HORATIO

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04/12/2011

Le spectacle imaginaire de Dover Wilson

Michelle Melville a mis le doute en moi et m’a incité à lire Dover Wilson. J’aurais du faire cette démarche, il y a dix ans déjà. C’est ainsi ! Je me suis donc empressé d’emprunter à la bibliothèque son livre Vous avez dit Hamlet ? Et l’avant propos de Patrice Chéreau et Claude Stratz m’informe déjà que j’ai raison d’insister sur certains points fondamentaux. J’ai soulevé un lièvre et il n’est nul besoin d’être un scientifique, un metteur en scène pour s’apercevoir que c’est autre chose qui se joue dans cette pièce, autre chose qu’une vengeance due à l’usurpation du pouvoir.

Ma tâche va être difficile quand même.

Patrice Chéreau et Claude Stratz nous expliquent que Dover Wilson poursuit deux objectifs qui aident le metteur en scène d’aujourd’hui :
- Restaurer le sens oublié du spectacle élisabéthain : ce que la pièce racontait au public de la Renaissance, l’effet concret et brutal de la parole proférée.
- Créer son propre spectacle idéal sur la base de ce que le savoir a permis de retrouver : comment créer l’effet de surprise alors que l’esprit moderne connaît la pièce ?

La méthode de l’universitaire s’apparente à celle du metteur en scène, nous disent Patrice Chéreau et Claude Stratz. Dover Wilson par sa recherche met en évidence trois points de vue théologiques de l’époque sur les spectres. Ces philosophies divergentes qui sont matérialisées par les points de vue des trois témoins de l’apparition permettent d’établir la crédibilité du fantôme :
- Bernardo et Marcellus : croire aux fantômes ;
- Hamlet : croire mais s’interroger sur leur nature ;
- Horatio : douter qu’ils soient susceptibles de matérialisation ;

Dover Wilson insiste à plusieurs reprises sur le fait que Shakespeare n’avait pas à développer (inceste, scandale) pour susciter des émotions chez le spectateur. Force est de reconnaître qu’aujourd’hui, il faut la puissance des universitaires, des psychiatres pour nous faire admettre que le vieux Hamlet a bien été assassiné.

Aujourd’hui on en est encore à se poser ces questions. Je me suis moi-même laisser prendre au piège en me demandant quel statut donner au Ghost (dans la perspective d’une lecture et d’une écriture nouvelle) : fantôme ou hallucination ? Ce n’est pas la bonne question. L’heure n’est pas à cette question. Ce qu’occulte la question, c’est que seul Hamlet (et le spectateur) a un échange avec le Gosht. Il est impossible de se prononcer sur le savoir des deux soldats et de Horatio. Ce qui est sûr, c’est que Hamlet les menace de mort s’ils parlent.

Il y a fort à parier que tous les efforts de Restauration déployés par Dover Wilson occultent des points bien plus importants. Que ce détournement du regard du spectateur ne vise qu’un maintien de l’ordre établi et masque en fait : un matricide.

Patrice Chéreau et Claude Stratz nous donnent ces points d’achoppement. Dover Wilson démontre des « évidences » :
- L’état du Danemark renvoie à ce que le public connaît : l’Angleterre de la Reine Elisabeth ;
- La relation que Claudius entretient avec Gertrude est une relation incestueuse ;
- La tragédie de Hamlet et le drame de l’usurpation du pouvoir ;
- Le masque de la folie chez Hamlet est là pour masquer la folie véritable.

Avec ce dernier point, on en arrive à ce serpent qui se mord la queue ; au critique littéraire qui retombe sur ses pattes par une pirouette parce que son analyse l’a conduit dans une impasse. Dover Wilson en arrive à des conclusions invérifiables et indémontrables tellement le sujet est épais et dilué dans la prose : la folie masque la folie.

Dover Wilson comme Patrice Chéreau et Claude Stratz, comme des générations de lecteurs et d’acteurs s’interrogent : « pourquoi le fils diffère toujours la vengeance qu’il a promise à son père ». Pourquoi Hamlet ne tue pas ? Tout simplement parce que Hamlet est un personnage de fiction. Personne ne tue dans cette histoire, pas même Shakespeare, pas même le spectateur.

Admettons que cette pièce soit l’expression, l’assouvissement d’un désir. Le mien – c’est peut-être celui de Shakespeare et de tout spectateur pris au piège, fasciné par l’intrigue – c’est de voir Gertrude assassinée.

Je vous entends déjà hurler, mais si Hamlet tue dans cette pièce de théâtre : il tue Polonuis, il tue Laerte et enfin il tue Claudius. Pourquoi alors, Patrice Chéreau et Claude Stratz s’autorisent-ils à écrire le contraire ? Vous allez me répondre : mais il tue malgré lui. Et moi de vous dire : vous vous comportez comme des gens pris en faute. Vous iriez jusqu’à renier votre propre mère.

Car c’est un fait Gertrude se débarrasse de son propre fils en acceptant qu’il parte pour l’Angleterre. Car c’est un fait dans chacun des intervalle ou Hamlet tue, une femme meurt.

Ce qui n’est pas vrai par contre, c’est de dire comme l’écrivent Patrice Chéreau et Clause Stratz : « la pantomime permet de représenter, une première fois, la séquence complète, puisque l’action de la pièce jouée est ensuite interrompue par Claudius juste avant le meurtre ». Le Roi se lève parce que la représentation a été interrompue par Hamlet.

La pantomime est sensée résumer l’assassinat du vieux Roi Hamlet. Claudius devrait réagir à cet affront du jeune Prince.
- Dover Wilson explique cette absence de réaction par le fait que le roi ne voit pas la pantomime ;
- Patrice Chéreau et Claude Stratz répondent : on ne peut pas voir et être vu en même temps, ou encore – comme si ça ne suffisait pas – Claudius est un coriace, il cache ses sentiments.

« La pantomime est limpide, tout le monde l’a comprise, mais personne n’a réagi. » Toute notre attention est portée sur la véracité de la pantomime, comme auparavant elle était portée sur la crédibilité du spectre. Mais nous n’avons aucune certitude sur la culpabilité du Roi et de la Reine – pas même de notre place de spectateur ; alors pour ce qui est des certitudes d’un Horatio ou d’un proche de l’Etat.

Là est le tour de force de Shakespeare : il n’a pas bâti cette pièce sur une presque absence du sujet, un Hamlet qui ne fait pas ce qu’on réclame de lui, comme s’accordent à le dire les critiques ; il a supprimé ce qui fait la tension dramatique, c’est-à-dire : le Savoir quant au meurtre de Claudius, tout en maintenant le suspens.

Pour finir, je retiendrais cette idée de Patrice Chéreau et Claude Stratz : Dover Wilson construit un spectacle imaginaire. Il pense avoir réponse à tout. Finalement il fait des choix arbitraires ; il se trompe. Mais l’œuvre fait de chaque personne qui s’y attelle un véritable metteur en scène.

Présentation de Hamlet à Avignon par Patrice Chéreau (juillet 1988)