HORATIO

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26/05/2013

David Tennant est Hamlet

David Tennant est le Hamlet de Gregory Doran
Royal Shakespeare Company, 2009.



Ce film est une transposition à l’époque moderne de la célèbre pièce de Shakespeare. On ne s’étonnera donc pas de voir les acteurs en costume cravate. On s’étonnera par contre de voir le fossoyeur creuser en complet veston. Du coup, ce qui rend la scène comique, ce n’est plus le dialogue mais le fait de voir le rustre (ou le clown) dans cette tenue ou encore le fait de le voir rire tout seul. Et du coup, on n’attachera plus vraiment d’importance aux révélations des fossoyeurs.

Mes lecteurs me pardonneront de ne pas insister sur l’adaptation du texte et sur les arrangements entre les scènes opérés par le metteur en scène, car le film est anglais (non sous-titré). Je ne parle pas la langue.

Mais j’insiste à faire cette chronique car le film présente un double intérêt cinématographique ; il a de grandes qualités du point de vue du jeu des acteurs et il a un énorme défaut.

De l’usage de la vidéosurveillance :

Commençons par les mauvaises nouvelles, puisque c’est les premières choses que l’on remarque en regardant le film. Il y a des mouvements de caméras malheureux qui ont pour but de créer un effet d’affolement peut-être, lors de la rencontre avec le spectre. Mais c’est plus désagréable qu’autre chose.

Il y a également usage du point de vue de caméra de vidéosurveillance qui donnent au film un côté voyeurisme des mauvais film de charme. Je n’ai, personnellement, pas compris ce que ça venait faire ici, dès le début, lors de la rencontre avec le spectre. Il s’agit d’informer le spectateur que le château est sous surveillance – on retrouve cette pratique de l’espionnage dans le film d’Aki Kaurismäki et dans celui de Michaël Almereyda. Bon d’accord ! Mais très vite, on se demande à qui profite le crime ? Qui a à intérêt à savoir dès le début qu’Hamlet rencontre le fantôme de son père ? On s’attend donc à des rebondissements tout au long du film ; mais la surprise ne vient pas :
- Fortinbras est un personnage inexistant. Hamlet croise son armée lorsqu’il part en exil, mais il ne surgit pas à la fin pour s’emparer du pouvoir (Idem dans le film de Laurence Olivier).
- Gertrude n’est pas celle qui tire les ficelles. A la fin, elle comprend que la coupe est empoisonnée et la boit pour sauver son fils (comme dans le film de Franco Zeffirelli).
- Aucun indice qui nous donne à penser que cet espionnage sert les intérêts de Polonius et de sa famille.
- Claudius est le personnage machiavélique qu’on veut nous faire croire ; et, lors de la scène de la repentance, après avoir avoué son crime, lorsqu’il rouvre les yeux cela créait un effet cynique chez le personnage en contradiction avec le fait que lui-même Claudius, procrastine : « Mes paroles montent là-haut, mes pensées restent ici-bas, et les mots sans les pensées n’atteignent pas le ciel. » Le Claudius de Shakespeare est plus ambivalent que machiavélique, c’est ce qui le rend dangereux.

Il y a un seul effet remarquable à l’incrustation de plans filmés par les caméras de vidéosurveillance, c’est lorsque Hamlet monte vers la caméra, s’en saisit et l’arrache pour dire : « -Enfin seul ! » et son monologue de la scène 2 de l’acte 2 qui suit l’arrivée des comédiens et la première play-scène.

Voir par l’oeil de la caméra et regarder la caméra :

Pour créer l’illusion de la pièce de théâtre dans la pièce, il faut que le spectateur oubli qu’il regarde une pièce de théâtre.

Tout au long du film, les acteurs usent de cet artifice qui consiste à s’adresser à la caméra. Si dans le Richard III de Laurence Olivier, ce principe renforce le machiavélisme du personnage qui annonce ses actions par anticipation, dans le film de Grégory Doran ces annonces se trouvent en contradiction avec la volonté de nous faire oublier la caméra lors des incrustations de points de vues de caméras qui sont utilisées par les protagonistes (Hamlet qui film caméra au poing la souricière, et les plans des caméras de surveillance).

Autres contradictions exacerbées :

Au final, Claudius bois la coupe par dépit. Hamlet pointe son épée sur le roi, et lui tend la coupe empoisonnée. Claudius dans un hochement d’épaule boit et semble nous dire, « puisque je n’ai pas le choix ». Cette interprétation me semble en contradiction avec ce que l’on a pu voir jusqu’à présent dans les interprétations cinématographiques mais aussi avec le message de Shakespeare qui fait dire à Claudius (par Hamlet) toute la haine qu’Hamlet ne peut exprimer envers sa mère : « - Follow my mother »… en enfer bien sûr.

Je l’ai dit plus haut, Gertrude boit la coupe parce qu’avec ce : « -Ne buvez pas, Gertrude. » de Claudius, elle comprend qu’elle est empoisonnée. C’est là toute la difficulté de l’interprétation, comment comprendre ce qui se passe ? Boit-elle accidentellement ? ou boit-elle pour protéger son fils ?

On ne peut comprendre l’ambivalence de Gertrude si on ne prête pas attention à tous les détails dans la pièce qui montre que Gertrude ne protège pas son fils :
- Gertrude reçoit le diagnostic de folie fait par Polonius s’en s’y opposer. Polonius ne se permettrait pas s’il n’était pas certain que le diagnostic sera reçu favorablement.
- Dans la scène de la galerie : pas de didascalies (dans l’in folio de 1923) qui précise que Gertrude sorte à la demande de Claudius.
- Pendant la représentation, Hamlet interrompt la reine de comédie à trois reprises pour tester sa mère.
- Pendant la représentation, Claudius détourne la violence d’Hamlet sur sa personne pour protéger la reine. C’est ce que j’appelle le double effacement de la preuve de l’implication de Gertrude : et le roi se lève lorsque Hamlet fait passer Lucianus pour le neveu du roi et non lorsque le roi de comédie est empoisonné. Ainsi Lucianus, le neveu du roi, réclame une relation incestueuse avec le reine (première offense au couple royal pendant la représentation) mais le neveu, c’est aussi Fortinbras (deuxième offense si Hamlet est illégitime – le tabou des origines).
- Après la représentation, Hamlet va voir sa mère dans sa chambre ; ça se finit par un rappel à la mémoire de Gertrude : Hamlet doit partir pour l’Angleterre (Claudius ne sait pas encore que Polonius est mort).Hamlet, comme sa mère, savent que c’est un piège et qu’il aura à faire sauter l’artificier avec son pétard.
- De ce fait, même si l’on apprend que les ordonnances scellées de Rosencrantz et Guildenstern, le sont juste après la représentation, la décision est prise bien avant, peut-être après la scène de la galerie.
- Aveu de Gertrude (début de la scène 5 de l’acte 4) : Elle refuse de recevoir Ophélie devenue folle. Horatio insiste. En attendant qu’elle entre Gertrude dit : « Le crime est rempli de si naïve inquiétude, qu’il se trahit par peur de se trahir. » Le crime en question n’est ni l’adultère, ni le remariage ; tout le Danemark est au courant.
- Dans la scène du cimetière, larmes de crocodiles de Gertrude qui font écho au discours d’Hamlet adressé à Laërte : que veux-tu ? « Manger un crocodile » ?
- Lorsque Claudius échafaude avec Laërte son plan pour éliminer Hamlet, il l’évoque devant Gertrude, à la fin de la scène du cimetière (scène 1 de l’acte 5).
- Lors du duel, nombreux détails rappellent à notre mémoire et à celle de la Cour que le duel est truqué (enjeux grotesques (la vie d’Hamlet vaut des chevaux ou des épées quand pour d’autres elle vaut un royaume), jeu scénique pour l’échange des épées, provocations d’Hamlet qui déclenche le mécanisme du piège, dénonciation de la coupe empoisonnée et non du roi par Gertrude).

D’autre part, des différences notoires existent entre les différentes versions (in quarto/in folio) :
- Dans le quarto de 1603, à l’acte 4 précise Maurice Castelain dans son introduction, « la reine manifeste son intention d’aider son fils à se venger du roi. » (Shakespeare, Hamlet, éd. Aubier, 1973, p14). Intention qui n’est plus dans l’in-folio.
- L’âge d’Hamlet (30 ans) contribue à entretenir les soupçons d’illégitimité du Prince. D’où l’importance des révélations des fossoyeurs.
- Le thème de l’illégitimité est dans les tragédies :Richard 3, Le roi Lear…

Et le rôle d’Ophélie dans tout ça :

Je veux bien qu’Ophélie enlace son doux et tendre Hamlet au début de la play-scène… mais ce sera au prix de quelques coupes franches pour faire coller le texte à l’interprétation. Car au début de la représentation, dans le texte de Shakespeare, il faut bien dire ce qui est, Ophélie s’en prend plein la gu… Hamlet s’attaque à sa vertu publiquement. Les accusations sont graves et il faut toute l’adresse d’Ophélie pour se sortir de ce pétrin ; elle le fait passer pour ivre. A partir de cet instant, le miroir est brisé, « la cloche est fêlée », pour reprendre l’expression d’Ophélie.

Hamlet est odieux. Il est incapable de s’appliquer à lui-même les conseils qu’il donnait la veille aux comédiens. Il perturbe la représentation, empêche les comédiens de jouer ; son plan est un échec, celui de Shakespeare une parfaite illusion.

Heureusement d’autres interprétations sont là pour relever le niveau de ce film :
- Le personnage de Polonius est remarquable de justesse – si je puis dire – lorsqu’il dicte à Laërte sa demande au roi de retourner en France. Pourtant, cette demande devrait mettre en colère la Cour entière. Comment peut-il réclamer de partir alors que Fortinbras lève une armée contre le Danemark ?
- Les grimaces d’Hamlet sont des joyaux d’interprétation devant cette folie générale.
- L’idée de l’attacher sur une chaise après le meurtre de Polonius ajoute à l’insolence de ses répliques lorsque le roi lui demande où est le corps. L’idée est grandiose et rappelle la chambre capitonnée et la camisole qui attend Ophélie dans le film de Kenneth Branagh.
- Le sourire d’Osric, ou plutôt l’alternance de sourire et de vexations lorsqu’il vient annoncer le duel est un passage croustillant. Il aurait été dommage de ne pas immortaliser cet acteur.

Le symbolisme du miroir brisé :

Qui dit adaptation aux temps moderne dit usage des armes à feux. C’est donc avec l’arme de défense de sa mère, prise dans la table de nuit, qu’Hamlet tue Polonius. On ne dira jamais assez la fascination et le danger que représente une arme à feu dans une maison. Même si toutes les sécurités du monde n’empêcheront pas une personne, déterminée à mourir, de trouver les moyens de se donner la mort. Il me paraît important de faire de la prévention à cet instant. Car une arme à feu représente un danger pour soi comme pour l’autre ; que l’acte soit accidentel ou non.

Il est donc important d’observer que la mort de Polonius n’est pas accidentelle. Elle est le moyen pour Hamlet de briser le miroir. Il vient à sa mère pour lui tendre le miroir. Elle lui répond : que veux-tu ? m’assassiner ? Il l’oblige à révéler le piège dont elle se sert contre lui. Polonius, le pauvre bougre, répond présent. Il tire dans le tas.

Qui est-ce ? Un rat ! Sûrement pas Claudius, il vient de le croiser en prière. Hamlet continue le jeu de dupe ; il lui sert un « -Est-ce le roi ? » Le discours de la reine ne varie pas d’un pouce : « -Acte écervelé et sanglant ! » répond-t-elle ; elle qui sait très bien qui se trouve dans la penderie. Acte aussi sanglant « que tuer un roi et épouser son frère ». Hamlet obtient de sa mère la forclusion . « Que tuer un roi ? dit-elle. »

Hamlet retrouve ses esprits. C’est ce que semble avoir voulu Shakespeare lorsqu’il fait apparaître une seconde fois le spectre. Gertrude n’y voit que du feu.

Hamlet, au delà du miroir voit l’hypocrisie de sa mère. Si elle est capable de lui cacher Polonius, ne serait-elle pas capable de lui cacher autre chose ? C’est-à-dire, ce que vient lui révéler le spectre en armure, celle qu’il portait lorsqu’il combattit Fortinbras père.

Claudius est Hamlet :

C’est un artifice souvent utilisé dans cette pièce, le spectre d’Hamlet père est joué par le personnage de Claudius. Dans ce film c’est le cas. Et cette illusion est là pour nous rappeler qu’il vaut mieux se méfier des apparences.

Dans ce film l’accent n’est pas mis sur le tabou des origines d’Hamlet. Alors pour expliquer la folie d’Ophélie et ce carnage final, il faudra se contenter d’expliquer la romance contrariée par la mort de Polonius et l’exil d’Hamlet. A oui, mais c’est sans compter sur ce spectre Damné qui vient toujours nous hanter et tourmenter le repos éternel du Prince. Alors c’est donc que Claudius est un affreux personnage. Oui mais, Claudius avait la voix du Danemark… C’est donc que Gertrude… mais sa mort est accidentelle ! C’est donc que Hamlet père….

Et puis bonne nuit, le reste est silence.