HORATIO

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19/05/2012

Analyse du duel privé final dans Hamlet


Je reproduis ici la fin de l'argument: duel final = la souricière 3

Description du duel

Dans le chapitre « Le héros aux abois » (p245-256) John Dover Wilson tente un essai de restauration de la scène du duel. Pour le public shakespearien, écrit-il, le duel était un duel, rien de plus. Et les modes en matière de passes d’armes ont tellement changé depuis le début du 17ème siècle qu’il est difficile pour un escrimeur expert de dire comment jouer la scène.

JDW va donc chercher dans les ouvrages de nos plus anciens maîtres d’armes : Paradoxes of Defence de George Silver de 1599. Burbadge, acteur et fine lame de l’époque. Hotspur. Gravure de John Norden, cité de Londres, 1600. L’épéiste Alfred Hutton vers 1878.

Examinons les dialogues :

Le décor a été fixé et l’intrigue ourdie dès l’acte 4 scène 7, nous rappelle JDW. Le roi dit à Laërte que Hamlet est désireux de l’affronter au fleuret car il a entendu célébrer son adresse par un certain Lamord. Présenter les choses comme ça, c’est piéger Laërte parce que Hamlet lui s’attend à un piège.

Claudius propose à Laërte de choisir « une épée tranchante ». « A sword unbated » a été traduit par Jean-Michel Déprats par « une épée démouchetée ». Les dictionnaires du net disent « not covered with a protective button ». JDW, en référence aux pratiques de l’époque, penche plutôt pour des épées dont le fil a été émoussé à la pierre.

Osric présente la suite des enjeux à l’acte 5 scène 2 : « Le roi, monsieur, a parié, monsieur, qu’en douze assauts entre vous-même et Laërte, celui-ci ne marquerait pas trois touches de plus que vous. Il a parié sur douze assauts et non neufs, et le combat aurait lieu sur-le-champ si votre Seigneurie daignait répondre »…de sa personne.

Examinons le handicap :

JDW interprète comme suit (p247) :
- Nul besoin de faire tous les assauts d’un match convenu ;
- Le roi parie que Laërte ne pourra pas terminer le match avec trois touches d’avance.
- Ce passage rapporté par Osric indique que c’est Laërte qui mise sur douze assauts au lieu des neufs ordinaires (référence à George Silver pour ce dernier point) pour surmonter le handicap proposé par Claudius.

Si le handicap proposé par Claudius est « considérable », l’interprétation comme quoi, c’est Laërte qui fixe le nombre de touche me paraît tirée par les cheveux.

Je ne comprends pas le calcule fait par John Dover Wilson : comment se comptent les points dans ce duel d’honneur ?
- Hamlet remporte les deux premiers assauts et fait match nulle au troisième ;
- Il lui suffit d’en gagner encore deux et de faire encore une fois égalité pour que la partie soit terminée :
- Laërte ne pourrait pas finir avec trois de mieux s’il a quatre points contre lui et encore six à jouer.

Examinons les épées :

A l’époque où Shakespeare met en scène Hamlet, il existe trois jeux d’escrime (p247-248) :
- sabre-et-bouclier : combat démodé, le sabre court d’une main et un écu léger de l’autre ;
- rapière-seule : longue rapière dans la main droite et main gauche protégée par un crispin ou un gant de mailles pour parer les coups ou saisir la lame de l’adversaire ;
- dague-et-rapière (le choix de Laërte) : cette vogue était déjà dépassée lorsque le texte de la pièce fut imprimé en 1623. L’in-folio ne mentionne pas de dagues parmi les armes pour le duel, alors que le second in-quarto précise dagues et fleurets. Burbadge et son partenaire devaient employer l’une et l’autre dans la mise en scène originale, précise JDW.

JDW précise que ce fleuret ne ressemblait pas au fleuret moucheté par un bouton (gros comme une balle de ping-pong) de l’escrime moderne. L’usage des boutons ne s’est répandu qu’à la seconde moitié du 17ème siècle. Le fleuret était donc une arme de combat dont on émoussait le fil et la pointe. (Confirmez-vous ce point sur les boutons ?)

« En fait le plan de Laërte aurait été impossible s’il avait fallu employer des boutons ; c’est justement parce qu’il fallait l’examiner de près pour distinguer un « fleuret » d’une lame affilée qu’une « épée tranchante » pouvait passer « avec aise ou un peu d’embrouille » (p248). JDW, à cet instant soupçonne une complicité d’Osric du simple fait qu’il est l’émissaire envoyé par le roi et que c’est à lui que Laërte donne la réplique : « je suis justement tué par ma propre traîtrise ». La complicité d’Osric peut être démontrée par un autre moyen : le simple fait qu’il sorte avant que soient refermées les portes sur la trahison. Il revient avec Fortinbras.

JDW met du suspens là où il n’y en a pas besoin. Il suggère que Claudius donne un petit clin d’œil à Osric lorsqu’il lui demande de distribuer les fleurets. Il suggère que Claudius détourne l’attention d’Hamlet, « ce qui permet à Laërte de choisir le premier » (p249). Un droit (note 26) qu’il pourrait avoir acquis – sans certitude de JDW – du fait qu’il a à relever le défi - quand l’histoire nous dit que le défi, est à relever par Hamlet ! Toute l’entreprise de JDW consiste à annuler les effets déjà proposés par Shakespeare pour en proposer de moins dérangeants.

Le changement d’épée opéré par Laërte suffisait à attirer l’attention d’Hamlet et celle du public. JDW nous propose maintenant le point de vue de Granville-Barker (p249) : « Laërte ne se contente pas d’aller chercher son arme sur la table d’à côté, il l’enduit derechef de poison, en tournant le dos au public de la scène mais bien en vue des spectateurs de la salle. C’est une proposition très attrayante, non seulement pour son efficacité théâtrale mais parce qu’ainsi il ne subsisterait pas le moindre doute qu’il a maintenant en main « l’instrument de la trahison ». En d’autre terme JDW nous propose de substituer au duel entre un « simple d’esprit » et un gentleman, un duel entre Gentlemen.

Examinons la coupe empoisonnée :

Les adversaires se préparent. Ils doivent « enlever leur pourpoint et revêtir une cotte de mailles ou un plastron, ainsi qu’une espèce de calotte et des gantelets, qui constituaient l’attirail de protection ordinaire de l’escrimeur à cette époque. » (p249) Les assauts sont dangereux. JDW nous explique le double difficulté de Laërte : blesser Hamlet avec la pointe empoisonnée et maintenir un rythme soutenu pour l’obliger à boire la coupe empoisonnée.

Gertrude remarque que Hamlet est un peu essoufflé « et voyant que la transpiration commence à lui couler dans les yeux – ce qui peut gêner gravement un escrimeur –elle lui offre son mouchoir. En même temps, comme elle est près de la table où se trouve la coupe, elle lui offre pour étancher sa soif, après avoir elle-même bu à sa santé. Mais Hamlet est un athlète entraîné, il sait que boire tout en continuant à se dépenser ne peut que le faire transpirer davantage » (p251).

Pourtant, ce n’est pas tout à fait comme cela que les choses se déroulent. JDW passe sous silence le fait que Claudius arrête le bras de Gertrude avant qu’elle ne boive la coupe – de quoi glacer l’assistance de stupeur. Il pourrait à cet instant lui révéler la nature du breuvage. Mais JDW préfère nous décrire l’amour qu’il porte à sa femme : « Le roi regarde avec une douleur impuissante Gertrude vider la coupe de poison. Son attachement pour elle est sincère, c’est ce qu’il y a de mieux chez lui. » On sent que même si en plus d’Hamlet, sa mère venait à mourir, il s’en remettrait.

Son jeune poulain est en mauvaise posture, il ne reste plus qu’à Laërte la lâcheté d’un coup bas. La vue du sang prouve à Hamlet que son adversaire a une épée affilée, poursuit JDW et il se résout à s’en emparer. Cet exploit va soulever des tonnerre d’applaudissements dans le publique du théâtre. « Claudius qui a tout vu fait une dernière tentative pour sauver son complice. « Séparez-les, ils sont déchaînés » crie-t-il aux juges. Mais Hamlet ne va pas se laisser jouer comme cela. Il contre le roi d’un ferme « non, en garde », et sans laisser à Osric le temps d’intervenir, il transperce son adversaire avec la pointe qui vient de le blesser. » (p252) En fait, le texte dit que la reine commence à chanceler. Horatio observe qu’ils saignent tout les deux, et demande à Hamlet comment il va. Osric fait la même chose auprès de Laërte ; il révèle la trahison.

« Il y a peut-être des détails inexacts ici ou là dans cette relation », poursuit JDW. A la lecture de la pièce, c’est le moins qu’on puisse dire; « mais je crois que c’était en gros la manière dont le duel se déroulait sur la scène du Globe en 1601. » Pour JDW « c’était un assaut d’armes livré par des escrimeurs experts devant un public informé, dont beaucoup étaient eux-mêmes escrimeurs, et tous entraînés depuis l’enfance à utiliser l’œil, la main, le poignet et le bras pour se défendre. » (p253) A propos du public, Henry Suhamy et Gisèle Guillo disent exactement l’inverse dans leur Profil d’une œuvre. Les indications de Shakespeare ne vont pas aussi loin.

« Pour la première fois depuis le début du drame, écrit JDW, les élisabéthains voyaient Hamlet occupé à combattre ses ennemis au lieu de parler ». Il expédie l’incestueux, le meurtrier, en lui mettant de force la coupe entre les dents, avec « ce dernier jeu de mots » : « va donc rejoindre ma mère » (p255) JDW aurait pu s’apercevoir qu’il y a là l’expression du désir inconscient d’Hamlet d’envoyer sa mère en enfer et qu’il détermine toute l’action. Et s’il donne sa voix mourante au jeune Fortinbras, les danois ont-ils le choix ? Toute la suite dépendra de Horatio…