HORATIO

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17/06/2012

Hamlet de Kozintsev (1964)

Hamlet, de Grigori Kozintsev (noir et blanc, 1964)
Bach films, 2006.


Ce film est à juste titre un chef-d’œuvre du cinéma Russe, d’une bien meilleure facture que celui de Laurence Olivier, pour appuyer le propos de Richard Delmotte. Il est l’aboutissement de 8 ans de travail. Grigori Kozintsev qui en est le réalisateur et le scénariste a fait des coupes franches dans le texte de Shakespeare ; mais elles servent l’histoire qu’il veut nous raconter, sans ambages.

Première partie :

Il n’y a pas de suspicion de folie chez Hamlet avant l’apparition du spectre. Hamlet revient au château après l’annonce de la mort de son père, pour tomber dans les bras réconfortants de sa mère. Lors du Conseil, Claudius interpelle successivement Laërte, puis Hamlet sur leurs projets. Mais la chaise d’Hamlet est vide – comme elle l’est à la fin du film de L. Olivier.

Ophélie prend une leçon de Danse lors d’une magnifique scène de la vie au château. Laërte, prêt à partir pour la France, lui donne alors ses conseils à propos des avances d’Hamlet. Pas d’ambiguïté de mise en scène, c’est bien lui qui introduit le sujet – Ophélie ne lui retourne pas le compliment. C’est dans une scène de la vie quotidienne du grand Chambellan, que les conseils de Polonius trouvent également leur place dans le cœur d’Ophélie.

Horatio et les gardes retrouvent un Hamlet devenu apathique en raison de la douloureuse disparition de son père. Mais la vie d’Hamlet bascule avec les révélations du spectre. La mise en scène est magnifique : affolement des chevaux, pas ralenti d’un spectre en armure, servi par la musique de Dmitri Shostakovich. Après la rencontre, Hamlet ne fait pas jurer à Horatio et Marcellus pour sceller leur silence. Cela ne se justifie pas puisque la souricière sera une réussite.

En quelques plans, Grigori Kozintsev nous fait comprendre que l’état de santé d’Hamlet s’est dégradé et demande à être surveillé. La scène muette et effrayante pour Ophélie d’un Hamlet hagard qui s’introduit dans sa chambre sans y être invité, est magistralement interprétée. Après cet égarement d’Hamlet, son rejet, Ophélie fait un malaise est doit être portée jusqu’à sa chambre. La reine reçoit l’annonce de la folie de son fils dans son lit incestueux. Cette folie justifie l’intervention de Polonius, puis l’envoie de Rosencrantz et Guildenstern pour le distraire.

Avec l’arrivée des tragédiens de la cité, Hamlet prodigue ses conseils artistiques. Il s’en prend à Lucianus lui-même. Le repli sur soi, puis la résurgence provoquée par les sondage des uns et des autres, lui fait dire à Horatio : « Je dois reprendre mon rôle de fou ». Cependant, les griefs contre sa mère ou contre Ophélie sont atténués pendant la représentation. Le roi finalement se lève comme indisposé par la vue de son seul crime. Il ne sait pas s’il doit partir ou applaudir. Il applaudit ce stratagème, suivi par la foule. Il finit par balancer sa chaise exténué de devoir se contenir.

Deuxième partie :

La grande trouvaille de Grigori Kozintsev, c’est de ne pas nous montrer le spectre dans la chambre de Gertrude. Hamlet tue Polonius et c’est déjà un premier acte fou. Gertrude semble ne pas découvrir un Hamlet halluciné pour la première fois. Hamlet lui demande de convaincre le roi qu’Hamlet n’est pas fou – cet emploi de la troisième personne créait une dissociation du personnage des plus troublante. Lorsqu’il demande à sa mère si elle est au courant de son départ pour l’Angleterre, la surprise est pour Hamlet. En traînant Polonius, il part avec un rire sarcastique qui raisonne dans tout le château.

Ce film est d’une grande poésie, par ses scènes de la vie quotidienne (la présence majestueuse des chiens), par son soucis du détail (Hamlet qui s’arrête pour enlever un caillou dans sa chaussure alors qu’il est escorté par les hommes du roi), par les décors ramenés à leur juste dimension (comme le navire qui doit emmener Hamlet pour l’Angleterre).

L’intérieur même du bateau nous ferait rêver, s’il n’y a avait la voix du spectre venue rappeler à Hamlet, juste à propos, qu’on ne part pas en voyage et qu’il a un destin à accomplir.

Nous avons quittée une Ophélie, toute vêtue de noir, par dessus une « camisole » de fer ; nous la retrouvons perdue, sans espoir de rémission : Ophélie entame une danse, cette fois ce n’est pas pour jouer. Laërte revenu secrètement de France sort l’épée de son père d’une malle – comme Fenge dans le prince de Jutland. Son coup d’état avorte. Les émeutiers se font arrêter par des soldats en armure, rompus à l’art de la guerre. S’il avait une chance de réussir, elle est anéantie par sa douleur, sans commune mesure avec ce que l’on a pu voir interprété dans d’autres films. Il semble lui-même dans l’incapacité de surmonter l’épreuve – au cimetière il s’écroule dans la tombe en lieu et place d’Ophélie. C’est la colère d’Hamlet qui le contraint d’en sortir.

Si le tableau de Delacroix nous montre une Ophélie dans une position d’éternel repos, la noyée de Grigori Kozintsev a un aspect terrifiant, à la limite du supportable, à couper le souffle. Ophélie s’est suicidée. Ce ne sont pas ses vêtements qui l’ont envoyée par le fond.

Le complot ourdi par Claudius pour aider un Laërte accablé lui-même par le poids de sa vengeance, est une machination élaborée à contrecœur, par dépit ou désespoir de cause. Laërte est dans l’incapacité de faire autrement que de se laisser guider. Le roi semble écoeuré. De colère, il jette une coupe de vin dans un miroir, celui-là même qui lui avait inspiré son désir de repentance.

Le duel final : Dague et rapière

On retrouve les protagonistes dans le piège final. Hamlet choisit sa rapière parmi une poignée qui lui est tendue. L’arme de combat est dans le tas ; Laërte s’en empare. La première passe a lieu ; Hamlet touche Laërte.

La reine n’est pas présente au début. Elle semble ne pas avoir été consultée. Alertée par les salves des canons, elle s’invite donc à la fête – pendant cette séquence a lieu une reprise, hors champ, entre les duellistes qui ne fait l’objet d’aucun point. Arrivée dans la salle d’armes, Gertrude assiste à la 3ème reprise ; Laërte est de nouveau touché. Gertrude vient éponger le front de son fils essoufflé. Elle boit à sa santé.

Echauffés, les duellistes enlèvent leurs gilets de protection (plastrons). A la 4ème reprise, Laërte perd sa dague en prenant un coup sur la main ; cela ne fait pas l’objet d’un point. Hamlet ne s’aperçoit pas tout de suite que la touche de Laërte l’a blessé au bras. C’est une tâche de sang de plus en plus grande sur sa chemise blanche qui alerte Horatio. De colère, Hamlet lance une 5ème attaque qui désarme Laërte. La magie du cinéma, c’est d’arriver à filmer en gros plan, la rapière de Laërte bloquée par celle d’Hamlet et de sa dague, tout en nous donnant l’impression d’être dans le feu de l’action. Désarmé, Laërte prend l’épée qui lui est tendue. Avec celle démouchetée, Hamlet lance une attaque féroce et blesse Laërte à la poitrine. Hamlet s’apprête à partir avec le sentiment de l’avoir rossé et qu’ils sont quittes.

Mais la reine tombe, lui révèle la trahison de la coupe empoisonnée. Laërte désigne le roi et l’épée… Alors le « venin frappe la bonne cible ».

…Hamlet sort sur les remparts, agonisant, suivi de son plus fidèle ami Horatio. Avant de s’éteindre, il aura cette dernière parole : « Le reste est silence. »

Les dialogues sont simples, sans excès. Ils expriment l’essentiel, sans ambiguïté. Fortinbras arrive au château pour s’emparer du pouvoir. Il n’aura pas eu besoin de la voix mourante d’Hamlet.