choir sa rapière pour en saisir une autre tranchante, laissée là, à portée de main, exprès. La pointe de la lame aura été trempée dans le poison pour qu’à la moindre éraflure Leonhardus gagne le prix et les faveurs du roi.
Leonhardus refuse et craint que cela se retourne contre lui car Hamlet est une fine lame.

Le roi essaye à nouveau de le convaincre. Leonhardus refuse. Si le plan vient à échouer et la traîtrise à se savoir, il est un homme mort. Le roi échafaude un plan de secours qui conduira Hamlet à une mort certaine. Dans une coupe de vin il versera un diamant réduit en poudre. Il ne se méfiera pas et boira sa mort à notre santé.
Leonhardus accepte d’aller à une mort certaine lors de ce duel, à cette seule condition.

On voit donc que la situation est inversée par rapport au texte de Shakespeare, puisque c'est Leonhardus qui court au suicide pour piéger Hamlet. Il faut dire aussi que Hamlet est surpris lorsque Phantasmo, le fou de la Cour (Osric) vient lui annoncer le duel:

A la scène 3, de l'acte 5, Hamlet et Horatio voient arriver Phantasmo, un imbécile bien plus cher au roi qu’au prince lui-même. Il leur annonce que le roi a parié sur le prince et Leonhardus, dans un duel à la rapière, que le premier qui touchera l’autre deux fois gagnera un cheval barbe blanc.
Hamlet n’en croit pas ses oreilles et se demande si l’on a pas joué une farce à ce rustre de Leonhardus, car on peut lui faire accroire ce que l’on veut – ce qu’il ne manque pas de faire avec Phantasmo à qui il fait remarquer que la température est alternativement froide, tempérée, chaude. Il renvoie Phantasmo vers le roi à qui il doit annoncer sa visite pour tantôt. Phantasmo s’exécute.
Hamlet fait un malaise, saigne du nez et s’évanouit. Horatio le ramène à lui, et pressent un mauvais présage. Qu’à cela ne tienne Hamlet ira quand même à la Cour.

Le duel a lieu à la dernière scène, la scène 6 de l'acte 5. La reine arrive pour annoncer un nouveau malheur : Ophélie s’est précipité du haut d’une colline pour se donner la mort. L’infortuné Leonhardus souhaite mourir de douleur. Le roi lui rappelle qu’il lui suffit d’entamer le combat…Il demande à Phantasmo d’apporter les rapières et à Horatio d’arbitrer.
Hamlet demande à Leonhardus de l’excuser s’il commet quelques fautes, car cela fait bien longtemps qu’il s’est entraîné et se demande qui des deux fera porter la marotte à l’autre.
(Ils ferraillent selon les règles pendant le premier assaut. Leonhardus est touché).
Leonhardus réclame la revanche.
(Il laisse choir la rapière et ramasse la lame empoisonnée qui se trouvait à sa portée. Il pousse au prince une botte en quarte ; Hamlet la pare ; les deux armes tombent ; chacun se précipite vers la sienne ; mais Hamlet saisit l’épée empoisonnée et en frappe mortellement Leonhardus.)
Leonhardus reconnaît le coup mortel et mérite le salaire. Hamlet s’étonne de l’avoir blessé. Le roi invite les duelliste à se désaltérer avec la coupe empoisonnée. En a parte, il espère qu’ils boiront tous deux pour effacer toute trace de la traîtrise.
Mais Leonhardus lui révèle que la lame dans sa main est empoisonnée selon la volonté du roi. Le roi les invite à nouveau à boire une rasade. La reine prend la coupe des mains de Phantasmo et boit.
Le roi se trouve devant la reine qui se meurt. Hamlet le frappe par derrière, en disant : « Et toi, tyran, tu l’accompagneras dans la mort. » Il pardonne à Leonhardus. « Quand à ce tyran, je souhaite qu’il lave en enfer ses noirs pêchés ! » Il exprime ses regrets à Horatio d’avoir tué Leonhardus et constate une blessure au bras. « Rien ne m’afflige plus que le sort de ma mère. Pourtant, elle aussi a mérité cette mort pour ses pêchés ! Mais dites moi qui lui a donné la coupe contenant le poison ? »
Phantasmo se dénonce. Hamlet le tue. Hamlet s’effondre. Avant de mourir, il demande à Horatio de porter la couronne à son cousin Fortinbras en Norvège pour que le royaume ne tombe pas en d’autres mains.

Pourriez-vous me traduire en langage courant ce que signifie: "il pousse au prince une botte en quarte", parée par Hamlet a tel point que les deux armes tombent?
Croyez-vous que ces indications pourraient permettre la création d'un nouveau duel? A moins qu'il n'existe déjà. Dans les films que j'ai visionnés (Laurence Olivier, Kenneth Branagh, Franco Zeffirelli, Peter Brook, Rodney Bennett, Grigori Kozintsev) l'épée mortelle est introduite avant les assauts, par exemple.

Il y a vraiment plein de choses intéressantes dans cette pièce et qui alimentent, en autre, mon hypothèse du matricide:
- (usage des armes à feu pour éliminer l'escorte pour l'Angleterre; étonnant chez Shakespeare, non?).
Ophélie est clairement importunée par Hamlet. Elle est moins décrite comme l'être aimée même si son délire est destiné à Phantasmo qui lui rétorque: on va bien s'amuser avec ce ménage à trois!
- C'est Hamlet qui demande un entretien à sa mère après la représentation.
- Ophélie se suicide, alors que chez Shakespeare ce n'est pas aussi évident (voir mon analyse sur mon blog)
- Phantasmo est tué, ce qui peut expliquer le choix de la mort d'Osric dans le film de Branagh, peut-être.
- Fortinbras est le cousin d'Hamlet, ce qui pourrait alimenter les choix de Shakespeare et la thèse de l'illégitimité d'Hamlet défendue par Steve Sohmer (voir ma traduction sur mon blog).

Je dois faire une analyse beaucoup plus poussée pour la question de la tragédie de la vengeance qui conduit au matricide. Car on retrouve des éléments complexes dans le texte de Shakespeare comme la culpabilité et l'implication de Horatio:
- Horatio (un soldat) est l'arbitre du duel et il ne voit pas la blessure au bras d'Hamlet.
- Dans ce texte, Hamlet se remémore une légende où une femme avoue son crime lors d'une représentation de son forfait. La souricière est ici interrompue par le roi juste après la pantomime. On ne sait s'il l'interrompe parce qu'il comprend où Hamlet veut en venir: le matricide ou le fratricide!
- Hamlet tue le roi, alors qu'il s'est interposé entre lui et la reine. On comprend pas bien ce que vient faire cette précision dans le texte sur les positions des acteurs.

Bref j'ai du grain à moudre, et en attendant, j'aimerais bien votre avis sur le duel en particulier.

A vos claviers!

Avec toute ma reconnaissance, Sylvain Couprie.

Réponse de Michael Müller-Hewer, le 19 juin 2013

Bonjour,
Comme toujours votre mail est chargé d'informations et plein de questions. Il va me falloir un peu de temps pour la réponse.

Mais vite fait pour votre question la plus facile : "Pourriez-vous me traduire en langage courant ce que signifie: "il pousse au prince une botte en quarte", parée par Hamlet a tel point que les deux armes tombent?"
Comme M. Delannoy vous a déjà expliqué, une botte est un coup porté avec l'épée, ici à l'occasion avec la pointe. "Pousser une botte" signifie ici de faire une fente, c'est -à-dire, projeter la pointe en avant dans le but de toucher. "En quarte" désigne la cible sur l'adversaire. Plus précisément, l'attaque se fait à l'intérieur des armes (à la gauche de l'épée d'Hamlet, qui tient son épée à la main droite) vers le coté cœur de son corps. La défense la plus directe est effectivement une parade de quarte. On va à l’encontre de l’épée adverse et on pousse la lame en-dehors de la cible. Cette parade peut se faire très violemment, ce qui peut faire sortir l’arme de la main de l’adversaire. Que les deux combattants perdent leurs épées est quand-même très invraisemblable, surtout pour des combattant affirmés.

Pour le reste il me faut un peu plus de temps.
Félicitation pour votre travail sur le duel. De ma connaissance il n'existe pas une recherche aussi pousser autour de cette scène.

Meilleurs salutations
Michael Müller-Hewer

Message du 19 juin 2013 : comparaison des deux Hamlet

Bonsoir,

Et merci pour cette réponse qui nous donne quelques éléments de compréhension. Je vois que vous aussi vous vous étonnez que les deux armes tombent.
1 - Après vous avoir envoyé ce mail, je me suis dit que, peut-être, je me posais trop de questions et, qu'au fond, c'est du théâtre: il faut qu'il en soit ainsi et que pour les auteurs, Shakespeare ou l'auteur du fratricide puni, il doit y avoir échange des épées; que peut-être les indications données dans le fratricide puni: la botte en quarte, étaient des indications à minima et que le duel pouvait être plus complexe, donc plus technique. Libre aux acteurs, metteurs en scènes d'enrichir le duel et de maintenir le suspens.
2 - Mais déjà le développement de la botte en question, aboutit à une parade violente qui peut désarmer celui qui attaque.
3 - Pour expliquer l'échange des armes, j'ai une hypothèse qui vaut ce qu'elle vaut: c'est qu'il y a là parterre une épée qui traîne et qui n'a rien à faire là, sinon provoquer Hamlet: il sait que c'est un piège, que le roi a déjà attenté à sa vie... Il laisse peut-être tomber son épée pour voir où cela va mener ou, pour le dire autrement, pour déclencher le mécanisme du piège. Ce phénomène se produit chez Shakespeare, puisque Hamlet à deux reprises provoque Laërte et la blessure en traître assénée par Laërte. Mais laisser choir son épée le rend vulnérable? A mois que le "code" veuille que les deux adversaires reprennent leurs armes avant de réengager le combat?
4 - Le texte du fratricide puni est claire: Leonhardus est une nullité comparativement à la fine lame qu'est Hamlet; et Leonhardus accepte d'aller à une mort certaine qu'à la condition qu'Hamlet périsse par la coupe empoisonnée qui lui est destinée. Ce n'est pas banal comme situation. Shakespeare en a fait autre chose, Hamlet seul court au suicide. Le jeu est là pour lui donner toutes les données/coordonnées du piège:
Dans le fratricide puni:
- ce qui est grotesque, c'est la proposition d'un duel non équitable - Hamlet s'en étonne;
- une épée traîne, Leonhardus s'en saisit;
- Le roi insiste lourdement pour qu'il boive la coupe, alors que le piège est révélé.
Dans le duel de Shakespeare:
- le pari semble grotesque du point de vue du décompte des points (selon les versions), mais également du point de vue des enjeux: la vie du prince vaut quelques chevaux ou quelques épées quand la vie de Fortinbras lui avait valu des terres danoises (un duché quoi!). Rappelons que Laërte serait en droit de réclamer la couronne. Malheureusement il va préférer la perfidie, la méthode sournoise à la méthode frontale.
- Le choix de l'épée fait par Laërte semble tout indiquer une intrigue.
- Les propos de Claudius qui se montre serein en pariant sur Hamlet déstabilisent Laërte qui avait la tête gonflée par les dires d'un certain Lamord.
- Il y a dans le double piège une intention voilée d'éliminer deux adversaires (l'épée pour Laërte, la coupe pour Hamlet), alors qu'elle est claire dans le fratricide puni par les propos dit en a parte par le roi: pourvu qu'ils boivent tous les deux la coupe.

5 - Dans le fratricide puni, le roi insiste tellement lourdement pour obliger Hamlet à boire, quand bien même Leonhardus vient d'être blessé et de le dénoncer comme l'instigateur de ce piège, à tel point que la reine boit la coupe empoisonnée. Ce passage là est énigmatique dans le fratricide puni comme chez Shakespeare. Laurence Olivier et Franco Zeffirelli ont voulu nous montrer une reine qui boit plus pour protéger Hamlet que pour se disculper (une sorte d'abréaction pour parler le langage psychanalytique). Et c'est bien cette deuxième éventualité qui me fait parler de matricide à propos d'Hamlet (il la laisse boire la coupe jusqu'à la lie).
6 - Il reste le rôle que va jouer Horatio dans le fratricide puni: il est l'arbitre et ne voit pas la blessure d'Hamlet, soit parce qu'Hamlet lui-même ne la voit pas dans le feu de l'action, soit parce qu'il n'est pas neutre dans cette affaire.
- Dans le fratricide puni, l'implication de Horatio fait que deux touches sont accordées à Hamlet et font de lui, le vainqueur. Il faut remarquer que le pari original proposé par le roi est de trois touches. Il est ramené à deux lorsque Hamlet est invité à se battre en duel. Est-ce à cause de l'inégalité des adversaires? Est-ce un indication supplémentaire de supercherie? un duel se devant d'être égal et plus long?
- Dans le duel de Shakespeare Osric ne voit pas la blessure d'Hamlet, soit à cause du feu de l'action, soit parce que concéder la touche ferait reconnaître sa complicité dans l'introduction d'une arme démouchetée ou son implication dans un duel truqué (tout le monde veut la mort du Prince).
Cette question de l'arbitrage est délicate, ou tout du moins son analyse ou sa compréhension. Mais lorsque Osric dit "rien de part et d'autre", il est peut-être dans le déni de ce qui vient de se produire. S'en suit le corps à corps et l'échange des épées (l'arrachement mutuel de St Didier peut être opportun). Il est possible aussi que les blessures mutuelles se soient produites dans le corps à corps, avant et après l'échange des épées).

Voilà, j'ai été un peu long. Je synthétise aussi pour moi-même. Mais je trouve que ce texte, le fratricide puni est intéressant en lui-même, et pourrait bien éclairer le glissement vers le Hamlet de Shakespeare et sa réputation de tragédie.

Au plaisir de vous lire.
Sylvain

Petit PS du 20 juin 2013 :

Bonsoir,
J'ai oublié de vous demander: feinte ou fente lorsque vous dites: "Pousser une botte" signifie ici de faire une fente
J'en profite pour dire que c'est seulement dans le film de Laurence Olivier que la reine comprend que la coupe est empoisonnée (de mémoire) mais en tout cas pas dans le film de Zeffirelli avec Mel Gibson.
Je voulais vous demander également un petit coup de main pour la traduction de James Hallam (texte joint)
- il y a un mot que je ne comprends pas: foyning
- des phrases en surgras pour lesquelles je doute.

Merci de votre aide.
Pensez-vous que je puisse mettre la traduction sur mon blog sans nuire à son auteur?

Cordialement à vous
Sylvain


Réponse Michaël Müller-Hewer, le 20 juin 2013

Bonjour,
je n'arrive pas à localiser le mot "Foyning" dans le texte de Silver, comme ça le terme ne me dit rien ...
Par contre j'ai retrouvé la référence sur le Blacke-Fryers dans le texte de Silver : "The first was Signore Rocko: the second was Ieronimo, that was Signior Rocko his boy, that thaught Gentlemen in the Blacke-Fryers ... (Page 64, A Briefe Note of three Italian Teachers of Offence)

"Pousser une botte", on parle bien de la fente ! La feinte est une "fausse attaque" dans le but de provoquer une réaction chez l'adversaire ...
FENTE - action consistant en une détente de la jambe arrière combinée avec une projection de la jambe avant.
FEINTE - Simulacre d'une action destinée à tirer parti d'une action ou d'une absence de réaction adverse. (Fencing, Bac H. Tau 1994)

La plupart des combats utilisant maintenant des épées, font d’un simple désarmement un possible échange. Cela introduit l'idée que l’échange des épées était accidentel, quand les armes commençaient à voler autour de la scène - il serait facile de prendre une lame pour une autre dans le feu de l'action. Mais avec les connaissances que Shakespeare nous a laissées sur le duel qui doit être joué avec des rapières et non avec des épées (une lame encore à inventer à l'époque), il est alors logique de dépasser l’échange accidentel, quand la «saisie de la main gauche» est plus accessible dans le texte (Jackson, 286-289).

Réponse : Ce paragraphe fait allusion à la forme de la lame d'épée. En français le mot épée ne fait pas la différence entre une épée médiévale ou une épée de compétition, or les différences sont énormes. Les rapières de l'époque étaient équipées avec des lames de section losangique avec une longueur entre 100 à 120cm, ce qui donne à l'arme un poids entre 800 à1200g. Les lames des épées moderne, habituellement utilisées au théâtre, sont de section triangulaire, plus courte et plus légère. La forme, le poids et la longueur de la lame définissent les actions possible avec une arme. Une lame moderne au niveau vitesse et maniabilité a d'autres possibilités qu'une lame lourde de rapière. Et des actions courants avec une rapière lourde ne sont pas possible avec une lame moderne.

Je traduis la citation de Bacon à la même façon.

1 - Après vous avoir envoyé ce mail, je me suis dit que, peut-être, je me posais trop de questions et, qu'au fond, c'est du théâtre: il faut qu'il en soit ainsi et que pour les auteurs, Shakespeare ou l'auteur du fratricide puni, il doit y avoir échange des épées; que peut-être les indications données dans le fratricide puni: la botte en quarte, étaient des indications à minima et que le duel pouvait être plus complexe, donc plus technique. Libre aux acteurs, metteurs en scènes d'enrichir le duel et de maintenir le suspens.

Réponse : Voilà, je pense que là vous avez trouvé une réponse pour beaucoup de contradictions ...

3 - Pour expliquer l'échange des armes, j'ai une hypothèse qui vaut ce qu'elle vaut: c'est qu'il y a là parterre une épée qui traîne et qui n'a rien à faire là, sinon provoquer Hamlet: il sait que c'est un piège, que le roi a déjà attenté à sa vie... Il laisse peut-être tomber son épée pour voir où cela va mener ou, pour le dire autrement, pour déclencher le mécanisme du piège. Ce phénomène se produit chez Shakespeare, puisque Hamlet à deux reprises provoque Laërte et la blessure en traître assénée par Laërte. Mais laisser choir son épée le rend vulnérable? A mois que le "code" veuille que les deux adversaires reprennent leurs armes avant de réengager le combat?

Réponse : Une épée ne peu pas "trainer" quelque part par terre. Soi Laërtes arrive avec l'arme préparée ou bien quelqu’un lui donne cette arme. Dans le texte de Shakespeare l'échange est proposé et n'est pas possible sans la complicité d'Osric, l'arbitre ! Nous sommes aussi dans un contexte de duel courtois, on peut penser qu'on autorise son adversaire à ramasser son arme tombée.

Meilleurs salutations
Michael Müller-Hewer

Ps.: Un petit détail que j'ai oublié ...
L'utilisation de la dague comme mains gauche, qui, pour moi, ne sort pas du texte, limite toute action de la main gauche à la manipulation de la dague. Alors aucun saisissement de l'épée adverse avec la main gauche est possible, l'échange des armes devient très compliqué ...

Mail du 22 juin 2013 : coïncidences

Cher Monsieur,

Vos remarques sur l'épée qui ne peut traîner parterre sont pertinentes, j'ai relu le passage du fratricide puni où il est question pour Leonhardus de laisser tomber son épée pour en saisir une autre affûtée et empoisonnée, il n'est pas dit qu'il devra laisser traîner l'épée mortelle. C'est moi qui ait inféré cette idée, pensant que l'adversaire ne devait pas s'apercevoir de l'échange de l'épée. Leonhardus peut donc tout à fait se saisir d'une arme sur un présentoir.
Ce qui peut paraître étrange pour l'adversaire, c'est que Leonhardus laisse choir son épée aussi facilement - cependant il le considère comme un piètre escrimeur, ce qu'il est à priori.

Je vous remercie pour vos précisions sur le terme technique employé, "fente", et "feinte" donc, qui rendent le texte plus parlant. J'en relève deux autres dans le texte de James Hallam: point et coupe (le deuxième étant plus compréhensible)

1 - tandis que l'épée était utilisée principalement pour les manœuvres de débroussaillage, l'utilisation du point n'étant pas encore entièrement compris

2 - un mouvement de poussée, par opposition à une coupe, était plus économique et plus utile en combat

La connaissance sur les épées que vous m'apportez me fait penser à cette question de l'échange accidentel. Je suppose que les opportunités d'arrachement mutuel sont rares dans un duel, c'est peut-être en cela qu'il faut le considérer comme "accidentel" ou exceptionnel? A moins qu'un escrimeur confirmé soit en capacité de le faire à la demande?

En tout cas cette réponse du duel sportif ou courtois me laisse toujours perplexe. C'est bien comme cela qu'il nous est présenté. Mais que ce soit la Cour, ou les deux adversaires, est-on certain que tout le monde soit dupe? Dans le Hamlet de Shakespeare,
- La Cour sait que Hamlet a été exilé pour le meurtre de Polonius. La Cour sait que Laërte est rentré de France en ayant levé une armée et réclame la Couronne...
- Hamlet sait que le roi a voulu l'éliminer et qu'il n'hésitera pas à recommencer...
- Laërte est près à venger son père et sa soeur à l'église...
On est en droit de se demander si tout le monde ne s'attend pas à ce que ça dérape au cours du duel, et pas forcément au profit d'Hamlet que tout le monde considère ou veut faire passer pour fou. Je me demande si ce duel courtois est en capacité de rétablir la paix entre Hamlet et Laërte, par opposition au duel à mort (Laërte dit bien que sur la plan de l'honneur, il n'y a pas réparation)? D'où ma discussion sur les enjeux du pari, l'arbitrage, le déroulement du duel, qui sont autant d'indices échangés entre les protagonistes et d'informations livrées au spectateur.

Enfin une dernière remarque: votre retour au texte de Silver m'a surpris. Personnellement, je ne suis pas en capacité de le faire. En tout cas, le nom de Hiéronimo a retenu mon attention, parce que c'est le nom d'un personnage principal de la tragédie espagnole de Kyd - texte que je ne connais pas encore! Ces coïncidences sont toujours intéressantes. C'est comme l'étonnante consonance entre Yorick (crâne du bouffon du roi exhumé lorsqu' est creusée la tombe d'Ophélie) et le crâne exhumé récemment de Richard 3 (un York). C'est comme Hamlet qui fait jurer par trois fois sur son épée (rien vu, rien entendu, rien à dire) après la rencontre avec le spectre alors que dans le Fratricide puni, ils jurent plusieurs fois à des endroits différents jusqu'à ce que Hamlet comprenne que ce n'est pas un écho mais la voix du spectre, dessous terre, et que le spectre ne veut pas que ses compagnons d'armes parlent.

Je vous remercie de votre attention. Je suis en congé pour deux semaines. Je vais relire nos échanges, notamment les derniers sur le placement des acteurs au théâtre du globe, une information restée en suspens dans le mien.

A bientôt
Sylvain

PS du 22/06/13 : textes de Georges Silver

Deux textes de George Silver sont accessibles à partir de http://extra.shu.ac.uk/emls/emlsetxt.html#stexts
Liens directs:
http://www.pbm.com/~lindahl/brief.html
http://www.pbm.com/~lindahl/paradoxes.html

Sylvain


12 juillet 2013 : Chez Yaughan

Cher Michael Müller-Hewer,

J'ai plusieurs choses à vous dire et à vous demander:
- suite à votre remarque sur l'échange des épées dans la pièce "Le fratricide puni", comme quoi la lame mortelle ne pouvait pas traîner par terre comme je le suggérai, j'ai cru effectivement que j'avais inféré ce jeu de scène en réalisant mon résumé de la pièce. Mais en fait en relisant le passage, il est bien écrit en didascalie: "Il laisse choir la rapière et ramasse la lame empoisonnée qui se trouvait à sa portée. Il pousse au Prince une botte en quarte; Hamlet la pare; les deux armes tombent; chacun se précipite vers la sienne; mais Hamlet saisit l'épée empoisonnée et en frappe mortellement Leonhardus."
Il y est bien dit qu'il "ramasse" l'épée, j'en ai donc déduit que le jeu de scène prévoyait que la lame traîne par terre. Qu'en pensez-vous? (Je rappelle qu'à l'origine ce texte est en Allemand - la traduction est de George Roth. Je n'ai pas accès au texte allemand. Une traduction existe d'Anne Cueno mais elle est accessible via la Suisse, si je ne m'abuse. Il est possible d'après l'introduction de Gaston Baty qu'il existe un autre arrangement de cette scène puisque les troupes ambulantes adaptaient le texte ou l'interprétation en fonction des acteurs.)

- suite à ce mail vous avez joint un PS pour me dire que l'utilisation de la dague comme main gauche rendait l'échange des épées encore plus compliqué. C'est peut-être l'intérêt du texte de James Hallam? En tout cas vous avez fait une remarque qui me pose question: pour vous la dague est indissociable du texte Shakespearien. Or selon les traductions on a droit à "Fleurets et gantelets". Ca dépendrait des différents quartos? En fait selon les besoins de la scène, il n'y a qu'à opter pour l'une ou l'autre version? Liberté aux acteurs et metteurs en scènes?

- Je travaille à l'écriture d'une pièce de théâtre. Je l'ai bouclée en reproduisant la façon très rapide et très succincte dont est décrit l'échange des épées dans le fratricide puni pour me faciliter la tâche. Par contre, je me suis dit que c'était dommage que le texte de la pièce ne puisse reproduire la description du duel de manière technique et compréhensible pour le lecteur (intérêt littéraire donc). Or ça, je ne suis pas en capacité de le faire. Seriez-vous prêt à m'aider dans cette démarche. Je vous explique mon histoire. Vous savez qu'à la scène du cimetière l'un des fossoyeurs dit à l'autre: "-va me chercher du vin chez Yaughan" Mon idée a été de raconter l'histoire d'après ce qui se passe chez Yaughan ce 14 février 1602. Il y a donc plein d'évènements vécus de l'intérieur de la taverne, exclusivement, en une seule journée. Du coup à la fin Horatio arrive chez Yaughan et raconte ce qui vient de se passer pendant le duel, comme certains clients ne comprennent pas, Lamord le Normand qui se trouve là, reconstitue la scène racontée par Horatio (intérêt scénique de reproduire le duel hamlétien dans la pièce "Chez Yaughan").

Voilà pour mes questions. J'ai toujours autant de plaisir à vous lire.
Sylvain

Ps: hier j'ai regardé le film Troie de Petersen (avec Brad Pitt dans le rôle d'Achille) sur la 14 (TNT). Il y a une scène de duel magnifique à la fin lorsque Achille tue Hector, je ne sais pas ce que vaut la scène pour un escrimeur averti mais c'est en tout cas une mise en scène, que dis-je une mise en danse magnifique. Je ne sais pas si vous connaissez... probablement.

14 juillet 2013 : duel du fratricide puni

Cher Sylvain,
- Qu'il ramasse l'épée ne veut pas dire qu'elle traînait par terre ... j'ai plutôt tendance à croire qu'elle servait comme épée d'échange s'il y a casse. Un peu comme aujourd'hui quand les tireurs arrivent avec plusieurs épées sur la piste ... Il se peu qu'elle était déposée par exemple sur une table, prête à être utiliser. Pour, dans l'action suivante, les deux escrimeurs perdent leurs armes, il faut un choque très violent. C'est imaginable, puisque Leonhardus est un mauvais escrimeur. Dans son stress et la peur il est envisageable que Leo se jette sans retenue sur Hamlet, qui avance sur lui. Alors on peut créer une situation où les deux coquilles (gardes) des épées s'entrechoque violemment ce qui peut entraîner une perte des épées.
- Je ne savais pas que Anne Cuneo avait travaillé sur un texte allemand. En tout cas, je n'ai pas trouvé ce texte. J'ai travaillé avec elle sur la mise en scène de "La Naissance d'Hamlet" . Dans ce texte-là elle fait référence à " la Tragédie espagnole" de Thomas Kyd, que je ne connais pas plus, mais il semble que c'est une version d'Hamlet antérieur de Shakespeare.
- Pour moi, une dague main gauche n'est pas décrit dans le texte ! Je suis convaincu qu'ils s'affrontent à l'épée seule. Et je me pose la question, quelle genre d'épée ils utilisent. Plusieurs types d'épée sont courant à l'époque de Shakespeare, elles varient entre 100 cm et 140 cm de longueur, certains sont plus apte pour les coups de taille, certains sont plus appropriées aux coups d'estoc. Selon les armes utilisées, ça peut changer les données. J'attache qqs photos d'épée de l'époque ...
- Concernant une description du combat pour la taverne, je suis partant pour vous aider. Ca pourrais être très intéressant d'essayer de trouver un langage plus comun pour décrire l'affrontement.
- Ce duel entre Hector et Achille dans le film Troie est un des meilleurs duels filmés que je connais. Il m'a bien inspiré pour mon travail avec les Celtes ici à Lausanne.
Salutations
Michael


14 juillet 2013 : Chez Yaughan

Cher Michael,

Merci pour ces précisions, je prends note: qu'il ramasse l'épée ne veut pas dire par terre.

Merci également pour ces photos, c'est impressionnant. Je me pose une question bête, à laquelle vous saurez sûrement répondre: est-ce que le choix de l'épée ne dépend pas de la maturité et de l'âge de l'escrimeur? Comme lorsque l'on va faire du ski, on choisit ses skis en fonction de sa taille et de son expérience!
Hier je visionnais, pour la première fois le Roméo et Juliette de Franco Zeffirelli. Les duels sont pratiqués par des adolescents. Les armes utilisées semblent plus être des armes d'estoc que de taille - dites-moi si je me trompe? Elles me paraissent courtes pour la maniabilité. Et portée à la ceinture, si c'est une personne de petite taille, ne vaut-il mieux pas qu'elle ne touche pas le sol?
Ce film est très intéressant pour d'autres raisons: pour les costumes, pour la danse, etc. et puis pour le rôle du prêtre, car le film de Zeffirelli, contrairement à celui de Baz Luhrmann, nous montre un prêtre qui fabrique sa potion - ce qui n'est pas très catholique tout ça.

Après cette parenthèse je vous confirme que Anne Cueno a fait sa propre traduction du "fratricide puni". (Personnellement, j'ai acheté la revue théâtrale N°3 à un particulier sur le net, voir priceminister ou amazon ou autre): http://www.campiche.ch/pages/campoche_oeuvres/hamlet.html

Je vous joins la partie de ma pièce, où Horatio raconte le duel, vous pourrez ainsi vous faire votre idée. L'intérêt de ma pièce, c'est que le metteur en scène pourrait très bien insérer un vrai duel alors qu'en fait tout est raconté à la taverne. Il peut en être ainsi de la souricière. etc. L'intérêt c'est qu'elle peut aussi rester simple pour être jouée par des jeunes. Avec une originalité, une intrigue, c'est que Will va vouloir empêcher le duel; il va prendre un coup de dague de la part de Marcellus qui veut venger son maître et finir dans les tentures. Si besoin après vos premières impressions, je vous fais parvenir le texte complet qui ne demande qu'à s'étoffer.

Amicalement
Sylvain