20/05/2012
Tragique mise en scène de Peter Brook
Tragique mise en scène du Hamlet de Peter Brook
(La tragédie d’Hamlet, Arte France, 2001)
Le film a sans conteste des qualités esthétiques. La musique ponctue l’action comme le point ou la virgule scande le texte. L’origine multi-culturelle de la troupe de théâtre et le dénuement scénique devrait faire de la pièce une tragédie intemporelle.
C’est sans nul doute une performance d’acteur que d’apprendre le texte de Shakespeare – même édulcoré. Mais là, la mise en scène est tellement dépouillée que c’est l’essence même de la pièce qui se trouve sans saveur.
Pourquoi représenter la mort ?
C’est au spectateur de faire tout le travail imaginaire de déconstruction/reconstruction. Laërte est Guidenstern ; il n’apparaît qu’après la mort des compagnons d’Hamlet partis pour l’Angleterre. Le rustre qui creuse la tombe d’Ophélie est Polonius (il peut jouer le rôle puisque Polonius est assassiné - il n’est pas vraiment mort donc). A ce niveau de représentation, économiser sur les acteurs, s’est s’interdire de jouer quelque chose. Il aurait été préférable que le spectateur prenne le texte de la pièce pour la lire lui-même au coin du feu.
Les économies de bout de chandelles, n’interdisent pas les efforts de mise en scène. Les idées intéressantes, comme les deux crânes de Rosencrantz et Guildenstern en lieu et place du crâne de Yorick, sont anéanties par l’aspect plastic des crânes fraîchement déballés de leur emballage. Cela aura eu au moins le mérite de me faire réfléchir sur la pertinence des images qui me sont proposées : ça ne peut pas être eux, ils ne sont pas déjà décomposés.
Pas facile pour un acteur/fossoyeur de faire semblant de creuser avec un bambou dans les mains. Le spectateur se trouve dans l’incapacité de se représenter la mort parce que la troupe elle-même résiste à vouloir la mettre en scène. C’est jusqu’au corps d’Ophélie qui n’est pas dans le linceul. Laërte porte un tissu à bout de bras et vient le déposer entre les accoudoirs d’un sofa.
Comment se représenter la folie d’Hamlet ou de l'action ?
Le spectateur se trouve dans l’incapacité de se représenter la folie parce que le dispositif interdit de la jouer. Le spectre apparaît au début de la pièce, ce qui ne laisse aucune latitude aux acteurs pour exprimer la transformation d’Hamlet et de son entourage.
La scène d’un Hamlet hagard décrite par Ophélie est entièrement interprétée comme étant la cause d’un amour fou. Polonius s’empresse d’aller voir le roi pour lui annoncer qu’il a découvert les raisons de la folie d’Hamlet ; et le spectateur découvre en même temps qu’Hamlet a changé de comportement. Il doit l’imaginer, parce que Hamlet est un personnage égal à lui-même tout au long de la « tragédie », posé, calme, serein.
Une petite colère lorsqu’il découvre qu’il est espionné par le roi pendant sa rencontre avec Ophélie. Un calme Olympien après le meurtre de Polonius. Tout est feutré dans la pièce : les lumières, les musiques, le jeux des acteurs, leurs voix. Rosencrantz et Guildenstern ne trahissent pas leurs intentions, à tel point que Hamlet doit menacer Guidenstern de lui crever les yeux de ses doigts : alors le regard de l’autre finit par trahir quelque chose.
La folie d’Hamlet n’est pas représentée. Pourtant tous les ingrédients sont là :
- La morale faite à Hamlet mais après la rencontre avec le spectre – elle n’a plus de sens.
- Les aveux à Rosencrantz et Guildenstern : Hamlet les somme de prévenir le roi et la reine qu’il n’est fou que par vent de nord nord ouest.
- Ses intentions trahies dans la chambre de sa mère de savoir si elle est capable de « tuer un roi et épouser son frère ».
- La demande faite à la reine de dire à Claudius qu’il n’est pas fou, malgré le meurtre, l’apparition.
- Gertrude qui retient Laërte au cimetière : laissez, il est fou.
- Hamlet qui se dit affligé d’un terrible égarement au moment des réconciliations par le duel.
Hamlet nie avoir fait le mal avec préméditation. C’est bien là le tragique de cette mise en scène. Il n’y a pas de doute installé dans la tête du spectateur. Pas de double discours. Pas d’inconscience.
Dans un premier temps, la folie d’Ophélie n’est pas convaincante. Elle est là s’en qu’on y soit préparé. Puis on est bien obligé de l’admettre parce qu’elle dit : « mon frère le saura » alors qu’il est là, juste à côté d’elle.
Il n’y a pas de double langage, pas de place pour le doute. Horatio et Hamlet sont de bons vieux amis. La lettre à Ophélie est une lettre d’amour. La conscience du roi est toute entière attrapée par la souricière. La missive pour l’Angleterre est la preuve que tout le monde attend.
Que reste-t-il au final ?
Une troupe qui a peur de la mort et de la folie, une troupe dans l’incapacité d’aller chercher au fond de ses entrailles la violence du répondant. Alors Hamlet se fait « moucher » effectivement. A ce niveau de représentation, ces choix ne sont pas fortuits. Il ne s’agit pas de grossières erreurs :
- C’est Polonius que l’on ressuscite sous les traits du rustre.
- C’est la mort d’Ophélie qui n’est pas représentée.
- C’est la reine que l’on ne voit pas tomber.
Lorsque l’on croise le fer avec des bouts de ferraille, que reste-t-il ? Une danse !
…et un deuxième gros plan sur le tapis au sol, que j’ai pris pour un fondu enchaîné…
Ouuffff ! J’ai hâte d’aller voir dans les bonus du DVD ce qui se dit de cette adaptation.
Bonus track :
Je sais maintenant ce que Peter Brook aurait fait après la première. Il aurait réuni tout le monde, l’après-midi, et au regard des notes prises pendant la représentation, il aurait dit : « il est absolument clair que nous avons maintenant un immense travail à faire » (Jean-Claude Carrière)
Sauf qu’on est à la deuxième tentative tout de même (1955 – 2000) et on est loin du compte.
Dans le portrait intime fait par Simon Brook, son père en donne peut-être les raisons :
« Comme je ne sais pas nager, j’ai peur tout le temps, je ne prends pas de risques. »
« Si on a peur on se bloque ; lorsqu’on a moins peur, on laisse sortir le mouvement. »
Tout est dit, se ressent dans l’adaptation. L’acteur est vidé, dépouillé de ses moyens, pour atteindre la plénitude. La main est vide, le geste informel. Le bambou est une pelle.
Peter Brook dit des choses comme : Pour nous toucher réellement, le théâtre doit être proche et lointain. La proportion est une chose fondamentale. Il faut y être sensible mais pas l’appliquer. La capacité de s’ennuyer rend plus sensible. C’est le sens de l’obstacle qui nous aide à trouver le chemin.
Dans ce Hamlet, où est l’obstacle, où est ce qui empêche le héros d’agir, où est la tension de l’acte et son dénouement ?
http://fictions.franceculture.fr/emission-fictions-le-feu...
13:42 Publié dans CRITIQUE DE THEATRE, Peter Brook | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : peter brook | Facebook
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