14/12/2013
Hamlet (V2) de Limbvani à Rosny sous bois
ESPACE G. SIMENON, à Rosny sous bois, le 10 décembre 2013
Cette pièce n’a plus rien à voir avec le Hamlet joué au festival international de Théâtre du Bénin en mars 2004 (édité en film par SOPAT, 2007). Si ! quand même un petit peu.
Je me suis mal renseigné sur la pièce, et je m’attends à un spectacle de 3h30 minimum. En fait l’affaire sera bouclée en deux heures. Ce qui annonce des coupes franches dans les longues tirades poétiques. Et pourtant la poésie est au rendez-vous. Quelle magistrale interprétation du monologue « to be or not to be… » chanté à la guitare. On en reste sans voix tellement l’idée est originale et merveilleusement à propos.
Il y a dans cette pièce plusieurs moments magiques qui vous donneraient envie d’applaudir, comme ces deux fois où Hamlet se retrouve à terre sous les feux de la rampe et où Serge Hugues Limbvani semble n’attendre que cela. Et pourtant la mayonnaise ne prend pas. Est-ce parce que le public est sous le choc du fait de certains défaut de la pièce ? Est-ce parce qu’il est peu nombreux – 100 places peut-être sur les 300 que peut contenir la salle ? On aurait envie qu’un chauffeur de salle donne un petit coup de pouce à la Company.
Mais revenons-en au début. Le présentateur/programmateur nous prévient : Il nous faut oublier tous nos clichés sur cette pièce. Cela ne va pas être aussi simple. Je sors tout droit de la comédie française où je viens d’assister à un Hamlet à chier parce que le metteur en scène (Dan Jemmet), à pris le parti de faire mourir Ophélie dans les chiottes en lui faisant avaler des cahetons.
Je dis cela, parce que dès le début de la pièce, le jeu des acteurs qui rencontrent le spectre est tout de suite d’un meilleur niveau, sans excès. La voix est posée juste. Le ton colle avec l’expression corporelle. Et c’est toujours plus cohérent qu’un langage qui exprimerait la terreur avec des corps inertes. On sent qui va se passer des choses :
La scène est vide, presque vide. Une chaise, devant, sur la droite, où Hamlet viendra s’asseoir, ahuri par les révélations des ses compagnons. Une estrade dans le fond, où passera le spectre une première fois. Hugues Serge Limbvani a fait le choix de « l’abstraction scénique » et pourtant il ne le respectera pas…
Le décor est planté dès le début. Gertrude est coupable ! Elle a fait éliminer son premier mari pour épouser son frère, qu’elle aime d’un amour fou. Elle s’est révoltée contre les lois du mariage qui lui imposent d’épouser un homme qu’elle n’aime pas. Elle utilise cette même coutume africaine qui permet au frère du défunt d’épouser la veuve.
Le spectateur n’a pas le temps de gamberger sur les raisons qui vont pousser Hamlet à se révolter et précipiter la chute de tous ces hauts personnages, que déjà Bernardo et Francesca assistent au retour du mort.
Les scènes s’enchaînent à une vitesse déconcertante. Les acteurs chaux n’ont pas encore quittés lieux que d’autres, froids, entrent déjà en scène. Il y a quelque chose qui m’échappe dans ce rythme de la pièce, quelque chose de préjudiciable. Claudius annonce qu’il a pris légitimement Gertrude pour épouse, la larme à l’œil ; et qu’il a du résister aux conseils de la cour (alors que Shakespeare dit l’inverse). Décidément il nous faut oublier notre savoir sur la pièce.
Mais il y a là devant, assis, le visage décomposé, un homme qui ne connaît pas les semblants – l’incarnation même de la mélancolie. Mais que lui est donc Hécube ? Un homme qui ne connaît pas les semblants et qui annonce qu’il va feindre la folie.
La rencontre avec le spectre est fantastique pour le public comme pour Hamlet. Le public est tout entier suspendu aux lèvres du spectre. Le temps n’est pas seulement détraqué. Le temps s’est arrêté avec l’élan d’Hamlet, rejoignant son halot de lumière. Il n’y a plus de semblants. Hamlet quitte la scène en transe : (écoutez : Souffles de Birago Diop, poète sénégalais en suivant ce lien :
http://neveu01.chez-alice.fr/birasouf.htm).
Ecoute plus souvent
Les Choses que les Etres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Ecoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des Ancêtres morts,
Qui ne sont pas partis
Qui ne sont pas sous la Terre
Qui ne sont pas morts.
Ce qui s’en suit, c’est une véritable tourmente. La folie gagne tous les personnages. Laërte part pour la France (chez Shakespeare, il part alors que son rang devrait lui dicter de se préparer à combattre Fortinbras). Ici nous ne sommes pas dans un climat guerrier – ce personnage n’existe pas. Ophélie est amoureuse d’Hamlet, mais son père lui interdit de le voir. Il connaît les hommes et leurs intentions : « te trouer » - l’image provoque les rires dans la salle.
Mais lorsque Hamlet se présente à Ophélie comme transformé. Là, on ne rit plus du tout. Ophélie rapporte l’événement, et c’est elle qui est transformée. Polonius part dans un délire sur l’amour qui l’a rendu fou et on retrouve l’acteur à l’acmé de son art, lorsqu’il vocifère et gesticule devant le couple royal pour demander qu’on le coupe en deux s’il se trompe. On sait déjà que c’est Hamlet qui va s’en charger et « le trouer ».
Je dois reconnaître et m’excuser auprès de la Company, car je n’ai pas compris ces deux personnages de Rosencrantz et Guildenstern la première fois que j’ai visionné le Hamlet joué au festival du Bénin. Le décor et mes clichés sur la culture africaine y sont sûrement pour quelque chose, ainsi que ma connaissance de la pièce (ce sont deux soldats qui escortent Hamlet jusqu’en Angleterre). Ici, dans ce contexte dénué de tout décor, les R&G ressemblent plus à deux débiles, des caricatures de courtisans dans tout ce que le rapport au pouvoir à de grotesque.
Avant que les R&G viennent au rapport, le spectre fait une deuxième apparition, pour révéler les conditions de la mort du roi Hamlet. Si la première apparition révèle les contradictions sources de tensions et d’actes tragiques : injonction de vengeance sur la personne de Claudius alors que la reine dans la première scène – comme un prologue – nous est présentée comme la coupable, la deuxième apparition fonctionne comme prologue à la souricière.
Puis c’est au tour d’Ophélie d’être prise par cette tourmente. Lors de la scène de la rencontre avec Hamlet elle ne peut cacher son anxiété en se tordant les mains (comme Gertrude dans la scène de la chambre de Shakespeare). La confrontation doit être terrible, car Ophélie doit jouer un double-jeu : feindre d’être là par hasard, et doubler son père en rendant à Hamlet ses lettres. Quoiqu’en dise Hugues Serge Limbvani, le choix de « l’abstraction scénique » ne peut pas aller jusqu’à l’économie de preuves tangibles – de vecteurs – de cette violence. Polonius, Ophélie lisent la lettre et ne font pas semblant. Cette lettre inoffensive qui sera la cause de leur perte à tous.
Mais Hugues Serge Limbvani semble vouloir nous prendre à revers et ne cesse de prendre le contre-pied de nos idées reçues sur la pièce. Il fait du monologue sur le suicide un chant funèbre et exhorte Ophélie, comme par anticipation : « nymphe, dans tes prières, prend soin de mes pêchés ». Affront suprême, les témoins qui provoquent la scène tournent le dos aux amants et au public. Metteur en scène, je me demande si je ne leur aurais pas demandé de passer de l’autre côté de l’estrade, à genou. Hugues Serge Limbvani et sa troupe sont des insolents. Eh bien, je vais vous opposer des gens qui sauront vous parler.
Que veut dire ce spectacle ? Où est Ophélie avant la représentation ? Les rires du roi, à la vue des acteurs emperruqués sont là, comme un leurre, pour détourner notre attention. Polonius arrête la pièce, que dis-je, la pantomime. Car on ne voit plus la pièce, la souricière, le piège de sa souris ; cet instant où Claudius se lève, non pas parce qu’il est démasqué, mais parce qu’il est pris au piège tendu par Hamlet pour piéger sa mère.
Il n’y aura donc pas la scène du repentir de Claudius avant l’entrée dans la chambre de la reine. Car il n’y a pas besoin de rectifier le désir de Hamlet. Il n’y a pas besoin du repentir de Claudius pour le détourner de ses intentions matricides et rectifier son désir de vengeance. Hamlet tue Polonius, et c’est les éclats de rire dans la salle, parce qu’Hamlet fait semblant. Encore un préjudice au théâtre.
Shakespeare, par la voix de son Hamlet, prévient les comédiens (scène 2 de l’acte 3) qui par leur jeu singent abominablement l’humanité. Il leur demande de la mesure en tout, de ne pas fendre l’air de la main ; de ne pas beugler dans les oreilles des spectateurs du parterre qui n’entendent rien aux pantomimes. Réglez le geste sur le mot, et le mot sur le geste, car tout ce qui est forcé s’écarte du jeu théâtral dont le but est de tendre un miroir à la nature.
Cette intention de Shakespeare est double :
- Montrer qu’Hamlet ne va pas respecter ses conseils lors de la souricière et qu’il va se comporter comme un trublion. Tout d’abord infecte avec Ophélie, il ruine sa carrière mondaine en laissant entendre qu’elle est une pute, ensuite il va empêcher les acteurs de jouer, et chaque fois qu’il interrompt la pièce, c’est pour titiller sa mère.
- La seconde raison vient des origines de la pièce. Il faut garder à l’esprit les conseils qu’Hamlet donne aux comédiens dans « Hamlet ou le fratricide puni » (scène 7) : Hamlet conseille au premier comédien, Carl, de corriger certains défauts, « certains de vos compagnons étaient bien vêtus, mais leur chemises étaient crasseuses ; d’autres avaient des bottes et pas d’éperons. (…) Certains parmi vous portaient des bas de soie et des chaussures blanches, mais s’étaient coiffés d’un chapeau noir couvert de plumes, il y avait presque autant de plumage par dessus que par dessous ; sans doutes les ont-ils gardés pour aller se coucher, en guise de bonnets de nuit. Tout cela n’est pas bien mais facile à changer. Par ailleurs, vous pourriez dire à certains d’entre eux que, lorsqu’ils jouent un personnage royal ou princier et qu’ils font un compliment à une dame, ils ne devraient pas tant la lorgner ; ils ne devraient pas se tortiller comme s’ils dansaient la pavane espagnole, ni prendre des allures belliqueuses. Un homme de rang se rit de telles choses. Le naturel, c’est qu’il y a de mieux. Celui qui joue un roi dans la pièce doit imaginer qu’il est roi et celui qui joue un paysan doit se sentir paysan. (…) Allez donc préparer la scène dans la grande salle ; le maître charpentier vous donnera le bois dont vous pourriez avoir besoin ; s’il vous faut quelque chose de l’armurerie, ou s’il vous manque des costumes dites-le au maître de la garde-robe ou à l’intendant. Nous tenons à ce que vous ne manquiez de rien » (traduction Anne Cunéo, Rencontres avec Hamlet, Bernard Campiche éditeur, 2005, pp382-385)
Hamlet fait semblant de tuer Polonius parce que la fin on la connaît. Il n’était pas besoin, mon seigneur, qu’un spectre quitte sa tombe pour nous dire cela : « pardonne-la elle était malheureuse ». Et pourtant Hugues Serge Limbvani va nous surprendre avec la scène du repentir de Gertrude. Elle est en révolte contre les us et coutumes, contre la loi des hommes. Ils vont le lui faire payer quitte à en mourir.
Horatio devient premier complice (comme on devient ministre), et fait introduire la folle Ophélie. Laërte revient secrètement d’Europe. Ophélie, dans sa folie, essaye d’attraper la reine, comme pour désigner la traîtresse. Claudius et Laërte échafaudent leur plan : un combat de pongo devra coûter la vie à Hamlet. Mais la vengeance de Laërte reste en suspend quand une voix off – Hamlet lisant sa lettre à Horatio – vient annoncer le retour du vengeur aux larmes de sang.
C’est au cimetière que nous sommes convié à examiner la nature de nos larmes. Chez Shakespeare, le texte est claire : Hamlet observe les larmes de crocodile de sa mère et bondit pour annoncer qu’il est prêt à avaler le crocodile tout entier. Il faut bien le reconnaître nous avons du mal à nous représenter la mort. Que ce soit pour le mariage ou pour un enterrement, on emploie le même terme : cérémonie ! Et quand bien même nous aurions devant nous un vrai cadavre, les funérailles ressemblent souvent à une mise en scène. Celle de Hugues Serge Limbvani fait penser au déplacement en chaise à porteur. Ophélie marche au tombeau. Et si ce n’était ces deux manches à balai que tiennent les fossoyeurs, peut-être y croirais-je.
Passons sur cette mise en scène qui n’a d’égal que celle de Peter Brook, et venons-en aux mains. Je veux dire au combat de pongo sans fioriture et sans gants de pongo. C’est dans cette lutte à mains nues, dans ce corps à corps, que doit advenir l’heure de vérité. Gertrude est foudroyée en portant ses lèvres à la coupe. Laërte griffe le dos d’Hamlet de ses ongles empoisonnés. Hamlet lui jette au visage le contenu de la coupe. Laërte mourant désigne le roi coupable. Avant de mourir à son tour, Hamlet lui jette au visage le reste du poison.
Au final, il reste une grande stupéfaction, incarnée par les derniers témoins.
Avec les applaudissements de la troupe, on peut lire sur le visage des acteurs un sentiment d’inquiétude et d’interrogation. La stupéfaction est partagée. Si ce n’était ces gros défauts de mise en scène, l’ovation serait au rendez-vous, j’en suis persuadé. Tout y est : la qualité des acteurs, le parler franc, le tragique de la destinée…
Au sortir de ce spectacle, j’ai attendu un peu sans espoir de parler avec Hugues Serge Limbvani, car ce n’est pas le lieu. Le metteur en scène et sa troupe, je les ai rencontré sur scène, après qu’il se soient donnés à fond deux heures durant. Je n’ai pas été surpris de le voir s’éloigner dans la rue en grande discussion avec quelqu’un à qui il disait, au passage, « Shakespeare c’est très simple, mais les gens compliquent tout ». C’est à voir !
Adaptation et mise en scène : Hugues Serge Limbvani
Avec : Ahoui Marina, Doumbia Maïmouna, Ekissi Momo, Malère Kaf Georges, Mamapouya Jacques Eric, Ngoma Vict, Seydi Addoulaye, Limbvani Hugues Serge
Que les acteurs me pardonnent, je ne connais pas la distribution « cofracie ».
21:16 Publié dans CRITIQUE DE THEATRE, Limbvani (Rosny Fr) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : limbvani | Facebook