21/12/2011
Echec ou triomphe de John Dover Wilson
Hamlet se rend à la chambre de sa mère. Sur son chemin, il croise Claudius. Cela dit en passant, on se demande pourquoi il prendrait Polonius derrière la tenture pour le roi (on y reviendra). JDW écrit (p220) : « Il n’y avait en fin de compte aucune odeur de rédemption dans le geste de prière du roi ; Hamlet n’avait pas besoin d’hésiter, même selon ses propres principes. » Nous allons voir selon JDW lui-même qu’il ne se rend pas aux appartements de sa mère avec l’intention de tuer Claudius, c’est de le croiser en chemin qui va rectifier son désir.
JDW a tors d’interpréter la promesse « d’aller voir sa mère tout à l’heure » comme l’intention première d’aller rendre visite au roi pour l’exécuter. Il passe à côté du sens profond de la pièce et tient finalement un discours incohérent et ses conclusions ne collent pas avec l’essence même de la matière.
Hamlet se rend chez sa mère en se gardant bien de la tuer. Elle mérite la mort nous dit JDW (p219) « mais ce n’est pas à lui d’exécuter la sentence (…) Ses pas le portent vers la reine, suivant le chemin tracé par les mignons du roi, quant au roi, il l’a oublié ! C’est l’exemple le plus flagrant d’oubli bestial de toute la pièce. » Les mignons sont en l’occurrence Rosencrantz, Guildenstern, Polonius (et sa fille).
JDW ne voit pas que Shakespeare a mis la repentance du roi sur sa route pour le détourner d’un acte odieux et frontal, son désir de dézinguer sa mère. JDW, comme Lacan d’ailleurs, interprète : Hamlet vit à l’heure de l’autre et les obstacles sur son chemin visent à retarder la sentence à l’encontre de Claudius. Quand bien même, les premiers mots que prononce Hamlet, en voyant Claudius en prière : « Maintenant je pourrais le faire », montrent qu’il n’a pas le moindre désir de le faire – JDW citant les propos de Bradley (p219)
Quand Hamlet arrive dans la chambre de sa mère, il est dans une phase d’excitation, il est résolu à poignarder sa mère de mots. Sa mère, de son côté, a décidé avec Polonius de prendre la direction des opérations. Elle soupçonne son fils de tendances homicides (menaces de mort envers Claudius en présence du neveu Lucianus). Elle prend des risques mais elle ne manque pas de courages, nous dit JDW. Dans l’altercation, elle dit à son fils : « Eh bien, je vais vous opposer des gens qui sauront vous parler », tout en se dirigeant vers la porte. « Paroles et gestes font croire à Hamlet que le roi est de nouveau aux aguets », s’imagine JDW (p221). Après ce cri derrière la tapisserie, poursuit-il, « il pourfend l’espion, en espérant qu’il s’agit de son oncle ».
Il ne faut pas prendre ce cri à la légère, parce que ce n’est pas un cri mais un appel au secours. Hamlet a sûrement reconnu celui qui appelle derrière la tenture – sauf à le considérer dans un état second. Ce n’est pas ce que fais JDW. Il écrit (p221) : « La mort de Polonius n’est au début qu’un incident insignifiant qu’avec sa vivacité habituelle il met à profit pour éprouver sa mère ». Si Hamlet avait conscience d’avoir tué Claudius, l’incident ne serait insignifiant ni pour lui ni pour elle. C’est après-coup que Hamlet frappe de stupeur le spectateur, en disant à propos du cadavre de Polonius, « je t’ai pris pour ton maître, accepte ta fortune. »
Hamlet modifie le cours de l’histoire, tout comme JDW lorsqu’il écrit (p221), « en tuant Polonius il donne à son oncle exactement le levier qui lui manquait ; même Gertrude ne peut plus le protéger d’un grand feu de colère ». Alors que nous avons repéré avec la note 36* du chapitre 4 du livre de JDW que Hamlet et sa mère sont au courant pour son exil en Angleterre. La mort de Polonius vient donner un prétexte à un acte déjà posé par le roi et la reine. « Son geste inconsidéré le met légalement à la merci de Claudius » (p229).
Shakespeare créait l’illusion chez le spectateur :
- Chaque fois que Hamlet tue, sa stupeur l’innocente à nos yeux.
- La reine est blanchie par son étonnement lorsqu’elle reprend les termes de Hamlet voulant lui faire avouer sa complicité : « Tuer un Roi ? »
L’apparition du spectre vient rappeler à Hamlet l’interdit des violences physiques et spirituelles à l’égard de Gertrude. Hamlet, comme le spectateur, ignore si sa mère est complice du meurtre du vieil Hamlet. Mais elle est en tout cas capable de se débarrasser de son fils sans scrupules ni remords.
JDW donne plusieurs raisons à l’apparition du spectre pour la seconde fois ;
- C’est la seule réunion de la famille royale ;
- Le spectre vient interdire à Hamlet de révéler à sa mère les conditions de l’assassinat du vieux Hamlet. Il vient donc interdire au spectateur la prise de conscience ce qui ne veut pas dire qu’inconsciemment il n’en sache pas quelque chose ;
- Gertrude ne voit pas le spectre, car son regard est empêché par l’adultère qu’elle a commis ;
- Les paroles de Gertrude informent le spectre qu’elle est séparée de lui ; qu’il y a belle lurette que la corde est rompue entre le roi et la reine. Pourtant le roi est mort sans qu’il est eu le temps d’expier ses pêchés nous dit le texte de la pièce. S’il y a un message de ce genre il est pour le spectateur et pour Hamlet.
JDW écrit (p227), « il ne ressent pas seulement la douleur de son père comme un fils, mais comme un amant lui aussi. (…) L’adieu du spectre à Gertrude reproduit l’adieu de Hamlet à Ophélie au début du deuxième acte. » On est juste pas d’accord sur le sens à donner à ce parallèle. Hamlet « aime bien » Ophélie. Est-ce qui lui donne la force de la secouer comme un arbre fruitier pour voir quels sont les fruits qui vont tomber ?
Au regard des éléments du texte qui sont révélés, l’amour entre Gertrude et le vieil Hamlet s’est éteint. Il est loin d’être réciproque. C’est ce qui me fait dire que la mort d’Ophélie annonce celle de Gertrude.
Revenons, avec JDW, sur le retour de Hamlet d’Angleterre. Il n’y a aucune trace d’abattement dans ses lettres, nous dit-il. Hamlet nous donne le sentiment d’être lui-même. L’humeur bouffonne a complètement disparue, comparativement à un Laërte qui revient de France furieux et prêt à l’égorger à l’église. Pendant un temps « sa silhouette éclipse celle de Hamlet, c’est bien ce qui était prévu » (p241.
Shakespeare nous offre « un double niveau de vision, l’un destiné à la réflexion, l’autre à la perception immédiate. Il ne fait aucun doute que notre première réaction à la scène des funérailles doit être favorable à Hamlet. » (p240) Sa peine, poursuit JDW, nous conduit même à excuser son rôle dans la mort d’Ophélie. Est-ce une raison pour faire jouer l’empoignade entre Laërte et Hamlet au bord de la tombe, plutôt que dans le trou ?
Lorsqu’on apporte le corps drapé dans son suaire et qu’on révèle l’identité de celle que manifestement il a conduite à la mort, Hamlet ne trouve rien de mieux à dire qu’une exclamation indifférente : « Quoi, la belle Ophélie ! » L’épithète « belle » le rend distant, presque dur (p239). JDW appelle cela de la « froideur involontaire ». Pour nous rappeler ce que la défunte fut pour lui jadis, il cite les propos de Gertrude : « J’espérais que tu serais l’épouse de mon Hamlet. »
JDW ne perçoit pas le double langage qui s’adresse à la procession. Elle montre de l’estime, mais elle n’en pense pas moins : elle n’était que la fille de Polonius. Ne s’est-elle pas offusquée des lettres d’amours de son fils auprès de lui ?
L’attitude de JDW est proprement scandaleuse. Il reproduit cette négation lorsque Hamlet implore le pardon de Laërte au duel final. Il écrit (p244) : Shakespeare voulait gagner nos cœurs par cette tirade, jamais il n’a pu imaginer que nous y mettrions un double sens ». JDW en veut pour preuve que ce discours est sincère, « c’est qu’il est en parfaite harmonie avec le reste de sa conduite et que Laërte est manifestement ébranlé par sa générosité ».
C’est tout l’inverse ! Laërtes est mielleux alors qu’il était près à l’égorger à l’Eglise. Qu’est-ce qui peut l’avoir à ce point transformé sinon la perspective d’un nouveau complot ? Horatio ne manque pas de prévenir Hamlet, que c’est du suicide. Il lui dit qu’il doit agir vite, car Claudius apprendra sous peu le destin réservé à Guildenstern et Rosencrantz en Angleterre. Hamlet lui répond : « l’intervalle pour agir est à moi ». Et JDW de faire remarquer combien l’intervalle était court puisque Shakespeare fait entrer les ambassadeurs anglais après le carnage. Sauf que Hamlet n’a pas attendu la venue des émissaires anglais pour provoquer Claudius. Il lui a adressé une lettre pour le prévenir de son retour.
C’est ce qui fait dire à JDW (p242), que nous aimons Hamlet pour « l’insouciance qu’il met à épouser les plans de ses énemis, si coupable que soit cette légèreté. Même Claudius se fait piéger par cette naïveté. » Même JDW pourrions-nous ajouter. Car lorsque Claudius explique à Laërte que Hamlet n’examinera pas la pointe de l’épée affilée, c’est tellement vrai que JDW ne sais pas quoi faire du mot d’esprit que Shakespeare a placé à propos dans la bouche du héros : « Je vous fleuret-valoir, Laërte, par mon ignorance, Votre adresse telle une étoile dans la nuit noire. » (Acte 5 scène 2)
L’obscurantisme de JDW ne s’arrête pas là, il va jusqu’à qualifier Hamlet de « Médium » (p243). « Croise-t-on souvent une aussi belle exposition de la voyance ou un héros condamné plus attachant ? »
Dans les dernières pages, JDW tente un dernier essai de restauration. Il s’attache à décrire le duel tel qu’il devait se jouer en 1600 pour les élisabéthains. Pour la première fois, depuis le début du drame, ils voyaient « Hamlet occupé à combattre ses ennemis au lieu de parler » (p253). Ils « voyaient », c’est bien le propos, Gertrude boire la coupe jusqu’à la lie.
Mais ils entendaient aussi, Claudius interdire à Gertrude de boire, au point de glacer l’assistance. Hamlet dit une chose importante également, après avoir touché Claudius de son épée. Il ne dit pas va en enfer comme on pourrait s’y attendre, il lui dit : « Suis ma mère ! »
Horatio ne pense pas au suicide parce qu’il vient de perdre un ami. Hamlet a fait de lui son complice. Il est coupable de n’avoir pas pu enrayer cette boucherie. Hamlet lui demande de retenir son souffle encore un instant, pour raconter son histoire. Depuis nous sommes pendus à ses lèvres…
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