HORATIO

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05/06/2012

Entretien avec le Roi Lion et Horatio

Entretien avec le Roi Lion et Horatio
Propos recueillis par Sylvain Couprie

SC, Journaliste :
Bonjour, et merci à vous deux, de vous prêter à ce jeu de questions réponses sur vos destinées, qui ne se ressemblent pas, et qui pourtant cheminent l’une à côté de l’autre, comme deux droites, sans jamais se rejoindre.
Vous Horatio, vous avez accédé à de hautes fonctions de secrétaire l’état, après la tragique histoire d’Hamlet, le couronnement de Fortinbras et sa douloureuse disparition, faut-il le rappeler, dans des conditions quelque peu « étranges » même si elles sont accidentelles.
Vous Simba, vous êtes redevenu Roi du territoire des lions après un terrible combat contre votre Oncle Scar, qui avait usurpé le pouvoir et votre place de successeur au trône en tuant votre père.
Peut-on parler comme Shakespeare, de nouvelles tragédies de la vengeance ? Simba ?

Simba, Le Roi Lion :
Bonjour à vous et merci de me donner la parole dans vos colonnes. C’est vrai que les destins de mon père et de mon oncle sont tragiques, dans le sens où ils meurt tous les deux de morts violentes. Mais heureusement pour moi, j’ai retrouvé ma place dans la société qui est la mienne. Même si j’ai du en passer par un exil de plusieurs années. Mais c’est peut-être un passage obligé dans l’existence de quelqu’un. Nous y reviendrons j’en suis sûr.

Horatio, secrétaire d’état :
Bonjour. L’histoire d’Hamlet est assurément une histoire tragique. Elle aurait du être identique à celle de Simba, s’il avait survécu. Mais la vie a voulu qu’il en soit autrement. Je dirais que l’existence d’Hamlet a été autrement plus complexe et plus perturbée que celle de Simba. L’exil d’Hamlet ne s’est pas fait dans les mêmes conditions et n’a pas eu les mêmes effets sur sa vie.

Journaliste :
Je vois que vous faites allusion tous les deux au complexe d’Œdipe qui, dans la construction de l’être, joue un rôle très important depuis Freud.

Horatio :
Pour nous les humains, ce serait les désirs inconscients qui seraient à l’origine des névroses. Mais on voit bien à travers nos deux destins qu’il s’agit d’autre chose. Ce ne sont pas les désirs de Simba ou d’Hamlet qui sont en cause. Ce sont les tentatives d’homicides de leurs oncles respectifs qui sont à l’origine de leur combat pour la vie.

Simba :
Avec une grande différence entre Hamlet et moi, c’est que dans le cas d’Hamlet, c’est sa propre mère qui veut se débarrasser de lui. C’est d’ailleurs ce qui rapproche le destin d’Hamlet de celui d’Œdipe roi, tel qu’il nous a été rapporté par Sophocle. Œdipe est lâchement abandonné par ses parents Laïos et Jocaste parce qu’il est un enfant handicapé ; et c’est un miracle qu’il ait réussi à s’en sortir – enfin on sait aussi pour quel destin.

Journaliste :
Nous allons revenir sur votre destin Horatio, parce qu’il est entièrement déterminé par celui d’Hamlet. Mais dans votre cas, Simba, c’est donc votre oncle qui a voulu vous éliminer, vous et votre père, et il s’en est fallu de peu pour que vous en réchappiez. Cependant, je m’explique mal les raisons de votre exil.

Simba :
J’ai mis longtemps avant de le comprendre moi-même. Je peux vous l’expliquer mais ça restera toujours une blessure ouverte. Le temps aide à vivre avec cette plaie qui ne se refermera qu’avec ma mort et qui se reflètera à jamais sur mon entourage. Mais le savoir, le transmettre et l’avoir toujours à l’esprit aide à vivre. C’est ce qui me sépare du destin d’Hamlet et me rapproche de celui d’Horatio.
J’aurais même envie de dire que l’interprétation de l’oedipe par le psychologue d’aujourd’hui, dans la société humaine, a même fonction que celle qu’a pu avoir mon oncle en me culpabilisant après la mort de mon père, le roi lion.
Comme l’on très bien décrit Roger Allers et Rob Minkoff dans leur film sur ma vie, j’ai hurlé de douleur lorsque j’ai vu mon père tomber du rocher. Je savais pertinemment la responsabilité de mon oncle dans la mort tragique du Roi Lion. Mais j’étais coupable de l’avoir attiré dans ce canyon, même si je ne savais pas que c’était un piège tendu par Scar. J’étais un lionceau naïf et influençable. Mon oncle a su se servir de ma fragilité. La peur a fait le reste.
La première fois lorsque je m’étais aventuré de l’autre côté de la colline, du côté du cimetière des éléphants, j’aurais du comprendre l’attitude de mon oncle qui consistait à me pousser à transgresser les interdits. Sans l’intervention de mon père, le Roi Mufasa, je n’aurais pas survécu. Mais qu’est-ce que vous voulez, à cet âge-là, les adultes qui vous entourent passent leur temps à vous influencer.
Je repense au fait que Zazu a longtemps joué de notre relation avec Nala. A l’époque nous étions des enfants : nous apprenions à mettre des mots sur nos sentiments, et bien que surpris par les insinuations des adultes, nous le prenions pour argent comptant. Avec Nala, nous n’étions pas amoureux – nous le sommes devenus par la suite.

Journaliste :
C’est vrai que ce premier épisode de la transgression de l’interdit, a été placé là par les deux réalisateurs de votre biographie très romancée, pour nous montrer l’ambivalence naturelle des sentiments à l’égard de votre père. C’est le régicide de votre oncle qui a bouleversé votre vie. Au yeux du lionceau que vous étiez, et du Roi Lion que vous êtes vous-même devenu, il reste un puissant personnage.
Ce n’est pas sans rappeler le destin tragique d’Hamlet. S’il n’avait pas tué par mégarde le père de celle qu’il aimait, il l’aurait sûrement épousée.

Horatio :
Détrompez-vous ! J’ai bien connu Hamlet. Il aimait Ophélie mais sans plus. J’ai été le premier surpris par cette déclaration d’amour. J’ai tout d’abord rattaché l’événement au remariage de sa mère, Gertrude, avec son oncle justement. Après je me suis rallié aux arguments du propre père d’Ophélie. Pourquoi aurais-je douté de sa parole ? Il détenait une lettre où Hamlet déclarait sa flemme à Ophélie. Nous savons aujourd’hui qu’il s’agissait d’une lettre de rupture, ou plus exactement d’une lettre d’adieu.

Journaliste :
Oui, et c’est à vous que nous devons d’avoir publié cette correspondance, ainsi que le journal d’Hamlet, la lettre qu’il adresse à sa mère à son retour d’exil, l’épitaphe qu’Hamlet a fait graver sur la tombe d’Ophélie et sur celle de son père, etc.
Mais les biographies établies depuis celle de Shakespeare continuent d’alimenter la légende selon laquelle Hamlet aimait Ophélie…

Horatio :
Comme elles continuent d’alimenter le mythe du héros qui feint la folie pour déjouer les plans machiavéliques de son oncle Claudius. On a dit que le destin d’Hamlet ressemblait étrangement à l’histoire du Prince de Jutland. C’est beaucoup plus compliqué que cela. Hamlet n’a jamais cessé de se battre contre la folie qui lui était reconnue. Et c’est cette lutte quotidienne qui ne lui a pas permis d’exister.
Contrairement à la naïveté de l’enfance, à la naïveté de Simba – pardonnez-moi d’insister…

Simba :
Je vous en prie, je ne pense pas qu’il y ait d’offense.

Horatio :
Contrairement à ce que l’on croit, Hamlet était adulte. Il a commis des actes insensés. Il s’est servi d’Ophélie pour sonder sa propre mère. Il a tué le père de celle que « soi-disant » il aimait. Sa mère l’a couvert en faisant passer l’assassinat pour un accident. Il a joué à cache-cache avec le corps de Polonius. Je l’ai vu moi-même jouer avec le crâne de Yorick.

Journaliste :
J’imagine que vous avez souhaité expier vos faute à travers ce « testament » que vous avez publié. C’est un lourd fardeau, une lourde responsabilité que vous déposez à nos pieds. Croyez-vous que les apparitions du spectre dans Hamlet ou de Mufasa dans le Roi Lion aient même valeur et même fonction dans la vie.

Horatio :
C’est vrai que l’apparition de Mufasa dans le Roi Lion vient redonner confiance et courage à Simba. Mais pour Hamlet, l’apparition vient au contraire le déstabiliser, lui faire perdre pied. De plus, le « savoir » révélé par le spectre vient occulter l’absence de savoir d’Hamlet. Nous savons, avec certitude, que Claudius a voulu aider Laërte à venger son père, mais nous ne savons pas réellement s’il est le meurtrier du Roi Hamlet. Le jeune Prince aimait son oncle ; il ne lui en voulait pas particulièrement. Hamlet n’a jamais accepté la rupture de Gertrude avec son premier mari. Il l’a même soupçonnée d’avoir abusée les oreilles du Danemark avec cette histoire de serpent qui aurait piqué son père pendant sa sieste. Claudius n’aurait jamais du s’interposer. Il a voulu se montrer un roi à la hauteur – il l’a été au début – mais il y avait trop de haine et de rancœur entre Hamlet et Gertrude.
Contrairement à ce qu’on raconte, c’est Hamlet qui avait fait venir la troupe de Théâtre. Il voulait déstabiliser sa mère, lui faire prendre conscience du grotesque de ses mensonges. Il la soupçonnait d’avoir commandité l’assassinat de Claudius.

Journaliste :
Les révélations que vous faites dans vos mémoires sont très contestées. Vous êtes vous-même taxé d’usurpation de pouvoir. Comment expliquez-vous ce rejet de la société ?

Horatio :
D’abord Hamlet a souhaité que je témoigne des évènements qui ont conduit à cette tragédie. J’avais déjà de hautes fonctions au cœur de l’état. Laërte, en tuant Hamlet, au péril de sa vie, à permis que la porale se délie. Ce n’est pas être un traître, comme on a pu le dire dans la presse, que de donner ma version des faits. Ce n’est pas LA vérité, c’est l’avènement d’une part de la vérité.
Il faut bien comprendre qu’Hamlet nous a menacé de mort après sa rencontre avec le spectre.

Journaliste :
Vous parlez de Marcellus ?

Horatio :
Oui ! J’étais pieds et poings liés. Ma vie ne tenait qu’à un fil. Je suis toujours muselé par l’attitude de Marcellus.
Après la représentation de théâtre, devant le couple royal et sa suite, j’ai essayé d’alerter Hamlet sur l’échec de son projet de souricière. Il n’a rien voulu entendre. Je ne sais pas non plus pourquoi, il en a détourné le sens initial destiné à sa mère pour en faire un piège destiné à son oncle. Peut-être parce que Claudius s’est rallié à la cause de Gertrude ? Hamlet était très souvent rabaissé par son père. Claudius compensait cette humiliation par une haute estime.

Journaliste :
C’’est vrai que la souricière, analysée comme vous le faites, c’est-à-dire, comme un « demi échec », c’est un argument plutôt frappant.

Horatio :
Comme un échec ! N’ayons pas peur de le dire. Le piège aurait fonctionné – et encore – si Hamlet n’était pas intervenu pendant la pièce pour faire passer Lucianus pour le neveu du roi. C’était une véritable injure faite au couple royal ; ça ne pouvait pas se terminer autrement. Je me demande même comment le roi et la reine ont pu laisser Hamlet salir l’honneur d’Ophélie aussi ouvertement au début de la représentation.
Enfin comme dit Rafiki dans le Roi Lion, après lui avoir donné un coup sur la tête : t’oubliera vite, c’est du passé, et le passé c’est douloureux. Là, en l’occurrence c’était mortel – si vous me permettez cette petite pointe sarcastique.

Simba :
Pour ce qui est des raisons pour lesquelles Hamlet s’en est pris à Claudius, aujourd’hui, on en a une petite idée quand même. C’est le spectre qui vient révéler à Hamlet que Claudius a assassiné son frère ?

Horatio :
Shakespeare a su magnifiquement se servir de ce que je lui ai rapporté des événements pour raconter l’histoire d’Hamlet. On est bluffé par la mise en scène. Mais il faut bien garder à l’esprit que c’est juste avant la représentation qu’Hamlet m’a parlé des révélations du fantôme de son père. Que Claudius ait saisi l’occasion pour accéder au trône, il n’y avait pas besoin d’un spectre pour le comprendre. De plus sa liaison avec la reine était quasiment de notoriété publique – ce qu’Hamlet n’a jamais accepté ! Mais enfin de là à dire qu’il était le meurtrier de son frère… D’ailleurs, ça n’a jamais été élucidé.

Journaliste :
Que pensez-vous des hypothèses d’une certaine presse à scandale, selon laquelle Hamlet aurait découvert la liaison entre Ophélie et Claudius. Hamlet n’aurait pas supporté et aurait assassiné son propre père.

Horatio :
C’est sans fondement, sinon celui de salir la mémoire d’Ophélie, et d’anéantir le désir d’émancipation de la femme. A propos d’Ophélie, on est allé jusqu’à la soupçonner de s’être suicidée.

Journaliste :
Oui, vous soutenez la thèse de l’accident à juste titre. Revenons à vous Simba, si vous le voulez bien. Je crois que Nala vous en a voulu très longtemps de ne pas être revenu sur la terre des lions pour y régner.

Simba :
Vous voulez faire écho à la place qu’avait Ophélie dans le cœur d’Hamlet.
Nala m’en veut encore. C’est une blessure impardonnable. Je l’accepte et Nala aussi. Dans le synopsis sur Wikipédia, il est écrit : « Devenu adulte, Simba retrouve par hasard son amie d'enfance Nala, qu'une expédition de chasse avait emmenée de l'autre côté du désert. » C’est gentil de vouloir nous aider à surmonter les épreuves. Mais se voiler la face conduirait à notre perte. Dans le film Nala dit la vérité. Si elle s’est aventurée de l’autre côté du désert, c’est pour aller chercher de l’aide. Elle a fait comme ça plusieurs expéditions pour trouver un Roi Lion digne de ce nom, pour me retrouver finalement. Si elle n’avait pas pris les devants, j’y serais encore de l’autre côté du cimetière des éléphants. J’insiste sur ce point, Nala est revenue dans ma vie comme un boomerang.
Cela n’a pas été difficile de vaincre Scar. C’est la légende qui veut que j’y sois parvenu au péril de ma vie.
C’est bien plus difficile d’assumer la paternité, depuis la naissance de Kiara, lorsque l’on a un passé de lâche et un futur où la réussite n’a plus de sens. Auparavant dans la savane, les hyènes et les lions se côtoyaient, cohabitaient. C’est cet équilibre qu’il faut rétablir.

Journaliste :
Et vous Horatio, que comptez-vous faire maintenant ? Vous avez été condamné pour non assistance à personne en danger et homicide involontaire sur la personne d’Ophélie. Vous êtes actuellement cité à comparaître dans l’affaire du duel qui a opposé Hamlet et Laërte.

Horatio :
Comme vous le savez, j’ai fait appel de la décision du Tribunal. J’irai jusqu’à la cour européenne des droits de l’homme s’il le faut. Ceci dit, entre nous, il suffirait que Marcellus revienne sur ses déclarations pour que soient admises les circonstances atténuantes ; nous étions à l’époque sous le coup de menaces de mort.
En tout cas je n’aurai de cesse de travailler au rétablissement de la vérité.
Pour ce qui est du duel entre Hamlet et Laërte vous savez que l’enquête est en cours. Vous avez vous même mené votre enquête. Vous savez combien il est difficile de trancher la question. Je ne chercherai pas à me disculper, mais c’est un fait : je n’y entends rien à l’escrime. J’ai bien vu que l’épée de Laërte était démouchetée. Mais je n’ai pas compris pourquoi, Hamlet a accepté de jouer le jeu, et je n’ai pas compris pourquoi l’assemblée a laissé jouer ce duel.
Je l’ai compris bien plus tard, bien après la mort de Fortinbras, lorsque j’ai commencé à vouloir reconstituer le puzzle.

Journaliste :
En quelque sortes, vous semblez nous dire qu’on peut être adulte, et être tout aussi naïf qu’un enfant, tout aussi influençable, tout aussi fragile. Simba ?

Simba :
C’est assurément la grande leçon à retenir de nos deux destins. Et qui sait ce qui nous attend !

Journaliste :
Un psychanalyste ? Un journaliste ! …ou bien un poète. Qui sait ?



Le Roi Lion, , film d’animation de Roger Allers et Rob Minkoff, Disney, 2011.
Le Prince de Jutland, film de Gabriel Axel, 1993.

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