16/04/2016
Le vrai faux Hamlet de Gérard Mordillat
Mordillat, Hamet le vrai, éd. Grasset et Fasquelle, 2016.
Webmaster : - Bonjour à vous trois et merci d’avoir bien voulu débattre au sujet du livre de Gérard Mordillat. Je reçois donc Gérard (écrivain), Toussaint (journaliste sur Itélé) et Sylvain (chômeur) lui-même auteur de Chez Yaughan. Toussaint a bien voulu se prêter au jeu du journaliste interviewer à l’occasion de la sortie de Hamlet le vrai. Toussaint, mes lecteurs vous connaissent pour vos émissions sur Itélé. Ils vous ont vu dernièrement à l’occasion des attentats de Bruxelles faire du microtrottoir. Ce n’est pas trop dur d’être un jour avec une casquette de présentateur et le lendemain avec celle de journaliste de terrain ?
Toussaint :- Non pas du tout. Cela me permet de garder contact avec la réalité. Et puis ce jour-là, j’ai pu interviewer un héro des attentats de Bruxelles, ce qui comme vous le savez nous a tristement rappelé les attentats de novembre 2015 à Paris.
Web : - Oui je me souviens, j’ai vu notre héro s’exprimer également sur BFM. Le bagagiste disait la même chose qu’à votre micro, qu’il s’était caché sous son comptoir.
Toussaint : - Bon « héro », le mot est peut-être un peu fort. J’étais sous le coup de l’émotion ; parce que le matin notre journaliste à moto s’était planté en allant seul sur le terrain à cause du stagiaire qui refusait d’aller enquêter, pour un vulgaire problème de mal de dos – la moto vous savez c’est un peu tape cul. C’était un accident stupide, d’une main il conduisait la moto, de l’autre il tenait le micro ; et je l’ai appelé à ce moment là pour un direct. Et Paf, ce chien de journaliste et le stagiaire ont mis la rédaction aux prud’hommes. C’est certain que si la loi El Khomeri passait, la direction n’aurait pas tous ces emmerdements qui complexifient notre travail. Vous voyez je suis au cœur de l’actualité, au cœur de l’action. Pour ce qui est de l’issue de cette actualité, je pense que c’est en bonne voie, parce que normalement un conducteur même journaliste n’a pas à téléphoner en conduisant une moto et le stagiaire devrait s’estimer heureux d’avoir trouvé ce stage.
Web : - C’est vrai ! On leur souhaite un prompt rétablissement. Avant de vous laisser la parole pour cette chronique dédiée à notre invité, je vais présenter Sylvain, puisqu’on se connaît très bien. On est une seule et même personne. Ce qui permet au lecteur de repérer tout de suite le ton donné à cette interview.
Sylvain : - Oui on se connaît. Comme vous l’avez dit je suis chômeur, ou pour parler comme notre ministre : une PSEPI… une Personne Sans Emploi Pour l’Instant. J’ai donc du temps pour lire, écrire, faire mes courses à l’épicerie sociale, encadrer les sorties de l’école car, comme vous le savez : sans parents accompagnateurs pas de sorties possibles. L’école a un peu de mal à fonctionner…
Toussaint : - Ce n’est pas le sujet. Je saisi la perche au bond comme vous le voyez pour revenir au débat qui nous intéresse le livre de Mordillat, Hamlet le vrai.
Sylvain : - C’est le sujet dans la mesure où c’est le genre de livre qui vous dégoute de la littérature…
Toussaint : - Vous allez nous expliquer ça. Mais peut-être que d’abord il nous faut présenter le livre à nos lecteurs. C’est personnellement à l’occasion des manifestations autour du 400ème anniversaire de la mort de Shakespeare que j’ai entendu parler de sa sortie en avril 2016. On pourrait penser à un poisson d’avril mais c’est une enquête tout à fait sérieuse et palpitante que vous nous restituez-là.
Mordillat : - Oui, comme je l’explique dans mon livre dans sa première partie, et comme j’ai pu l’exprimer sur plusieurs antennes de radio comme France-Culture, c’est l’universitaire Gérald Mortimer-Smith qui a découvert des rouleaux écrits à quatre mains par William Shakespeare et Thomas Kyd (NDLR : je ne peux vous restituer l’accent British de Mr Mordillat). Ces rouleaux correspondent aux textes que les acteurs possédaient pour apprendre leur rôle – et correspondent au Ur-Hamlet dont parlent les contemporains de Shakespeare.
Toussaint : - Ah oui, c’est tout de même une sacrée découverte. J’imagine que les chercheurs du monde entier ont du vouloir consulter le document original comme cela s’est produit avec l’exemplaire du Folio authentifié à St Omer en 2014. L’intérêt étant d’y repérer des annotations d’époque.
Mordillat : - En fait cela n’a pas pu se produire avec les rouleaux découverts par Smith, car il est malheureusement mort dans un incendie de sa maison en fumant sa cigarette au lit. Et les rouleaux ont été détruits. Cependant j’ai pu reconstituer le texte du vrai Hamlet sur la base des photocopies qu’il avait envoyées à Graham Stanton de l’université de Cambridge.
Sylvain : - C’est ballot ce qui lui est arrivé, surtout pour les rouleaux. Quand on pense qu’un exemplaire de Quarto ou de Folio vaut quelques millions d’euros. Mais j’aurais plusieurs questions à propos des photocopies qui sont à votre disposition. J’imagine qu’elles représentent un énorme intérêt pour les spécialistes shakespeariens de tous poils.
Mordillat : - Comme je l’explique dans mon livre les originaux étaient en très mauvais état et les photocopies sont difficilement exploitables.
Toussaint : - Visiblement, vous pensez que c’est un canular. Et bien à ce propos, je vous propose d’écouter ce qu’en disent certains Internautes de Sens Critique qui n’hésitent pas à nommer le livre d’Hamlaid levrette ou d’Hamlet le faux.
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Thomas : Oui je suis remonté parce que ce livre est vulgaire. Quiconque a déjà lu Shakespeare ou Kyd ne peut pas mordre une seconde à l’hameçon. Que le mauvais bougre qui a tiré sur ton doigt pour que tu puisses péter cette daube en toute impunité se dénonce. La dernière fois que j’ai eu honte avec un livre, c’était il y a une vingtaine d’années ; j’avais offert à un ami ce que je croyais être un livre de psychologie alors que ce n’était autre qu’un livre de la scientologie.
Toussaint : - C’est intéressant que vous fassiez ce parallèle avec un phénomène sectaire. Qu’est-ce que vous préconisez au juste ?
Thomas : - N’importe quoi ! Un autodafé avec les livres des éditions grasset, de saccager leurs locaux, que les gens se rendent dans les librairies et qu’ils déchirent discrètement les couvertures pour le rendre invendable…
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Mordillat : - On n’a bien compris que le lecteur considérait le livre comme un canular. Comme Claudius, j’aurais envie de lui dire : - Regardez-nous comme un pair.
Sylvain : - Je ne pense pas que ce soit un canular, je pense que c’est un « GROS » canular. Une escroquerie en bande organisée qui mériterait d’être portée devant la justice mais que cela ne se produira pas tellement les citoyens sont harcelés de toute part. Dans la première partie du livre, très romancée, on trouve des informations que l’on trouve dans toutes les biographies ou dans la formidable émission de France Culture, Looking for Shakespeare. Mais par contre aucune allusion au « Hamlet de grand chemin », Hamlet ou le fratricide puni, que certains spécialistes ont voulu attribuer à Kyd ou à Shakespeare. Pour ma part, je pense qu’il n’est pas possible d’attribuer ce Hamlet de grand chemin – dont on trouve une traduction récente sous la plume d’Anne Cunéo dans son Rencontre avec Hamlet - à Shakespeare car dans aucune de ses pièces, les personnages de Shakespeare ne font usage d’armes à feu. Il est même possible que le Fratricide puni soit postérieur aux Hamlet. Par contre sa structure a donnée l’ossature du Hamlet de Shakespeare – ou inversement. Et sa lecture est très intéressante pour les thèses que je défends dans mon blog sur la situation inversée du suicide de Léonhardus (Laërte) dans l’une, et le suicide d’Hamlet dans l’autre ; et la complicité de Gertrude qui évolue avec la pièce (de Q1 à F). D’ailleurs, la chanson de geste de Patmoore parue en 1869 que vous mettez en épilogue du Hamlet le vrai fait probablement référence à ce Fratricide puni découvert au 18ème siècle et attribué à Kyd.
Toussaint : - La fin de votre Hamlet le vrai, où l’on constate que Hamlet ne meurt pas, fait également penser aux adaptations du 18ème siècle. Le romantisme ne supporte pas la mort, et les pièces de Shakespeare sont réécrites. Ecoutons ce qu’en dit Ghislain Muller, c’était le 28 janvier 2013 lors d’échanges de mail :
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Muller : - Bonjour, ce dimanche j’ai dîné avec un avocat russe spécialiste traducteur de Hamlet. Il m’a affirmé qu’au 18ème siècle, une version de Hamlet avait été écrite en comédie dans laquelle personne ne mourrait à la fin. Il m’a offert sa traduction en russe. Lisez-vous le russe ? Cela étant dit, pour comprendre le sens des œuvres de Hamlet, je vous recommande tout particulièrement de lire ma biographie de Shakespeare. (…).
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Toussaint : - Il est aussi fortement recommandé de lire celle de Samuel Shoebaum traduite par Anne-Dominique Balmès. Elle est une réponse aux anti-Stradfordiens qui remettent en cause la paternité des œuvres de Shakespeare. Ecoutons le Pr Schoenbaum sur ce qu’il dit du Hamlet de Mordillat :
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Schoenbaum : - Bonjour, je trouve l’idée de Mr Mordillat intéressante, cette idée d’un rouleau trouvé dans la reliure d’un lexionnaire. Mais elle n’est pas nouvelle. Un libraire de Londres, découvrit en 1953, un bout de papier manuscrit contenant des annotations d’un libraire-éditeur concernant les livres qu’il avait en stock en aout 1603, notamment « Peines d’amour gagnées », et qui servit à fabriquer une charnière au dos d’un volume de sermons.(voir ma biographie p192). Ce qui est ahurissant, c’est de vouloir faire passer ce Hamlet pour un proto-Hamlet.
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Toussaint: - Alors G. Mordillat, Hamlet le vrai, ne serait-ce pas une fiction. Où est le vrai, où est le faux. On sent que vous avez changé de ton dans l’émission de François Busnel, La grande librairie sur France 5, le 28 avril 2016.
Mordillat : - « Cette version écarte tout ce qui est emmerdant » dans Hamlet. « Cette version va droit au but ». Vous aurez remarqué que la structure de la pièce est très simple comparativement à celle de Shakespeare.
Sylvain : - Aussi simple que celle du Fratricide puni. Un élève de 3ème avec une bonne culture générale, aurait pu l’écrire. J’entends par là qu’un élève qui regarde en boucle BFM aurait pu faire dire à Polonius : « Votre fils, se voyant repoussé, pris de délire, pris de folie, a commis contre ma fille un horrible attentat. » (p121). Maintenant si c’est un élève déscolarisé qui regarde en boucle Kamelott, il pourrait faire dire à Hamlet : « comme un joueur qui gage sa dague espérant se refaire, je veux recommencer mon histoire… Je ne suis pas le légendaire qui arracha l’épée où Merlin l’avait plantée, le cœur pure que nulle n’oserait affronter, le croisé, le champion, l’invincible. » (P123).
Mordillat : - Ce ne sont que des mots. Un autre traducteur aurait employé d’autres mots. J’ai attaché beaucoup d’importance à le traduire dans la langue d’aujourd’hui.
Toussaint : - A propos des questions de traduction, comment avez-vous procédé ?
Mordillat : - Comme je l’ai dit au micro de France Culture, j’ai fait le choix de la prose, et j’ai procédé en poète et avec humilité. Il m’a fallu 7 ou 8 dictionnaires, car le sens des mots chez Shakespeare est équivoque. Prenez par exemple le terme « nunnery ». Quand Hamlet dit à Ophélie « va au couvent », ça peut aussi vouloir dire « va au bordel ».
Sylvain : - Oui on la connait. Vous ne faites que répéter ce que vous ont appris des gens sérieux comme André Markowicz. Ce qui est paradoxal, c’est que dans votre pièce, le sens n’est plus du tout équivoque. D’un côté, il y a le spectre qui dit à Hamlet « épargne ta mère » et de l’autre il y a Hamlet qui propose Ophélie à Horatio : « Elle est bête, elle est vertueuse, elle a le sein rond, les hanches larges et le ventre fécond. Elle est belle pour quelques années encore et fera une épouse très convenable. Tu déposeras tes trésors dans son grenier et au bout de neuf mois écoulés il faudra bien que quelqu’un sorte. » (p109) Dans votre pièce Horatio a l’intelligence de refuser en lui rétorquant : « Ordonnez-moi aussi de porter des bottes déjà chaussée » (p109) On sent un grand mépris pour la femme, comme dans cette réplique d’Hamlet à sa mère : « Ne me rebattez pas les oreilles de cette nigaude que j’ai troussée sans autre plaisir que de la trousser, regardez plutôt le tréfonds de votre âme, et craignez que je vous torde le cœur. » (p127) En gros vous nous dites toutes des putes même ma mère. Je ne suis pas certain que ce soit le message de Shakespeare. En tout cas si ce texte est de Kyd, il faudra lui enlever la paternité de La tragédie espagnole. Vous comprenez jusqu’où c’est insultant pour le théâtre élisabéthain de prétendre avoir retrouvé le vrai Hamlet ?
Mordillat : - Mais relisez Shakespeare…
Sylvain : - Mais je m’y emploie, et sa poésie est autrement plus féconde que 3 gouttes de votre sperme. J’en suis convaincu. Tout comme je suis convaincu que vous ne comprenez rien à cette pièce, Vous la dénaturez. Vous fête de la question existentielle d’Hamlet, son fameux « être ou ne pas être », une question sur la vérité.
Mordillat : - Hamlet a une relation perturbée à la vérité. Il la refuse. Il se dérobe devant la vérité : il refuse toute légitimité au remariage de sa mère avec son oncle : il nie le meurtre de Polonius ; il déflore Ophélie ; etc. Et lorsqu’il est coincé, il dit qu’il devrait être fou. Hamlet est un tyran. Et derrière le moraliste se cache un libertin qui s’arroge tous les droits avec Ophélie.
Sylvain : - C’est vrai qu’Hamlet a une relation perturbée à la vérité, parce qu’on la lui refuse. Les fossoyeurs en savent plus que lui sur sa naissance. Il ne nie pas le meurtre de Polonius. Les réactions de sa mère lui indiquent clairement que ce n’est pas le roi qui se cache derrière la tenture. Et il est tout à fait possible d’imaginer qu’il sait Claudius à la chapelle en train de prier. Nous assistons à une projection de tous les analystes qui attribuent leur déni au personnage parce qu’ils n’admettent pas la question du suicide, notamment.
Mordillat : - Je dis bien qu’Ophélie se suicide parce qu’elle a été violée et laissée tombée. Dans son délire elle ne dit pas autre chose. Mais pour ce qui est de la traduction, je dis bien aussi que j’ai traduite la pièce de Kyd dans la langue d’aujourd’hui. « J’ai réinventé une langue d’aujourd’hui ».
Sylvain : - Pour répéter au final des tas d’idées reçues et d’inepties. Il n’y a qu’à voir comment vous déterminez l’âge de tous ces personnages dans cette interview sur France Culture. C’est du grand art : Hamlet est un adolescent, parce que sa mère lui dit « ne te comporte pas en adolescent ». Claudius est le père d’Hamlet, parce qu’il l’appelle « mon fils ». A côté, c’est sûr que les analyses de Steve Roth et Steve Sohmer vont paraître des théories fumeuses. Mais là où la démonstration est encore plus grandiose, c’est que la caution scientifique nous est apportée par une interview de Pierre Bayard – Ô grand psychanalyste devant l’éternel – qui rappelle les incohérences de la pièce puisqu’un jour un certain Dr Greg n’a pas compris la pantomime, et à sa suite le grand shakespearien Dover Wilson – c’est vous dire si Pierre Bayard se réjouit sur France Culture que Mordillat ait retrouvé le texte original. Cela va faire avancer la science (et ses ventes), c’est certain, et rien que pour ça, il y a lieu de lui rendre hommage (sic).
Mordillat : - Mais je suis tout à fait d’accord avec ce que dit Pierre Bayard dans son Enquête sur Hamlet.
Sylvain : - Pas sûr que l’inverse soit vrai et qu’il apprécie de servir de caution morale à cette réécriture. Ceci dit on sent que cette pièce est entièrement déterminée par les analyses de Bayard ou Dover Wilson lorsqu’ils écrivent que Claudius est trop occupé avec Polonius à observer le comportement d’Hamlet envers la fille du conseiller. Cela se vérifie dans Hamlet le vrai, à la scène 27 (p119) lorsque Polonius avoue à la Reine que son cœur saigne non à cause de la souricière mais à cause du fils : « Je ne parle pas de la pièce, madame, je n’ai rien vu. Je veux parler de ma fille. » A moins que Kyd ou Shakespeare aient eu dans leur bibliothèque un exemplaire du livre de Dover Wilson, What Hapen’s in Hamlet ?
Mordillat : - Pierre Bayard a écrit là-dessus. Il défend la thèse qu’Hamlet a assassiné son père après qu’il ait surpris sa relation avec Ophélie.
Sylvain : - Arrêtez de vous foutre de notre gueule. Parce que si les shakespeariens – ceux qui pensent comme moi que Shakespeare est français parce qu’ils ne l’ont jamais lu en anglais – tombent sur certaines répliques, comme celle-ci (p98) : « Mon oncle, le monstre fémelin ». Ils vont s’en donner à cœur joie et nous remplir une bibliothèque, tant il est vrai que le terme est très usité de nos jours dans les cours de récréation. A moins que… A moins que Mr Mordillat ne se défausse en arguant qu’il n’a pas les moyens de se payer le pack office, ce qui lui permettrait de faire passer certains termes pour du néologisme contemporain. Amen. On est en droit de se demander pourquoi les éditeurs ne font plus corriger les manuscrits, pourquoi il n’y a plus d’introductions. J’avais constaté le même problème à la sortie du Fortinbras de Léonard Gaya. Lui au moins, il a eu le mérite de ne pas faire passer sa pièce pour un texte d’époque même s’il a pris la grosse tête en décrétant avoir découvert ce qui s’est vraiment passé à Elseneur. Cela à l’air d’être un vrai problème pour les français : Qui est (le vrai) Hamlet ? Une question que se posait, Maurice Abiteboul, en 2007 (éd. L’Harmattan).
Toussaint : - Justement nous avons eu en ligne l’éditeur qui a bien voulu répondre à quelques questions sur les introductions et la correction des manuscrits.
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Grasset : - Oui, bonjour, et bien comme vous le savez l’édition est en crise. Les éditeurs n’hésitent pas à laisser la plus grande marge de manœuvre à l’auteur, ce qui lui permet de concevoir son livre du début à la fin, jusqu’à la 4ème de couverture.
Toussaint : - L’édition est en crise, vous dites, mais elle l’est à l’époque de Shakespeare. Le Quarto de 1602 est considéré comme une version pirate, obtenue par un libraire avec l’aide d’un sténographe qui avait pris des notes pendant une représentation. Les réactions des lecteurs commencent à se faire virulentes.
Grasset : - Ecoutez, je ne connais pas personnellement Mr Mordillat ; je ne sais pas ce qui me vaut toutes ces critiques mais comme je vous le dit notre politique est de laisser la plus grande latitude à l’auteur, et nous travaillons avec eux sur la base de la confiance réciproque. Maintenant si Mr Mordillat espère faire passer ses notes de frais de restaurant liés à ses recherches à Cambridge, il est certain que nos relations vont s’envenimer. Je vais vous dire, Mr Mordillat m’a assuré que son manuscrit était authentique. Il nous l’a présenté à une période où notre correctrice était en congé maternité – vous n’imaginez pas les problèmes que nous rencontrons avec ces grossesses tardives de femmes quadragénaires. C’est la troisième correctrice remplaçante que nous embauchons depuis le début de l’année, et la dernière nous met aux prud’hommes. C’est certain qu’avec la loi El Khomeri, les procédures seraient considérablement allégées.
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Toussaint : - Mais pourquoi n’avez-vous pas fait superviser votre manuscrit ?
Mordillat : - Il s’agit là d’un problème personnel. Cambridge refuse, c’est vrai, de prendre à sa charge mes notes de frais. Il n’y a plus d’argent pour la recherche.
Toussaint : - Vous auriez pu faire relire votre manuscrit par votre femme de ménage. Elles ne demandent que ça, faire des heures.
Mordillat : - Riez, c’est une réfugiée Syrienne qui parle très mal le français. Par contre, elle est diplômée, et elle parle très bien l’anglais.
Sylvain : - Vous auriez du lui confier la traduction. Elle aurait pu vous alerter sur l’origine de l’expression « duel au premier sang ». Mais c’est peut-être elle qui vous a suggéré le lancé de l’épée pour le meurtre du Roi, pas plus facile à réaliser avec un fleuret du 19ème comme dans le film de Kenneth Branagh qu’avec une rapière. Votre pièce censée dater de la fin du 16ème siècle donc, est une vrai énigme : comment les acteurs jouaient-ils le lancé de l’épée sans prendre le risque de tuer l’acteur. On sent une grande influence du cinéma dans la traduction de ce Hamlet. Dans la scène 7 (p74) où Horatio et Hamlet s’embrassent à pleine bouche, ou encore dans la scène 11 (p82) où Hamlet demande à Ophélie de lui dégrafer sa robe : « Soyez ma camériste, ma mie. Seul je n’y arriverai pas. » On a tout de suite en tête la vision de Tybalt dans le Roméo + Juliette de Baz Luhrmann – avec le respect de l’humain en moins. Je n’avais pas lu ça depuis Gertrude (le cri), d’Howard Barker.
Mordillat : - C’est un fait Hamlet est un libertin qui s’arroge tous les droits avec Ophélie. Laërte met en garde Ophélie et Polonius lui conseille de ne pas revenir avec un nigaud ou, dit plus vulgairement, avec un polichinelle dans le tiroir. Nous avons été trompés par les interprétations. Par exemple Laurence Olivier qui se teint en blonde pour jouer Hamlet alors qu’il a 50 ans, quand le personnage est censé être un adolescent, c’est pathétique.
Toussaint : - Je vous propose d’écouter un enregistrement qui a été réalisé dans la nuit lors d’une séance de spiritisme. Nous avons pu parler avec Laurence Olivier et lui poser des questions sur sa relation d’amour avec Hamlet.
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Toussaint : - Esprit es-tu là ?
Olivier : - Je suis l’esprit de ton père.
Toussaint : - Non, on ne me la fait pas à moi. Nous avions quelques questions à vous poser. Tout d’abord où êtes-vous ?
Olivier : - Au purgatoire pardi. Vous devriez venir, il y a un plongeoir de 50 mètres.
Toussaint : - Dans votre film de 1948, vous mettez en scène deux personnages très proches l’un de l’autre Hamlet et Horatio. Hamlet est-il vraiment un libertin ?
Olivier : - Non. Mais il est tellement facile de jouer sur la confusion des sentiments. Les gens ne font plus la différence entre sexe, désir, amour et amitié. Les prêtres sont les premières victimes de cette confusion, leur désir sexuel irrépressible se reporte sur un objet d’amour sans défense, l’enfant. Je vous assure vous devriez me rejoindre, pas besoin de viagra où je suis.
Toussaint : - Pourquoi avoir fait ce choix d’une relation amoureuse entre Hamlet et Horatio ?
Olivier : - Pour entretenir cette confusion des relations. C’est pour ça qu’Hamlet ajoute « et la femme » lorsqsu’il rétorque à Rosencrantz et Guildenstern, que « l’homme n’a pas de charme pour moi. », pour qu’il n’y ait pas confusion de leur part justement, car il parle de l’homme en général (A2, sc2). Vous devriez me rejoindre, il y a deux beaux Apollon ici.
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Toussaint : - Vous amenez en douceur la question de l’interprétation qui me brûle les lèvres. Vous dites deux choses étranges sur France Culture, d’une part que le Hamlet de Shakespeare n’a jamais été joué, et d’autre part que Hamlet le vrai de Kyd n’a jamais été monté puisqu’on vient de le retrouver. Serait-ce l’aveu d’une supercherie ?
Mordillat : - Je rêverais de pouvoir le mettre en scène ou le filmer pour mettre en scène l’extrême jeunesse des personnages.
Sylvain : - Pardon d’insister, il y a des indices dans le texte qui laissent entendre que Hamlet le vrai a été monté… par Claudius - « Lui que les méchantes langues disaient suppôt de Sodome ». (p93) Si comme certains critiques le disent, la création littéraire est mue par le phantasme, il y a peu d’espoir que l’auteur renie sa foi, pour peu que dans sa jeunesse au séminaire, il n’ait pas sucé que des hosties.
Mordillat : - Sérieusement ! Le Hamlet de Shakespeare n’a jamais été joué, c’est un fait ; car il est tellement long que les metteurs en scènes sont obligés de couper certains passages et de ne garder que des morceaux de choix. Il faut savoir que s’il y a des passages comiques dans Hamlet, c’est parce qu’il y a un acteur comique dans la troupe et qu’il faut lui donner des répliques…
Sylvain : - Vous rationalisez sur ce texte comme certains personnages dépeints par Shakespeare qui n’y entendent rien aux intentions d’Hamlet parce qu’ils savent trop bien où il veut en venir – comme ce vieux Polonius qui se fait raccourcir la barbe parce qu’il n’y entend rien aux longueurs du théâtre. Cela donne des incohérences hallucinantes de médiocrité à cette courte pièce que vous publiez. Hamlet vient de tuer Polonius. Le roi décide de l’envoyer en Angleterre parce qu’on dit « ils sont tous fous là-bas » (p133). C’est logique que le Roi ait un rôle de bouffon dans cette histoire, comme il est logique que dans cette même scène 32, quatre réplique plus loin, seulement quatre réplique, s’annule toute effet dramatique lié à la mort du conseiller Polonius lorsque le Roi propose à la Reine : « N’ayez plus d’alarme à propos de notre fils, et embrassez-moi. »
Mordillat : - La pièce de Shakespeare est bourrée d’incohérences. Tous les spécialistes vous le diront.
Toussaint : - Là on ne peut pas reprocher à Sylvain de pointer les incohérences dans Hamlet le vrai. Celle où l’évêque se lamente d’avoir enterré le Roi Hamlet et marié Claudius et Gertrude dans la même journée (scène 17, p93), alors que votre Kyd fait dire à Ophélie dans la scène 20 (p102) : « Non, pas deux heures mais deux fois deux mois, monseigneur » - ça sent le bricolage d’intellectuel pendant que bobonne fait la cuisine. Excusez le verbiage !
Mordillat : - Ne vous excusez pas. Je retrouve là toute la verve shakespearienne.
Sylvain : - Non, ces mots sont les votre, ça pue aux deux extrémités, « la merde et le sang ». Ce livre a tout l’air d’une profession de foi, la votre, dans ce contexte de guerre de religion de notre époque – ce qui n’est pas pour déplaire à France Culture. Cela commence par les propos de Strudel, soulagé de savoir Hamlet et Horatio loin de Wittemberg : « Ils voulaient bien admettre que notre Seigneur Jésus a été crucifié et que les romains l’ont accusé de vouloir être le Roi des Juifs, mais rien d’autre. Selon eux, les Juifs n’étaient pour rien dans cette affaire, prétendant que Jésus lui-même avait toujours vécu sous la loi, sans autre horizon qu’Israël ! Non seulement ils méconnaissaient la transcendance mais ils proclamaient à qui voulait les entendre que les Saints Evangiles étaient de la littérature ! » (p72) Et Cætera. Un Hamlet qui « jure ne plus vouloir autre chose que scruter les lettres et consacrer sa vie entière à lutter contre ceux qui font violence aux livres sacrés et se réfugient sous l’autorité divine pour produire des fausses doctrines, guidés par leurs seules inventions. » (propos de Horatio, scène 18, p95) On croirait entendre une critique du salafisme dans le contexte du chiisme musulman. Jamais Shakespeare n’aurait fait dire à Strudel (personnage de votre pièce) ou à Hamlet son point de vue sur la réforme. Mais il nous aurait montré plutôt le destin de ces hommes et femmes. C’est probablement pour ça que la profession de foi de John Shakespeare, le père de William, obtenue de prédicateurs Jésuites clandestins, n’a été retrouvée dans la charpente de la maison familiale qu’en 1757 lors de travaux de rénovation. Ce qui, cela dit en passant, alimente les thèses de l’origine juive du Barde. Le célèbre monologue du Hamlet, que vous placez à la fin, n’est autre que votre profession de foi quand pour Hamlet c’est un monologue sur le suicide. Ecoutez plutôt : « Pas à moi. Plutôt la peste ! Rien ne saurait me faire porter fardeau, gémir et suer sous une vie accablante comme les âmes effrayées par l’Eglise. Ces malheureux, ces ignorants, ces pleutres, qui craignent quelque chose après la mort. Un quelque chose inventé par des hommes au nom des Saintes Ecritures mais qui ne sont que des fantaisies morbides pour assoir leur pouvoir. » (p165) Sur France Culture, vous allez même plus loin, vous parlez de l’antisémitisme de Luther. Vous arriveriez presque à nous faire oublier que ce sont ces pleutres que vous méprisez qui se sont révoltés contre la pratique des lettres d’indulgence.
Toussaint : - Vous n’avez aucune indulgence pour Hamlet le vrai.
Sylvain : - Aucune. Je recommanderais plutôt aux enfants de lire Le Gallion de Mordillo. Et à ceux qui comme moi ont eu le malheur d’acheter ce navet et qui auraient ce goût amer dans la bouche, de lui réserver la place la plus haute, sur le composte. Je ne suis pas certain que les héritiers de Shakespeare accueillent cette réécriture avec grand enthousiasme.
Toussaint : - Justement nous avons une réaction d’une héritière spirituelle directe, Lady Bernard, qui n’a pas pu s’empêcher de réagir et de m’informer de cette parution :
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Lady B. : - hello! je suis tombé pile poil sur la polémique, la controverse continue...vive le mystère!!! pourquoi chercher une conviction, vive le doute...vaut mieux le rêve que la réalité. Je suis ravi d'alimenter le débat.
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Web : Eh bien, on a encore assisté à de la branlette d’Esprits. Pour parler la langue d’un élève de CM2, j’aurais envie de vous répondre Mr Mordillat : MITO. Il aurait été tellement plus honnête de présenter ce livre comme une tentative d’écrire un proto-Hamlet, venant de la part de quelqu’un qui dit sur France-Inter à qui veut l’entendre que les politiciens sont constamment dans la duperie. En tout cas s’il prenait l’envie à Mr Mordillat de demander à être excusé. Je m’y refuse. Un salopard excusé à une fâcheuse tendance à recommencer. En espérant que ce débat nous aura tirés vers le haut. Vous l’aurez bien compris, cet entretien est une fiction. Toute ressemblance avec des faits ou des personnages existants est volontaire et s’autorise du droit d’agir et de s’exprimer.
20:27 Publié dans Faux H de Mordillat, PEQUEL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mordillat | Facebook