HORATIO

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18/04/2012

Escrime scénique des films contemporains sur Hamlet

(J'emprunte ce terme "escrime scénique" à Michaël Müller-Hewer. Il propose cette expression pour répondre aux nouvelles perspectives offerte par le cinéma. Voir son site: jeux d'épées)

Chers amis escrimeurs devenus fan du Hamlet de Shakespeare.

A la lumière des premiers éléments que vous m'avez raportés sur la pratique de l'escrime ancienne ou artistique, j'ai revu et analysé les duels dans les films de Laurence Olivier, Franco Zeffirelli, Kenneth Branagh et Rodney Bennett. Pour chacun je vous ai mis un lien vers un extrait (pas toujours complet) de la scène.

- Chaque film a sa particularité sur le sens à donner aux actes des personnages.
- Chaque duel est réglé différemment, notamment l'échange des épées.
- Les armes ne sont pas les mêmes dans chaque film, et ne sont pas les mêmes d'un assaut à l'autre dans le film de Zeffirelli: avez-vous une explication?
- Les armes sont-elles celles annoncées par les témoins de l'offensé, je ne saurais le dire n'étant pas qualifié sur le sujet.
- La question des épées démouchetées est délicate à traiter sauf dans le film de Laurence Olivier où un gros plan sur les fers croisés montre que l'une porte un bouton. Votre oeil averti pourra peut-être répondre plus facilement à cette question.
- Je suis tombé des nues en visionnant le duel dans le film de Keneth Brannagh. Mes difficultées à comprendre le calcul des points tient à une erreur de traduction dans le livre de Dover Wilson comme dans la traduction française du Hamlet de Shakespeare. Je vous laisse découvrir la chose...

Salutations
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Shakespeare ne donne pas d’indications sur la façon de jouer le duel final d’escrime. Ce qui laisse une grande liberté pour le maître d’armes, notamment sur la façon dont seront échangées les épées entre Laërte et Hamlet – pour que l’épée empoisonnée qui vient de blesser Hamlet passe dans sa main.

Nous savons que c’est un duel d’honneur qui se jouera en 12 assauts, que Laërte devra faire trois touches de mieux que son adversaire s’il veut gagner ce duel. Le roi Claudius a parié 6 chevaux de Barbarie et Laërte a parié six rapières et poignards français avec leurs accessoires.

Nous savons que Laërte doit venger son père et sa soeur. Claudius lui propose un duel truqué avec épée démouchetée empoisonnée et coupe de vin empoisonnée – si avec ça il en réchappe ? Au regard des faits (supériorité d’Hamlet aux épées) : Laërte se fait piéger par ses qualités vantées par un certain Lamord, un normand.

Nous savons que Hamlet se doute que c’est un piège, et qu’il aura à défier les augures. Plusieurs détails ne peuvent que lui confirmer ses intuitions :
- On lui propose un duel d’Honneur quand Laërte devrait lui proposer un duel judiciaire.
- Laërte devient le poulain de Claudius dont il sait qu’il l’avait condamné à mort lors de son exile pour l’Angleterre.
- Si la rapière de Laërte est « unbated », c’est-à-dire non martelée, il est possible pour Hamlet de ne pas s’en apercevoir. Si par contre, il s’agit d’une épée démouchetée Hamlet, comme le public, ne peuvent que s’en apercevoir. (Ces épées sont apparues fin 16ème siècle).
- Laërte change l’épée qui lui est proposée pour celle empoisonnée sous prétexte qu’elle est trop lourde alors qu’il s’agit des mêmes épées.
- Claudius interrompe Gertrude lorsqu’elle s’apprête à boire la coupe empoisonnée. Tous la laissent boire finalement.
- Etant donné les protections que sont censés enfiler les épéistes (plastrons et crispins), Laërte n’aura peut-être pas d’autre choix qu’un coup bas pour blesser mortellement Hamlet.



Dans le film de Laurence OLIVIER (1948) :

http://www.youtube.com/watch?v=dh5-6MGCrs8&feature=relmfu

Dans ce film, un seul témoin de l’offensé est envoyé vers Hamlet pour lui annoncer le défi à relever. Est-ce l’influence de Dover Wilson qui ne voyait pas l’intérêt du deuxième courtisan (la pratique du duel veut que deux témoins soient envoyés) ?

Toujours est-il que Hamlet suggère au courtisan venu à sa rencontre de rapporter à Laërte qu’il l’attend pendant l’heure de sa promenade. Chose qui devrait intriguer Hamlet, ils sont déjà prêt pour le duel.

Le début du duel est très explicite. Un gros plan sur les fers croisés nous montre l’une des épées avec un bouton, celle d’Hamlet bien entendu (il est impossible que cela lui échappe). Il est alors logique que les épéistes engagent le combat sans protections.

Deuxième chose étrange, le roi annonce qu’à la deuxième touche d’Hamlet, il lui offrira une perle de grande valeur. Il n’attend pas la deuxième touche ; dès la première il jette la perle dans la coupe et l’empoisonne par la même occasion.

La reine regarde la coupe empoisonnée, longuement. Elle comprend le piège, le danger que représente cette coupe pour son fils. Elle s’en empare. Elle boit la coupe – elle se sacrifie donc. Elle va porter secours à Hamlet pour éponger son front.

Après le troisième assaut, Laërte blesse lâchement Hamlet au bras. Hamlet lance un assaut immédiatement et le désarme. Il tend son épée mouchetée à Laërte et s’empare de la sienne. Osric, montré clairement comme un complice, veut arrêter le duel, mais Hamlet enchaîne avec un 5ème assaut et blesse Laërte au poignet.

Lorsque la reine s’effondre, Hamlet tue Claudius, en lui disant : « poison fais ton œuvre ». En d’autres termes, cette interprétation essaie de sauver ce qui peut l’être de cette mère. Alors que Shakespeare, fait dire à Hamlet, lorsqu’il fait boire la coupe à Claudius : « suis ma mère » - sous-entendu : rejoins-la en enfer. C’est à Laërte, après un échange de pardon, qu’Hamlet dit : « je vais te rejoindre »… aux panthéon des personnages de légende bien entendu.

Dans le film de Laurence Olivier, le personnage de Fortinbras n’existe pas. A la fin, les nombreux gardes tournent leurs lances vers le traître Claudius qui, agonisant, cherche à attraper sa couronne tombée à terre – image symbolique des enjeux et des motivations de Claudius dans ce film.

Horatio se comporte alors comme un protecteur de la mémoire du jeune prince. Mais il n’a de compte à rendre à personne.

Dans le film de Franco ZEFFIRELLI (1990)

http://www.youtube.com/watch?v=3irLWeS5G3Q

Dans le film de F. Zeffirelli, il y a bien deux témoins de l’offensé envoyé auprès d’Hamlet. Une scène où l’on voit Claudius et Laëtre finaliser le piège est intercallée avant que le duel ne commence ; ce qui supprime l’effet de surprise – le duel n’a pas lieu immédiatement après l’envoie des témoins.

Alors qu’ils s’apprêtent pour ce duel, Laërte plonge son épée dans un fourreau empoisonné. Hamlet observe la scène. Il sait que le danger viendra de là.

Au cours de ce duel, les épéistes vont changer trois fois d’armes. Ce qui est pour le moins étrange et, en tout cas, ne respecte pas le duel shakespearien.

Le premier assaut s’engage avec de courtes et larges épées – une chacun. Elles ne sont ni mouchetées ni martelées, cela explique qu’ils se battent avec des gilets de mailles.

Pour le deuxième assaut, ils mettent des protections supplémentaires sur les épaules et sur la tête. Ils combattent avec une épée plus lourde, à tel point que Hamlet fait le clown, feignant de ne pouvoir la porter.

Dans ce film Gertrude boit la coupe par mégarde, il n’y a aucun doute là-dessus. Plus son mal-être va grandissant, plus elle se tourne vers la coupe et soupçonne le stratagème.

Au cours du troisième assaut, les épéistes enlèvent les protections (de véritables armures). Devenus vulnérables, ils vont devoir s’affronter avec deux rapières plus courtes et plus légères (des rapières visiblement). Elles sont censées être non tranchantes. Cependant, Laërte se plaint que son épée est trop lourde et sort la sienne, semblable aux autres, de son fourreau. Le staratagème ne peut pas échapper à Hamlet.

Laërte blesse Hamlet alors que l’assaut n’a pas été lancé. Hamlet riposte par un coup de poing. L’épée empoisonnée tombe à terre. Hamlet la ramasse et blesse à son tour Laërte qui se trouve acculé devant la force de l’attaque.

Laërte révèle son infamie. Il a été le bras armé de Claudius. Lorsque Hamlet transperce le roi, il l’envoie en enfer, lui l’incestueux, l’ordurier, en lui donnant cette fameuse réplique : « va rejoindre ma mère ! » Le propos est dissonant d’avec la mère qui boit la coupe malencontreusement.

Dans ce film également, le personnage de Fortinbras n’existe pas. L’histoire n’a pas lieu dans un climat guerrier. Horatio n’aura donc pas de comptes à rendre.

Dans le film de Kenneth BRANAGH (1996)

http://www.youtube.com/watch?NR=1&v=RIS-GJOjkgA&feature=e...

Précision importante, l’action se passe au 19ème siècle. Le duel s’engage pendant que l’armée de Fortinbras (Prince de Norvège) envahit le Palais de Bleinheim figurant le château Elsinor. Le climat de ce duel est incohérent. Les images nous présentent une invasion minutieusement préparée, avec une entrée de soldats armés jusqu’aux dents, passant tous en même temps par les fenêtres du château. Fortinbras, revenant vainqueur de Pologne, contre bonne fortune, n’a plus qu’à s’installer sur le trône du roi défunt. Bien plus qu’une incohérence, c’est un revirement de situation pour Fortinbras qui en dit long déjà sur l’attitude de Horatio qui annonce qu’il dira la vérité sur ce carnage…

L’arme du duel est annoncée par Osric comme étant la dague et la rapière. Mais les épées ressemblent plus à des fleurets. La logique voudrait que ces fleurets du 19ème, armes extrêmement effilées et dangereuses, soient mouchetées justement. Il est difficile de dire si ces fleurets ont des boutons. S’ils en ont, ils sont extrêmement petits. Ils justifient que les épéistes portent des protections.

Il a fallu que je visionne ce film pour comprendre le calcule des points dans cette joute – et m’apercevoir que les enjeux présentés par Osric ont été mal traduits (même par Jean-Michel Déprats pour la Pléïade). Et que Dover Wilson en déduit des choses qui sont fausses.

Dans le film de K. Branagh, Osric dit ceci : « Le roi a parié que sur douze passes entre Laërte et vous-même, il ne fera pas trois touches de plus que vous. Laërte a gagé qu’il en ferait neufs. Le combat aurait lieu sur le champ si vous daignez répondre. »

Dans la traduction française, Osric présente la suite des enjeux à l’acte 5 scène 2 comme suit : « Le roi, monsieur, a parié, monsieur, qu’en douze assauts entre vous-même et Laërte, celui-ci ne marquerait pas trois touches de plus que vous. Il a parié sur douze assauts et non neuf, et le combat aurait lieu sur-le-champ si votre Seigneurie daignait répondre »…de sa personne.

Il faut comprendre « He hath laid on twelve for nine » par « Il [Laërte] a gagé sur 12 [assauts] pour 9 [touches de plus]. » Il est quand même incroyable que Dover Wilson (un anglais) en soit arrivé à la conclusion (Vous avez dit Hamlet ?, Aubier, 1988, p247) : « Voici comment j’interprète le début de ce que dit Osric : le roi parie que Laërte ne pourra pas terminer le match avec trois touches d’avance. Pour la suite, je crois que les commentateurs se sont égarés parce qu’ils n’ont pas vu que « il » dans « il a misé douze contre neuf » est le même que celui de la proposition précédente, à savoir Laërte ; et que « misé » veut dire « misé sur ces conditions », non pas « fixé l’enjeu ». Autrement dit, Laërte réclame de son côté un match en douze reprises au lieu des neufs ordinaires, pour se donner plus de chances de surmonter le lourd handicap qu’à proposé Claudius. »

C’est en portant le nombre de touches à 9 de mieux que Hamlet, que Laërte rend le handicap insurmontable. Hamlet a du faire des yeux ronds énormes en entendant les enjeux – la pièce est bien une comédie je vous le confirme.

L’effet voulu par Shakespeare comme quoi Hamlet n’a pas vraiment le choix étant donné que la salle d’arme est pleine de courtisans venus pour assister au duel, est atténué, une fois de plus, par la mise en scène. Hamlet se présente donc pour le duel ; il fait son laïus sur le fait qu’il est du parti des offensés puisque c’est sa folie qui a agit en son nom. Laërte prend ça comme un frère. Mais c’est sans compter sur Hamlet et ses provocations pour le remettre à sa place et réveiller en lui sa haine – c’est juste avant le premier assaut.

Osric plisse les yeux quand il voit Laërte appliquer le poison sur la pointe de son fleuret avec un chiffon et la complicité d’un homme de main. Dans la pièce, normalement c’est son rôle à Osric… La coupe est pleine. Gertrude boit la coupe… par accident.
L’épée est seulement enduite de poison avec un chiffon.

Au cours du duel, les épéistes enlèvent leurs protections ; ils semblent le justifier par la chaleur des assauts. Avant même qu’ils n’aient le temps de se rhabiller, Hamlet lance une seconde provocation à Laërte : « vous me traitez comme un enfant ».

Piqué au vif Laërte lui assène le coup fatal. Course poursuite effrénée, croc-en-jambe, l’épée finit sa course sous le pied d’Hamlet. Lutte dans l’escalier, blessure, combat, Laërte bascule dans le vide. Trahison. « Va rejoindre ma mère »

Au fur et à mesure du dénouement de ce duel, l’armée de Fortinbras envahit le château pour arriver au final jusqu’à la salle d’armes. Osric, qui sort de la salle, en même temps qu’est révélée la trahison, est poignardé par les assaillants. Il rentre mourant pour annoncer l’arrivée de Fortinbras et des ambassadeurs. Si cette interprétation fantaisiste de la pièce de Shakespeare, lève le doute sur une possible complicité d’Osric avec Fortinbras, elle supprime aussi un témoin clé. Osric ne parlera pas.


Dans le film de Rodney BENNETT (2000) :

http://www.youtube.com/watch?v=3zihPRjrjgc&feature=related

L’arme du duel est la dague et la rapière. Si c’est une rapière elle est extrêmement fine. Les épéistes n’ont pas de protections. Il faut donc supposer qu’elles sont émoussées à la pierre et non pointues.

Au cours du deuxième assaut, par une botte Hamlet désarme Laërte. En voulant lui rendre son épée qu’il tient par la pointe effilée, Laërte le blesse au poignet. Mais cet imbécile, stupéfait par son propre méfait, lâche son épée. La chance sourit à Hamlet qui lui tend la sienne. Laërte se précipite pour en prendre une autre ; il n’en aura pas le temps. Blessé à la taille, il s’effondre en même temps que la reine.

Les révélations de trahison mettent Hamlet hors de lui, il fait boire la coupe à Claudius après l’avoir transpercé de son épée, en lui disant : « follow my mother ».

Il s’en suit une scène qui dit l’Amour qui existe entre Horatio et Hamlet. Et on ne sait pas si les deux personnages religieux qui observent la scène sont là pour s’offusquer de la mort d’un Prince ou de cet amour révélé – ce n’est pas la nature des liens décrits par Shakespeare, à mon humble avis mais il y a des théories là-dessus.