HORATIO

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10/04/2013

Aki Kaurismaki

HAMLET GOES BUSINESS
De Aki Kaurismäki
Pyramide Vidéo, 2008

Film finlandais en noir et blanc qui date de 1986, sorti en 1987, présenté au festival de Berlin en 1988.

Moins vieux qu’il n’y paraît, mais une « adaptation iconoclaste » très intéressante pour le critique. Une mère qui n’a pas l’air complice du meurtre de son mari. Une fin qui illustre certaines théories sur la culpabilité d’Hamlet et une tragédie qui se justifie, non pas pour l’honneur des hommes, non pas pour des idées, non pas pour le Parti, mais pour le syndicat, la sauvegarde des moyens de production et la survie des ouvriers – tout aussi effroyable !

L’adaptation aux temps modernes et les arrangements impliquent quelques variations qui donnent à réfléchir. A voir et à revoir donc.

Résumé de l’histoire :

Ouverture : Gros plan sur un chien (indice premier)

Dans la salle de Bain, Klaus prépare un verre d’alcool dans lequel il verse une bonne rasade de poison. Dans le couloir, pendant qu’il embrasse Gertrude il subtilise le verre qu’elle lui a préparé. Elle apporte ce verre empoisonné à son mari. Resté seul, ce dernier boit et meurt.

Hamlet passe en cuisine pour se couper une large tranche de jambon. Avant de rejoindre sa chambre, il passe dans le bureau de son père qu’il trouve « endormi ». Il ramasse le verre, l’essuie correctement avec son mouchoir, le repose sur le bureau, couvre son père d’un plaide, reprend sa tranche de jambon bien grasse qu’il avait posée sur un dossier, éteins la lumière et sort. Dans un état policier, quelque chose ne tournerait pas rond dans cette histoire.

Au retour du cimetière, on retrouve les Polonius à l’arrière d’une voiture avec chauffeur : « -Hamlet, ce demeuré, ne sait pas qu’il a du pouvoir ! On lui donnera de l’argent de poche, explique Polonius à ses enfants » 51% des parts de la société. Un mariage de bonne famille et l’affaire est dans le sac, pensent-il à voix haute, ce qui ne manque pas de réjouir Ophélia.

1 - Satan et Jésus sur la montagne :

Une poignée de main dans la fabrique de papier entre Klaus et Hamlet, symbole d’un marché de dupe. Et l’on retrouve Ophélie, deux mois plus tard, qui se refuse à Hamlet : « Non ! pas avant le mariage ! » Un coup de pied de colère dans le Juke-box…

Un dîner conflictuel entre Hamlet et Gertrude : Elle lui rappelle que son père faisait peu de cas d’elle, qu’il attachait plus d’importance à ses pneus neige. Elle salie la mémoire de son époux ; Hamlet lui demande d’aller droit au but. Elle lui annonce son mariage avec Klaus ; il sort de table et menace de la quitter si elle fait ça.

Klaus s’installe au siège du groupe. Il envoie R&G en Norvège. Gros plan sur le micro ; ils sont sur écoute. Hamlet espionne de son bureau ce qui se trame : le partage de la scierie, de l’industrie, du chantier naval… Pendant ce temps les gardes, à l’entrée, voient passer un spectre. Ils se précipitent pour l’annoncer à Hamlet : « - on a vu ton vieux cette nuit ! »

On les retrouve tous trois au poste à l’entrée. Le spectre frappe au carreau. Hamlet le suit, il veut lui dire ce qu’il a à faire. « Presse ! Je vais manquer le dîner. » Nous n’en saurons rien !

2 - Terrible dispute :

Lauri est dans le bureau d’Hamlet qui lui accorde 2 minutes. Il veut un nouveau bureau. Et il veut qu’Hamlet laisse sa sœur Ophélie, car elle est trop bien pour lui ; « -on te connaît, on sait ce que tu veux d’elle ». En guise de réponse, il prend une gifle, et obtient les toilettes pour bureau. Lauri, chancelant, va voir le PDG et demande un congé d’un an pour aller étudier à Stockholm. Accordé.

Hamlet prépare son piège. Hilare, il écrit une lettre d’amour à Ophélie. Il va lui porter, ou plutôt la laisse tomber à ses pieds et, sans dire un mot, sort à reculons.

3 - Lauri voyage :

Avant de partir pour la Suède, Lauri demande à Ophélie de ne pas fricoter avec Hamlet. Elle le lui promet. Polonius prodigue ses conseils à son fils : « -Si le préteur meurt tu y gagneras ! » Tout est dit ; Lauri s’en va. Pour ce qui est d’Ophélie, Polonius ne l’entend pas de cette oreille. Il propose un cigare à sa fille, et lui demande de ne pas tenir compte des conseils de son frère. Ophélie se confie, elle doute de l’amour d’Hamlet. Polonius lui répond : « - C’est du théâtre. Il n’est pas fait pour une dactylo. Rien n’est gagné avant la bénédiction du prêtre. Un divorce lui coûterait trop cher. » et il donne de l’argent de poche à sa fille.

Dans la salle de sport, Hamlet fait des altères en bras de chemise avant la réunion où il sera Dieu. Il prévient son chauffeur, Simo, de son intention de faire la comédie pour qu’il ne s’étonne pas de le voir agir bizarrement. Le chauffeur s’étonne qu’il lui confie tout ça.

Réunion des actionnaires, la Suède leur a pris le marché de l’armement ; il leur faut abandonner la scierie, le chantier naval. S’ils veulent rester dans la course, ils ne leur reste plus qu’à spéculer sur le marché du canard en plastique. Qui est pour ? Unanimité !

C’est sans compter sur Hamlet qui dessine un bonhomme sur son cahier, sur un coin de table – comme on fait ses devoirs gentiment dans un coin, en attendant la fin de la réunion de papa. Il annule le marché avec Wallenberg.

4 – Hamlet mélancolique :

Une raison à tout ça ? Polonius explique qu’il a demandé à Ophélie de repousser ses avances. Klaus n’y croit pas : « - Hamlet n’aime que lui-même, il nous ressemble. Une banque est peut-être derrière tout ça. Faisons-le assassiner. » Avant d’en arriver là, Polonius propose qu’il les observe par le biais des caméras de vidéo surveillance.

Effectivement, nous voyons sur un écran, dans le bureau du PDG, Hamlet lisant une BD dans un escalier. Il croise Polonius qu’il prend pour un boucher. Il lui conseille de surveiller sa fille. Polonius regarde la caméra : « -il est fou ! »

Hamlet emmène Ophélie faire du lèche-vitrine. Elle préfèrerait une glace. Lui préfèrerait le faire maintenant chez lui. C’est un handicapé de la vie incapable de faire sa cour. Elle n’est guère plus à l’aise. Il fuit dans un bar, où le groupe Melrose chante « Rich little bitch » Il ne peut même pas se saouler avec les R&G venus le rejoindre pour le sonder. Ce qu’il a ? Il mange et n’est jamais rassasié. Il a cette envie de vomir qui ne le quitte jamais.

Hamlet est en décalage constant. Il ferre le poisson ; tout le monde s’assombrit autour de lui. Tout d’abord Simo, lorsqu’il se jette sur sa fiancée pour l’embrasser. Hamlet lui-même lorsqu’il invite ses parents au théâtre et que sa mère se ravit de le voir guérit – Hamlet réalise ! L’acteur, à qui il demande de jouer sans emphase, lui répond qu’il y a bien longtemps qu’on ne joue plus comme ça – il prend le fric, sceptique.

On les retrouve au spectacle. Dans la salle, Gertrude questionne Klaus sur son passé d’acteur. « - J’ai joué césar, tué au Capitole. » Hamlet est un rang devant ; il lui répond : « -Brutal de tuer un porc si capital. » Hamlet fait jouer le meurtre perpétré par Klaus et Gertrude. Pour que Klaus soit dérangé, il faut que le technicien à la poursuite lui mette le projeteur dans les yeux.

La souricière, c’est maintenant :

La souricière est à venir, contrairement à ce qu’il y paraît. Hamlet prend l’arme de service du garde endormi. Il se glisse dans la pièce où Klaus est en train de picoler avec l’intention de le tuer. Entre la servante qui prévient Hamlet que sa mère veut lui parler. Klaus, qui ne l’a pas vu dans la pénombre de la pièce, répond qu’il n’est pas là. La servante lève les yeux sur Hamlet et Klaus découvre l’espion.

Hamlet s’exécute. Il va rejoindre sa mère dans sa chambre. Elle est allongée un chiffon humide sur le front. Mise en scène ?
« -tu as déshonorée la mémoire de mon père, en épousant cet eunuque. (Hamlet sort le pétard). Que dis-tu de cela ?
-Veux-tu me tuer ?
-Moi ? Tu es folle. Tu le feras toi-même. Pour ce qui est de Klaus… »

Un bruit dans l’armoire, de la fumée de cigare. Un amant ? Un complot ? Hamlet tire dans l’armoire. Polonius s’écroule.

« -Crime de sang.
-Aussi obscène que tuer son mari et épouser son coursier
-Tuer son mari ?
-Je vais mettre cet intestin dehors. »

Effectivement, il sort dans la rue déposer le corps de Polonius sur une poubelle. Dans un état policier, quelque chose ne tournerait pas rond dans cette histoire.

5 – Le corps dans la rue provoque une enquête :

Réunion de famille : Hamlet doit partir pour Londres, où il sera sous protection d’un proche de la famille. Dans sa valise, il met ses chemises et une spécialité danoise, du boudin. Ophélie lui rend ses lettres – il y en a un paquet à brûler. Il lui rend son canard. « -Maintenant que nous sommes quitte, épouse-moi, lui dit-elle. » Il ne peut pas ; visiblement, elle ne sait pas qu’il a tué son père.

Klaus envoie Hamlet en Angleterre avec des instructions pour Murdoch, celui qui tient une chaîne de vente par correspondance – en fait, des instructions pour l’éliminer. Au port, Hamlet décachette l’enveloppe, tandis que R&G observent derrière une vitre. Il les attire dans un recoin du navire et les élimine un par un.

Ophélie, désespérée, seule chez elle, avale des cachetons et s’allonge dans sa baignoire. Aucune poésie : subsiste le désespoir. Lauri, revenu précipitamment suite au décès de son père, apprend le suicide de sa sœur. Klaus lui propose son aide : « -Si tu veux te venger, fais-le sans souffrir ». Hamlet revient ; on lui apprend la mort accidentelle d’Ophélie, noyée dans sa baignoire.

6 – Une erreur tragique :

Klaus et Lauri empoisonnent la cuisse d’un poulet destiné à Hamlet. La servante pose le plat le temps d’une pause pipi. Gertrude qui passe par là, prend une cuisse qui lui sera fatale. Hamlet déguste son poulet devant la télé. Klaus lui annonce la mort de Gertrude :
« -Pourquoi ne m’a-t-on rien dit ?
-Je n’allais pas partager sa fin tragique avec un salaud comme toi.
-Tu me le paieras. »

Dans la chambre mortuaire, Hamlet est seul avec le cadavre de sa mère. Il lui coupe une mèche de cheveux. Il ne voit pas les spectres de père et mère unis par la main.

Klaus passe un coup de fil à Lauri. Il fait fermer la maison par le gardien et projette d’avoir la peau d’Hamlet. On les retrouve dans un bureau, où Klaus a fait venir Hamlet. Lauri surgit un couteau à la main. Mais c’est sans compter sur la vivacité d’Hamlet : coup de pied dans la main, il se saisit de la télévision qu’il lui encastre sur la tête. Il allume et l’électrocute. Klaus sort son flingue, tire deux balles dans le mur. Hamlet riposte, fait mouche. Il n’a plus qu’à mettre l’arme de Klaus dans la main de Lauri, et appeler les flics. Dans un état policier, quelque chose ne tournerait pas rond dans cette histoire.

Simo et sa fiancée font le projet de partir ensemble. Elle lui révèle qu’elle n’est pas celle qu’il croit. Il s’en doutait. Simo confie à sa fiancée que le syndicat lui a demandé de surveiller Hamlet. Ils sont inquiets : « -Nous ne pouvons sacrifier notre amour pour le chantier. »

Final : Aboiements du chien (indice second)

Dans la salle à manger, Hamlet se fait porter à manger. Il s’assure que l’intendant est bien parti. Puis il investit le bureau du Président. Il a préparé sa mort méthodiquement. Il fait venir Simo et lui annonce son intention de vendre à Wallenberg. « -Avant de signer l’affaire et de partir pour mon grand voyage, aussi loin que dure la nuit, je veux soulager ma conscience. » Il révèle à Simo les conditions de la mort de son père. Il demande à Simo de leur servir un verre. Il verse discrètement le poison dans le verre d’Hamlet…

Simo prend place dans le fauteuil du Président. Il déchire méthodiquement le contrat en petits morceaux. Sa fiancée passe l’aspirateur. Les bagages sont prêts. Ils n’ont plus qu’à récupérer le chien et partir.


Quelques éléments d’analyse et de structure :

Des situations inversées par rapport à la pièce de Shakespeare :

La scène où Hamlet rencontre le spectre en est la principale illustration. Nous n’assistons pas aux révélations du spectre, qui intervient pour lui dire ce qu’il a à faire parce que, pour ce qui est de l’assassinat, Hamlet sait déjà.

Lorsque le spectre apparaît une second fois, c’est dans la chambre, près du lit mortuaire de Gertrude ; et c’est pour nous montrer le couple parental qui se retrouve. Mais Hamlet ne le voit pas. Il y a donc une première scène après le spectacle où Hamlet et Gertrude s’expliquent : Polonius meurt sans que l’on sache pourquoi il est là – ce qui ouvre la porte aux fantasmes. Et il y a une deuxième scène où Gertrude est morte, et où réapparaissent les spectres.

Situation inversée avec Ophélie :

Hamlet se sert clairement d’Ophélie en lui écrivant cette dernière lettre qu’il lui porte dans sa chambre – il sort à reculons sans voir son chemin. Dans le film, Ophélie se suicide – alors que chez Shakespeare sa mort est accidentelle ; mais on présente sa mort comme accidentelle à Hamlet.

La souricière :

Dans cette critique, seuls les chapitres numérotés respectent le découpage fait dans le film. Le chapitre « souricière » est placé là, volontairement pour attirer l’attention de mon lecteur sur mon sentiment. La souricière de Aki Kaurismäki est un échec et elle est réduite à sa plus simple expression :
- Représentation de l’assassinat avec la complicité de Gertrude.
- Absence de réaction du couple Klaus/ Gertrude.
- Réaction au moment où le projectionniste les éblouis.

La deuxième moitié du film se présente comme une souricière pour tous les protagonistes :
- Celle tendue par Klaus pour éliminer Hamlet, avec la première tentative en Angleterre, puis la deuxième lorsqu’il fait fermer la maison pour avoir sa peau.
- Celle tendue par Hamlet pour tuer Klaus, la première fois lorsqu’il s’introduit dans la pièce où Klaus est en train de picoler – la servante fait échouer son plan ; la deuxième fois lorsqu’il va au devant de Klaus qui lui a tendu un piège.
- Enfin le piège tendu à Simo, pour qu’à la fin Hamlet puisse préparer méthodiquement son suicide.

Le rôle de Simo :

Simo, c’est le confident ; c’est Horatio chez Shakespeare. Hamlet instrumentalise Simo (sauf dans la souricière, où il n’intervient pas). Tout d’abord, il commence par lui confier des trucs qu’il n’a pas à savoir – c’est le chauffeur – comme dans la salle de musculation. Puis il le provoque en embrassant sa fiancée, pour qu’il n’ait aucun remords par la suite. A la fin, il s’assure qu’il est seul avec lui dans la maison ; et il fait de lui son assassin.

Hamlet mélancolique ?

C’est à voir. Ce n’est pas du tout le personnage décrit dans le film. Il est plutôt froid, calculateur et implacable :
- Dès le début il sait pour la mort de son père – et pour cause !
- Les passages à l’acte à l’égard d’Ophélie et de Simo sont froidement calculés.
- Il se débarrasse de R&G sans aucuns scrupules.
- Il maquille le meurtre de Klaus sans états d’âmes.

Les symptômes décrits par Hamlet lui-même, font penser à ceux de la boulimie.

L’amour pour Ophélie ?

On sent un amour réciproque mais enfouit sous des couches de traîtrises, de projets bassement matérialistes… Les sentiments d’Hamlet comme ceux d’Ophélie sont sous une carapace et lorsqu’ils se libèrent c’est pour exprimer les plus bas instincts de l’homme sans affects.

La culpabilité de Gertrude en question :

Au début, on pense que Gertrude n’est pas complice. Klaus remplace le verre destiné à son mari par le verre empoisonné, discrètement, pendant qu’il l’embrasse.

Et puis Hamlet fait jouer l’assassinat par deux acteurs de comédie qui semblent complices. Il n’y a pas de réaction de Klaus. La souricière n’est pas faite pour attraper sa conscience, mais celle du spectateur. Elle est là pour nous réinterroger sur la véritable sens de la première scène.

La mort de Gertrude laisse Hamlet indifférent. Pas une larme. Il prélève une mèche de cheveux. Mais il reste insensible. Il y a de quoi :
- Au dîner, où il annonce qu’il souhaite les inviter au théâtre pour se faire pardonner son comportement, il est anéanti par la réaction de sa mère qui est heureuse de le savoir « guérit ».
- Dans la chambre, après la représentation, il découvre avec stupeur la présence de Polonius dans son armoire. Elle se fait complice de la corruption au sein du pouvoir, au sein du noyau dure qu’est la famille.

Et puis il y a l’apparition des deux spectres réunis – union jusque dans la mort qui ne colle pas avec la réalité :
- Gertrude à un amant, Klaus.
- Hamlet ne voit pas les deux spectres. Ils sont là pour berner le spectateur.

On sent que rien ne peut enrayer la machination implacable, la corruption.
- Le père d’Hamlet meurt empoisonné : sa mort passe inaperçue.
- Polonius sera retrouvé mort sur une poubelle – l’enquête ne mène à rien.
- Ophélie meurt noyée dans sa baignoire.
- R&G meurent – on ne retrouve pas les cadavres.
- Gertrude meurt d’une intoxication alimentaire.
- Lauri et Klaus s’entretuent – reste deux balles inexpliquées dans le mur.
- Hamlet meurt empoisonné.

Je plains le flic qui va devoir reprendre l’enquête. Un film plus noir que noir et blanc.